Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par Orioto (08 mars 2004)
Wario Ware est plus qu'un petit jeu d'adresse/réflexion diablement malin. C'est une réelle oeuvre d'art moderne sur les jeux vidéos et leur essence, un tribut à l'histoire de ce nouveau vecteur culturel, une ode au gameplay dans ce qu'il a de plus pur. C'est une de ces pierres qui font les fondations éternelles d'une culture émergeante. En un mot et même en cent, Wario Ware est abyssal, passionnant, redoutable, surprenant, beau, beau et encore beau dans son âme, c'est un joyau d'intention. Maturité ou Juvénilité ?Ecoutez un peu comme elle est bonne : Wario est un homme d'affaire plus pragmatique qu'Etienne Mougeotte. Aujourd'hui, comme hier, il cherche une façon de faire de l'argent, quand il a soudainement une idée géniale : Faire des jeux vidéos ! Mettre en scène le plus fameux gentil roublard de la firme comme le démon sous-jacent à toute sa philosophie (et celle des autres), voilà qui parait bien audacieux. Faudrait-il y voir de l'autodérision ? Une sorte de sarcasme pseudo moralisateur dédié à une industrie à la conscience fragile ? Faudrait-il y voir la pique d'une équipe interne destinée à titiller certains autres départements de la compagnie, dont l'objectif principal semble être ces derniers temps de battre des records de rentabilité ? Il se pourrait en fait malheureusement qu'il faille ne rien voir d'autre dans cette trame cocasse qu'une attaque en règle du concurrent Microsoft, certes moins ambitieuse. Car si l'on creuse un peu plus les symboles véhiculés par le scénario, ce sont bien des références à la firme américaine que l'on peut y déceler. Le père Wario n'y arbore pas un masque d'homme blanc à lunette aux cheveux approximativement coiffés, mais presque. Il évolue dans un environnement où l'informatique prime, et va jusqu'à nous inviter aux différents modes du jeu via une réplique du bureau Windows, mais il a surtout pour caractéristique particulière de vouloir s'attribuer les mérites de tout ses amis aux aventures si ludiques (comprendre autant de petits développeurs aux abois). Enfin, et surtout, il se conduit en parfait opportuniste puisqu'il lui vient cette idée rayonnante en constatant à la TV combien l'industrie vidéo ludique était prospère. Ok, l'hypothèse semble radicalement jouable, même si l'offensive concurrentielle a beaucoup moins de charme que l'autocritique anthropophage. Admettons. Et Nintendo créa le compilement ludiqueLe jeu se compose d'une série de tableaux, chacun associé à un personnage venu aider Wario à faire son jeu. Ces derniers rencontrent tous des difficultés lors de leurs activités journalières, et vous devrez les aider à s'en sortir en allant au bout d'une suite d'épreuves très courtes à la difficulté croissante. Ici, très court veut dire 5 secondes maximum. Vous enchaînerez en fait des épreuves simplissimes dans lesquelles une interpellation très brève (manger, éviter, compter...) sera votre seule aide pour comprendre à quel épreuve d'adresse vous invite le graphisme présent à l'image, le tout en 4 ou 5 secondes, puis en 3, 2 etc..... au fur et à mesure que les niveaux progressent. N'imaginez bien sur pas pouvoir jouer sur quelques mémorisations intensives puisque l'aléatoire altérera par deux fois le déroulement du tableau : via l'ordre des épreuves et surtout via leur contenu. En effet celles-ci possèdent toujours plusieurs versions, histoire de déstabiliser le joueur et maintenir l'impression d'inattendu. Nous voici donc engagés dans un ride psychédélique au cours duquel la logique et l'adresse auront une importance capitale. Après une succession de tableaux aux thèmes variés se suivront des spécial stages aux challenges impossibles, puis la course au record finira de rendre le jeu quasi éternel. Voilà en gros, comment se déroule la progression si agréable de Wario Ware, mais le jeu a bien plus à offrir. Festival Pop ArtProbablement jamais un jeu vidéo ne s'était à ce point libéré des conventions graphiques pour se laisser aller à la folie douce du symbolisme abstrait et de la référence. Ce que nous propose Wario Ware, c'est une tempête représentative, un melting-pot visuel et culturel qui ne peut que forcer le respect et émoustiller les sens. Les jingles sonores minimalistes y côtoient un "montage" épileptique dans un festival de variété stylistique. Les plus déjantés des clips MTV ne sauraient atteindre la moitié de la richesse accumulative du jeu. Un simple carré de traits blancs sur un fond noir ; une poupée de japanime à la larme suintante et aux pixels harmonieux ; un cent mètres haie crépusculaire profilé à la mode CPC ; un combat de King of Monsters mettant en scène un Mario villaidgpipeulisé ; un doigt visant approximativement un trou de nez au design d'ardoise magique ; un skateboarder bleu silhouetté façon 80' ; une banane scannée à déguster sur un fond étoilé ; autant de cadres, de compositions géométriques, de thématiques de teintes qui s'entremêlent, s'entrechoquent et se complètent plus vite qu'il ne faudrait pour les cataloguer. Il y a dans ce dandysme des développeurs une fraîcheur, voire même une noblesse à traiter la forme avec dédain et respect tout à la fois, à soigner la médiocrité visuelle comme à jongler nonchalamment avec les codes. C'est de cette accumulation supersonique et épileptique de différents styles, de différentes finitions et de ces révérencieuses irrévérences que naît l'impression d'un regard lumineux sur l'histoire des jeux vidéo. Le rythme du jeu participe grandement à l'efficacité de l'ensemble, faisant de cette mixture une musique syncopée comme si un DJ s'amusait à remixer à la volée des centaines de souvenirs vidéoludiques. C'est bien là qu'il puise sa plus grande force créative. Il ne se contente pas de juxtaposer des styles différents, il les intègre à une chorégraphie de son et de lumière aussi cohérente qu'un morceau de musique. A ce titre, les petits jingles appropriés à chaque situation de façon doucement ironique s'enchaînent avec une grâce de l'instant, de chaque seconde, comme si un nouveau langage se créait devant nos sens en émois. Les jeux sont si courts que nous n'avons le loisir d'entendre que le début de quelques timides mélodies aux accents surannés et mélancoliques, aussitôt balayées par le violent jingle qui annonce le prochain jeu, puis de nouveau l'accalmie easy-listening d'une complainte électronique, le jingle, de plus en plus rapide, encore une mélopée à la fougueuse futilité des jeux vidéos ancestraux, le jingle sans relâche.... Et ainsi de suite, nos oreilles et nos sens ne se lassent plus de se faire violenter dans la plus habile des tempêtes de sensations. L'essence recherchée d'un ludisme primalCar oui, il est bien sûr avant tout question de sensations, de sens dans Wario Ware Inc. Il y est question de la plus pure notion ludique qui puisse être, cette recherche de maximisation de la simplicité, d'optimisation de l'instinctivité, mais plus que cela, de la quête d'une logique universelle du jeu vidéo, d'une sorte de grammaire basique et fondamentale des mécaniques ludo-électroniques. Wario Ware pose une question simple : A quel mécanique de l'esprit peut-on associer la plus primaire des actions au pad ? Appuyer sur un bouton. C'est en déclinant ce cas de figure exemplaire à l'infini qu'il dresse une carte impressionnante de la richesse du concept vidéoludique. Appuyez par réflexe instinctif, par stratégie prédictive, par observation, par déduction logique. C'est tout d'abord à un véritable festival de l'intellect que nous invite le jeu Nintendo. Nécessitant une logique certes simpliste, mais toujours renouvelée, il propose à nos cellules grises une gymnastique qu'elles sauront apprécier comme une salade de fruit bien fraîche en plein été. La variété fantaisiste voir grotesque des situation rencontrées rapproche presque le jeu d'une série d'exercice d'éveil pour enfant. Cette cible facile dut d'ailleurs être visée avec précaution par le développeur, à n'en pas douter. Mais n'y voyez pas là un reproche. Endormir un chat, manger une banane, compter des grenouilles, garer une voiture, attraper un bâton rouge en pleine chute, éviter une patate sur roue, faire attraper un coeur à un caméléon, un poisson à une grue, effrayer des badauds en jouant les monstres, faire esquiver un marteleur fou à un volatile protégeant son oeuf... C'est l'incohérence et le n'importe-quoi qui régissent le programme offert à nos neurones, et c'est en cela que le jeu trouve son charme. Cet acte si simple, répété à l'infini durant des heures, devrait vite devenir plus bêtifiant et sordide qu'une habitude d'ouvrier à la chaîne, mais il n'en est rien. La variation de rythme, l'intégration de notre action à une composition audiovisuelle dynamique et surtout, la diversité des actions symbolisées rendent cet exercice naturel et agréable au possible. Voilà une bien belle démonstration de la richesse du concept vidéoludique. Une étendue symbolique musclée associée à un ludisme sans fioriture, on ne peut rêver mieux comme tribut à ce que fut l'essence véritable, l'intention première des jeux vidéos. Tout y etait question de représentation de nos actions, de prolongation de nos sens dans l'ivresse artistique. Quoi de plus fidèle alors, à cet état d'esprit initial, qu'un jeu ne cessant de métamorphoser le graal du joueur, la représentation formelle de son effort en le laissant apprivoiser de sa main confiante le mécanisme instinctif d'une interface familière. Wario Ware n'est bien sur pas parfait. Il trouve probablement sa plus grande faiblesse dans la façon dont il axe la difficulté de ses challenges sur leur durée. C'est de plus en plus vrai à mesure que l'on s'avance dans la partie record du jeu. Il faut souvent allier à l'adresse et à la concentration la patience de répéter de nombreuses fois de longs cheminements pour arriver à briller dans les charts de Wario. Le confort n'y est donc pas optimal, mais le concept explosif de ce jeu suffit à lui donner une pèche qui séduira n'importe quel joueur en mal de réflexion et de dextérité. Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum (14 réactions) |