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Nintendo Virtual Boy
1995 - 1996
Une tentative très audacieuse de Nintendo dans le secteur des 32-bits, qui se solde par un échec.
Par Marc G. (01 décembre 2003)

Du virtuel...

Inventeur de génie et ingénieur talentueux, cet homme n'est autre que Gunpei Yokoi. Nous lui devons, entre autres choses, les Game & Watch et autres Gameboy .

Je ne vous présente plus Nintendo : des Game & Watch à la Super Famicom, chaque système commercialisé par cette société est synonyme de succès. Mais parfois, il arrive que même les plus grands se fourvoient dans des projets disons... hasardeux.

Retour en arrière. Nous sommes alors en avril 1993 et la célèbre entreprise commande la conception du successeur de la portable maison, la Game Boy, à l'équipe responsable de cette dernière. Elle est à l'époque dirigée par l'illustre Gunpei Yokoi, concepteur (entre autres) des Game&Watch et de la Game Boy. Mois après mois, le développement se poursuit et des informations commencent à filtrer : Ce sera une console 32-bits basée sur le principe du casque de réalité virtuelle. Elle ne bénéficiera pas de la couleur, les écrans nécessaires à ce type de console consommant bien trop d'énergie. Nom de code du projet : 32 VR.

Pour ce faire, la firme a racheté un procédé technologique permettant une projection rétinienne de l'image (similaire à celui employé par l'armée américaine pour certains casques d'hélicoptères). Malheureusement, plusieurs problèmes viennent assombrir le futur de cette machine. Premièrement, l'opinion publique : l'hystérie collective au sujet de l'épilepsie est encore présente dans bien des mémoires. Imaginez donc un instant la tête des parents en voyant tous ces chérubins jouant au dernier Mario, un casque vissé sur la tête. Impensable. Deuxièmement, l'organisme : Que deviendront nos yeux avec un tel système de projection sur la rétine après quelques heures de jeux seulement ? Abominable. Dernier tracas, et non des moindres, la sécurité : le casque virtuel isole complètement le joueur du monde réel. Que se passe-t-il si, dans le feu de l'action, l'enfant se déplace ? Ingérable. Nintendo aime l'innovation, mais pas à ce point. La firme abandonne alors les prototypes de casques pour se rabattre sur une technologie moins révolutionnaire, mais bien plus sécurisante. Nous sommes maintenant au dernier trimestre 1994 : le marché des consoles 16-bits commence à décliner au pays du Soleil Levant et les meilleures équipes nippones travaillent déjà d'arrache pieds sur les projets 32-bits...

...au concret

La vision du marché 32 bits par Nintendo. Une surprise de taille.

Lors de sa présentation fin Novembre 1994 au Shôshinkai (salon dédié aux machines Nintendo) de Tokyo, on peut enfin se faire une idée sur la console et les jeux du constructeur nippon. La bête est en fait un appareil hybride entre la portable et le système de salon. Le concept, répondant au doux patronyme de Virtual Boy n'a cependant rien de virtuel, le sens japonais de ce mot ayant une signification différente du nôtre.

L'appareil se compose en fait de 3 éléments bien distincts : Le masque, le support et la manette. Son utilisation est des plus aisées : le joueur vient poser son visage contre le masque, ce dernier étant placé sur le bipied, et joue à l'aide de la manette, qui contient les batteries de la console. Les cartouches viennent s'insérer dans le masque qui comprend aussi l'électronique du système. Prolongement de la Game Boy, le Virtual Boy hérite de l'affichage monochrome de cette dernière, restitué en quatre nuances de rouge, parmi un choix de 32, sur fond noir, le tout dans une résolution de 384x224. La technologie de restitution de ces images est en fait un dérivé du Private Eye, prototype de casque VR développé par la société Reflection Technology, Inc., basée dans le Massachussets (l'engin aussi été proposé à Mattel, Hasbro et Sega, sans succès). La DRAM est de 1Mo et la SRAM de 512 Ko. Pour le son, la stéréo digitale 16-bits est de la partie, fidèlement restituée par 2 petits haut-parleurs intégrés au système. Nintendo promet alors des effets Surround pour la version finale, voire même une émulation software du Q-Sound (ces deux dernières promesses ne seront finalement pas tenues). Le tout est orchestré par un microprocesseur V810 32-bits de chez NEC, cadencé à 20 Mhz.

L'autonomie en fonctionnement est de 7 heures pour 6 piles alcalines de type AA. La capacité des cartouches s'échelonne entre 16, 24 et 32 Mbits (2, 3 et 4 Mo) pour un prix variant de 5000 à 6000 yens (de 250fr/37,5€ à 300f/45€). Le poids du système est de 760 grammes, est son prix est fixé à 19.800 yens (environ 1000fr/150€), sans jeux. Les perspectives de vente sont de 3 millions de systèmes et 14 millions de cartouches sur la première année. Durant cette période, la commercialisation est prévue sur les 2 principaux marchés (Japon et USA), Nintendo redoutant une insuffisance de ses capacités de fabrication pour une distribution mondiale (la Super Famicom et la Game Boy sont alors toujours en vente). La sortie, accompagnée de 3 softs, est fixée au mois d'avril 1995.

Nintendo prévoit une grande campagne d'information pour sensibiliser et expliquer le produit à un public non familiarisé à ce genre de machine. Ce défi commercial et technique est peut être le plus ambitieux jamais relevé par la société.

La réalité virtuelle vue par Nintendo : un concept ambitieux pour un système décidemment très original.

Ci dessus, les 3 premiers jeux proposés par Nintendo : Teleroboxer, Mario Bros VB et Space Pinball. Si les effets 3D sont très impressionnants, le concept et l'intérêt de ces jeux semblent des plus classiques. La firme de Kyoto compte limiter le nombre de sortie, interne ou externe, à 1 par mois. Cette restriction permettra d'éviter les déboires des logithèques Game Boy et Super Famicom, où les plus grandes splendeurs côtoient les pires abominations.

Ci dessus, Les différents éléments du Virtual Boy : le masque et sa mousse anti-reflets sur lequel le joueur place son visage, le port cartouche, les molettes de réglage focus et réglage pour la distance séparant les yeux, les haut-parleurs, le support pour le bipied, les fiches joypad, câble link et casque ainsi que le réglage du volume.

Le bipied et son bouton d'insertion/retrait du masque ainsi que le serrage pour le réglage en diagonale de l'engin.

On termine avec le détail du pad, dernier élément du système : On distingue l'emplacement pour les piles, le bouton on/off et le câble. Nintendo nous livre une fois encore une manette extrêmement ergonomique avec sa croix de direction (qui se voit doublée pour une utilisation en gaucher) et ses boutons A, B, Select et Start. Notons enfin les deux boutons L & R situés derrière la manette, non visibles sur l'illustration.

Les positions idéales pour profiter pleinement de la machine : Le support doit être plat et parfaitement stable, ce qui exclut évidemment toute portabilité. Pour la première fois, Nintendo déconseille l'utilisation de la console aux enfants de moins de 7 ans. Terminons en signalant qu'un emploi abusif (plus de 15 minutes) de l'engin provoque généralement des migraines chez l'utilisateur (c'est du vécu). On note aussi, cas rarissime, qu'on ne peut jamais regarder le pad pendant qu'on joue.

Fonctionnement

Mais comment simuler un relief à partir d'une surface plane ? C'est ce que je vais tenter de vous expliquer dans les lignes qui suivent. Notre oeil gauche et notre oeil droit visualisent chacun une image différente, due à la distance qui les sépare. A partir de ces 2 images, le cerveau en recrée une, unique, avec une impression de profondeur : le fameux relief (essayez donc de jouer au tennis en ne gardant qu'un oeil ouvert, résultat garanti).

La vision en relief découle du fait que les yeux fournissent au cerveau des images décalées. Question existentielle : le cyclope appréhendait-il une réalité comparable à la nôtre ?

Sachant cela, il "suffit' de simuler ce processus. Le Virtual Boy s'appuie en fait sur une structure similaire à celle de l'oeil humain, c'est à dire un ingénieux système de parallaxe. De petites LED (Light Emitting Diode) forment sur un miroir mobile une image par oeil. Le balayage du miroir tirant parti de la persistance rétinienne de notre oeil (tout comme le téléviseur classique). L'affichage se fait ici en rouge, la couleur étant techniquement possible par l'ajout de LED bleues et vertes. Ces dernières auraient cependant provoqué un prix 3 fois plus élevé pour une résolution 3 fois moindre.

Sur l'image ci-dessous, les trois points rouge indiquent, de gauche à droite :
- La LED envoyant un faisceau de lumière rouge
- Le foyer concentrant les rayons lumineux sur le miroir
- Le miroir mobile sur lequel se forme l'image

Toute première fois

D'abord prévue pour avril 1995 au Japon, la console ne se retrouve finalement sur les étals des magasins que le 21 juillet de cette même année. Officiellement : le nombre de jeux n'étant pas assez conséquent, Nintendo a cru bon de reculer la date du lancement. A tort ou à raison ? La réalité est plus nuancée : l'accueil, plutôt mitigé, fait par les professionnels du secteur lors de la présentation en novembre 1994 et la forte concurrence des plates-formes 32-bits ont obligé la firme nippone à réviser sa stratégie. Baisse de prix (15.000 yens - environ 800fr/120€ - au lieu de 19.800) et rapprochement avec la sortie sur le sol américain (août 1995, 179$) en sont les principaux changements. Une invasion du vieux continent, qui ne se matérialisera cependant jamais, est d'ores et déjà planifiée pour la mi-96. Le système est accompagné de 3 softs à sa sortie, d'autres programmes, conçus par Nintendo et les éditeurs tiers, devant suivre très rapidement.

Le package américain du Virtual Boy. Sur ce coup, Nintendo s'est montré d'une avarice déplacée : vendre un système de salon (quoiqu'en dise certains) sans adaptateur secteur... Le jeu Mario Tennis, excellant au
demeurant, est cependant livré avec. Notons le coupon de réduction sur les piles Duracell fourni dans la boîte.

A propos de ces derniers : sur environ 200 entreprises contactées par le géant de Kyoto, 161 se disent prêtes à soutenir ce nouveau concept. Malheureusement, seule 13 d'entre elles auront le temps d'éditer des titres sur ce support.

Le lancement au Japon se révéle être un désastre (on parle de moins de 50.000 ventes) et la commercialisation aux Etats-Unis n'arrive pas à redresser la barre. Une déclaration, par Mr.Yamauchi (big-boss de Nintendo à l'époque) himself, à ce sujet est même faite au Shôshinkai 1995 : "Malgré le manque de titres originaux, nous pensons qu'elle est toujours vendable. Je veux tout reprendre à zéro et concevoir des titres qui feront la différence pour le Virtual Boy. Je veux un nouveau départ en 1996". Beaucoup de "je veux" qui ne changeront pas le funeste destin de cette console hybride. La machine, qui représente le premier véritable échec de Nintendo sur le marché du jeux vidéo, ne trouvera en tout que, approximativement, 500.000 acquéreurs. Elle est délaissée courant 1996 par son géniteur dans l'indifférence la plus complète.

Miroir, mon beau miroir

N'ayant guère vécu plus de 2 ans, la console n'a pu proposer de multiples modèles. La voici donc dans son unique habillage, déjà bien connu des consoleux que nous sommes. Profitant de l'engouement pour la réalité virtuelle (chaque constructeur a au moins un casque dans ses cartons à l'époque), la machine ressemble à une espèce de paire de jumelles montées sur bipied, horrible selon certains, magnifique selon d'autres (zut, je me suis trahi !). On ne peut nier que le constructeur nippon à fait preuve d'une extrême originalité. Remarquons que ce fut la seule console Nintendo, enfin je pense, à être livrée en kit (le bipied devant être fixé au masque).

Juste un mot au sujet du paddle : Il se révèle véritablement ergonomique (une habitude chez Nintendo) et parfaitement adapté aux types de jeux de la machine. Comme d'habitude, la pause s'effectue en pressant le bouton "start". Côté accessoires, on dispose une fois encore d'un choix hallucinant : Un transformateur pour la mise sur secteur et un câble link pour relier 2 consoles entre elles. Terminons par les rumeurs et autres espoirs les plus fous : Adaptateur couleurs (Reflection Technology), adaptateur Super Famicom et/ou future N64...

La Virtuathèque

Avec un palmarès de moins de 30 titres, la logithèque du Vitual Boy n'a franchement pas su marquer les esprits. Si la console ne bénéficie d'AUCUN véritable hit, elle profite cependant de quelques jeux qui méritent votre attention : Mario Tennis, Mario Clash, Wario Land et Vertical Force. Le plus grand problème n'est pas tant la dimension technique des jeux proposés, la 3D offerte par le système donnant réellement une nouvelle dimension au gameplay, que le type de programmes mis sur le marché : action, sport, puzzle-game... Du classique très classique, trop classique qui pourtant, d'après ses concepteurs, représente le style de jeu idéal pour ce genre de console.

De plus, les méventes du Virtual Boy lors de son introduction sur les différents marchés l'ont privé du soutien des plus grands éditeurs (Capcom, Konami...). A noter que Nintendo, dans le souci d'attirer un maximum de "third-parties", exerça ses traditionnelles pressions : Les éditeurs développant sur Virtual Boy furent les premiers à recevoir les kits de développement pour la future N64. Coïncidence ?

Si vous êtes tout de même tenté par l'affaire, sachez que plusieurs émulateurs sont disponibles : Reality Boy, ViBE et Virtual-E (la liste n'est probablement pas complète).

La suite en images

Mario Clash rappelle fortement la première version parue sur Game & Watch. La profondeur de l'aire de jeu lui apporte cependant une... dimension supplémentaire.

Le shoot'em up revisité par Hudson : des effets à la Thunderblade (version arcade), des attaques sur plusieurs plans, une réalisation convaincante. Ce jeu plaira aux fans du genre.

Mario Tennis : une jouabilité exemplaire, la possibilité de pratiquer en double. Un jeu à la profondeur saisissante.

Red Alarm est un shoot'em up en 3D fil de fer proposant 4 vues différentes. Coconuts à fait du bon boulot.

Wario Cruise est un jeu de plate-forme classique se déroulant sur plusieurs plans. Une valeur sûre.

Teleroboxer vous propose de combattre 7 robots en 5 rounds d'une minute chacun. Des effets 3D convainquants pour un jeu rapidement lassant.

Avec ce Virtua Tetris, BB Ace tente de rééditer l'exploit de son prédécesseur sur Game Boy. Malgré 1 mode de jeu inédit, c'est raté.

Voici une liste, non exhaustive, des jeux édités ou prévus sur Virtual Boy

Commercialisés :

- Jack Brothers (?/action-puzzle)
- Nesters Funky Bowling (?/sport)
- Virtual Fishing (?/sport)
- Virtual Bowling (Athena/sport)
- SD/Gundam Dimension War (Bandai/stratégie)
- Virtual Tetris (BB Ace/puzzle)
- Red Alarm (Coconuts/shoot'em-up)
- Space Squash (Coconuts/sport)
- Panic Bomber (Hudson Soft/puzzle)
- Tobidase! Baniban (Hudson Soft/puzzle)
- Vertical Force (Hudson Soft/shoot'em-up)- Ins Mouse Hotel (I'Max/?)
- Virtual Lab (J-Wing/puzzle)
- Galactic Pinball (Nintendo/simulation)
- Mario Clash (Nintendo/plate-forme)
- Wario Cruise (Nintendo/plate-forme)
- Mario Tennis (Nintendo/sport)
- Teleroboxer (Nintendo/sport)
- Waterworld (Ocean/shoot'em-up)
- Space Invaders Virtual Collection (Taito/shoot'em-up)
- Virtua Golf (T&E Soft/sport)

Rumeurs :

- Doom (?/First Person Shooting)
- Brutal (Gametek/Baston)
- Bomberman (Hudson Soft/puzzle)
- Virtual League Baseball (Kemco/sport)
- Killer Instinct (Nintendo/combat)

Conclusion

Nintendo, le précurseur. C'est ce que l'on peut en effet penser en voyant ce système. Cependant, la vérité est ailleurs : fruit de l'héritage de la portable maison (affichage monochrome, transportabilité, aspect graphique très Game Boy), la console hésite entre le salon ou la (grosse) poche (poids réduit mais impossibilité de jouer en "tout terrain"'). La réalité virtuelle étant un terme particulièrement "hype" à l'époque, la machine au look binoclasse et au concept plus que fumeux surfe indubitablement sur cette valeur on ne peut plus ajoutée. On peut aussi concevoir que l'engin fut une modeste tentative d'occupation du terrain 32-bits par la firme nipponne.

Néanmoins, faisons fi de ces tergiversations douteuses et cherchons les points forts de la chose : prix réduit, aspect technique novateur et puis... plus rien. Par contre, pour les points négatifs : Le mal de tête intempestif après 15 minutes de jeu, combiné à la banalité de la plupart des titres disponibles (pour ne pas dire tous), le tout ajouté aux critiques dubitative de la presse (qui se gardait bien, probablement par intérêt ou politesse, de trancher) et aux points énumérés ci-dessus ont fait que les consommateurs et distributeurs ne s'y sont pas trompés. Le premier véritable fiasco pour la firme au plombier. Comme quoi, il vaut parfois mieux laisser tomber certains projets que rechercher leur aboutissement. Maintenant, pour les quelques collectionneurs intéressés par le Virtual Boy, cela reste une console facile à dénicher et à l'aspect définitivement unique.

Illustration du Virtual Boy dans le Joypad n°38. Prémonitoire ?
Marc G.
(01 décembre 2003)
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