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Spy vs Spy
Année : 1984
Système : Amiga, Amstrad CPC, Apple II, Atari 8-bits, Atari ST, BBC, C64, Master System, MSX
Développeur : First Star
Éditeur : First Star
Genre : Action / Stratégie
[voir détails]
Par JPB (04 mai 2009)

Est-ce que vous connaissez ces deux personnages, ces deux corbeaux impitoyables qui n'ont qu'une idée en tête : éliminer l'autre ? Si oui, bravo, il faut avouer qu'en France ils ne sont pas très connus. Sinon, je vais tout d'abord planter délicatement le décor.

Les présentations : White à gauche, Black à droite.

Petit préambule : MAD et la BD "Spy vs Spy"

Mad est un journal satirique américain, créé par l'éditeur William Gaines et le rédacteur et auteur Harvey Kurtzman, en 1952. Sa mascotte deviendra rapidement Alfred E. Neuman, que vous verrez un peu plus bas.
Dans ce magazine, on parodie la culture et la publicité américaines (et comme au début, il n'y a pas de pub dans le journal, il n'y a pas de crainte de représailles...). Des dessins et bandes dessinées y trouvent leur place, et finissent par être une partie de l'âme de Mad. Vous trouverez des infos sur Mad sur le site officiel, et sur Wikipedia.

Alfred E. Neuman.
Antonio Prohias.

Les petites bandes dessinées de Spy vs Spy apparaissent dans Mad en 1961. Leur créateur, Antonio Prohias, a fui Cuba l'année précédente. Le thème de cette bande dessinée est toujours le même : une exagération de la Guerre Froide, symbolisée par deux espions de pays différents. Parfois leurs ambassades respectives les envoient récupérer les mêmes infos, ou d'autres fois il n'y a pas besoin de raison : leur unique but est d'éliminer l'autre à tout prix.
Prohias indiquait systématiquement, sur la page, "By Prohias" en morse : -••• -•-- •--• •-• --- •••• •• •- •••.

Ils se haïssent... Ce n'est rien de le dire !

Les deux espions, Black et White, sont deux corbeaux absolument identiques, si ce n'est comme leur nom l'indique, la couleur de leurs vêtements (pantalon, imperméable et chapeau). Tous deux rivalisent d'astuce ou de bêtise, ça dépend des fois, pour arriver à détruire, que dis-je : exploser, atomiser, trouer, découper, hacher, bref : faire disparaître l'adversaire. Et pour cela, ils utilisent des moyens parfois radicaux (bombe, missile, ou couteau) et parfois complètement loufoques, du même acabit que les fameux pièges à souris qui nécessitent l'action de nombreux mécanismes pour faire tomber la cage. Très souvent, leur sécurité passe au second plan tellement leur haine est féroce (j'adore particulièrement l'illustration ci-dessus où les deux espions sont dans le hachoir).

Deux exemples de la BD Spy vs Spy, et un exemple de la BD Spy vs Spy vs Spy (avec l'espionne Grey).
Cliquez sur une case pour une version plus grande de la BD.

Aucun des deux ne représente le gentil ou le méchant ; comme je le disais plus haut, étant identiques, ils sont de force égale, et bénéficient des mêmes armements. Ils gagnent chacun leur tour, et bien sûr on ne peut pas prendre parti pour l'un d'eux. Une femme espion (Grey) apparaît parfois entre 1962 et 1965. Dans ce cas, les deux espions Black et White, qui en sont amoureux, sont tous deux les perdants de ses stratagèmes. On verra aussi de temps en temps les chefs des deux espions, notamment pour leur donner leurs ordres de mission, mais cela reste anecdotique.

Les deux frères ennemis sont tellement célèbres qu'on les voit dans des revues techniques ou des pubs.

Prohias a passé la main en 1988, d'autres ont repris la suite des aventures des deux espions. Il est mort en 1998.
Vous trouverez des infos sur la BD sur Wikipedia, ainsi que sur ce site non officiel. Les espions ont été dérivés en nombreux supports, notamment des petits cartoons durant moins de 30 secondes chacun, visibles sur Youtube.
Il est maintenant temps de parler du jeu proprement dit.

La boîte du jeu, version Amiga.

Frères ennemis pour la vie

Spy vs Spy est donc adapté en jeu micro dès 1984, sur les micros Atari de l'époque, sur le C64 et sur Apple II. Le but du jeu est simple : réussir à trouver les plans secrets, et s'enfuir de l'ambassade avec. En plus des plans, l'espion doit récupérer une clé, de l'argent et un passeport. Et pour tout transporter en une fois, il lui faut absolument le sac. C'est sans nul doute l'objet à récupérer en priorité, ou on est obligé de porter les objets un par un : aucun espoir de gagner.

L'écran de présentation sur Amiga.
Le menu d'options au début du jeu.

Au début du jeu, les options proposées permettent de régler la difficulté sur 8 niveaux (pour jouer dans une ambassade composée de 6 à 36 pièces, avec ou sans étages) et l'intelligence de l'ordinateur : si à 1 il est franchement bourrin, à 5 c'est un vrai calculateur, qui n'hésitera pas à piéger de nombreux meubles ou tableaux en plus de sa mission principale. On peut ensuite proposer d'afficher la sortie dès le début, ou de la cacher tant qu'un des espions n'a pas récupéré tous les objets. Et enfin, on peut choisir de jouer contre l'ordinateur ou contre un adversaire humain. Hé oui : dans tous les cas il y a les deux corbeaux à l'écran, et il faut bien regarder ce que fait l'adversaire pour ne pas tomber dans un de ses pièges !

Agents 00... 0 !

Au début du jeu, les deux corbeaux sont parachutés dans l'ambassade, et se retrouvent dans la même pièce (l'écran du bas passe en rouge, car Black se trouve exceptionnellement dans l'écran de White).
Libre à vous de choisir d'affronter immédiatement l'adversaire, ou de fuir pour mieux le piéger par la suite. Un combat se joue au joystick : en appuyant sur le bouton et en dirigeant la manette soit verticalement, soit horizontalement. Au bout de huit coups (un coup qui fait mouche se traduit par un bruit sourd), l'adversaire est éliminé et son âme s'envole lentement vers les limbes... pour un court instant de jeu, mais son compte à rebours diminue bien plus (pénalité).

Le début du jeu, les espions sont dans la même pièce de l'ambassade, du coup, ils sont dans le même écran.
Ici, j'ai lapidé mon adversaire qui s'envole vers un monde meilleur (notez mon rictus sardonique).

Le Trapulator (TM)

Il faut ensuite s'organiser : accéder au Trapulator pour examiner le plan des lieux. Au quoi, me direz-vous ? Eh bien, le Trapulator, c'est l'écran situé à droite de la fenêtre de jeu. On y accède en appuyant deux fois sur le bouton de tir, et on y trouve notamment tous les pièges qu'il est possible de mettre en place. Hé oui, n'oubliez pas que les deux corbeaux sont machiavéliques et ne reculent jamais devant un mauvais coup pour piéger l'adversaire... Dans l'ordre, on trouve : la bombe et le ressort (qui piègent un meuble), le seau d'eau et le pistolet (qui piègent une porte), et la bombe à retardement qui explose dans une pièce au bout de quelques secondes.

PIÈGEUTILISATIONREMÈDEEMPLACEMENT REMÈDE
BombePartout sauf portesSeau d'eauBoîte rouge (sur mur de gauche)
RessortPartout sauf portesCisaillesBoîte blanche (sur mur de droite)
Seau d'eauUniquement portesParapluiePorte-manteau>
Pistolet à filUniquement portesCiseauxKit de premiers soins (sur mur du fond)
Bombe à retardementPartout--

À part la bombe à retardement, chaque piège a son outil de désamorçage, mais il faut parfois faire pas mal de chemin pour trouver celui qu'il faut, car on ne trouve pas de tout dans chaque pièce...

La carte du premier niveau (6 pièces) et celle du rez-de-chaussée du niveau 8 (36 pièces sur 2 étages).
Attention : on ne voit pas l'emplacement des portes, des échelles ou des trappes.

Les deux corbeaux, livrés à eux-mêmes, vont donc arpenter toutes les pièces de l'ambassade afin de trouver le sac marron, qui pourra transporter les différents éléments à récupérer. La carte inscrit un point noir dans chaque pièce où se trouve un des éléments ; mais elle n'indique pas le chemin pour y accéder : ni les portes, ni les échelles ou les trappes ! Le carré noir qui clignote indique votre position ; pour connaître celle de votre ennemi, il faudra attendre qu'il regarde SA carte !

Le Trapulator donne aussi d'autres informations : les objets transportés, et le temps restant à l'espion avant que l'avion ne s'envole. Perdre un combat (comme on l'a vu plus haut) mais aussi être victime d'un piège entraîne un décompte de temps (pénalité). Il faut bien surveiller son compte à rebours.

Je t'aime, moi non plus.

Chemin faisant, les deux agents vont pouvoir s'en donner à cœur joie et laisser libre cours à leur haine. Et cette haine entre les deux corbeaux se traduit par la pose de pièges un peu partout, soit au hasard, soit de façon réfléchie. Sachant que les éléments à récupérer sont dans des meubles, on peut décider de piéger le meuble dans lequel on a planqué volontairement un des objets, afin de ralentir l'adversaire, mais on peut aussi piéger TOUS les meubles de la pièce où se trouve cet objet ! Vu qu'il faut forcément arriver jusqu'à un des éléments, on peut aussi choisir de piéger les points d'accès (un bon seau au-dessus d'une porte fait toujours son petit effet... tant que l'adversaire n'a pas pris un parapluie). Et bien sûr, on peut mélanger un peu tout ça, sans oublier que le corbeau ennemi fait exactement la même chose... et surtout, sans oublier où on a placé ses propres pièges !

J'ai voulu ouvrir le meuble blanc... Black y avait mis un
ressort, me voici catapulté contre le mur d'en face.
D'ailleurs Black remet ça en dessous, regardez son Trapulator !
Si j'avais fait attention, j'aurais vu Black poser le
ressort, et j'aurais utilisé les cisailles pour désamorcer
le piège... Cette fois par contre, j'ai prévu le coup !

C'est là que le fait d'avoir les deux agents à l'écran, et de pouvoir suivre leurs actions, est particulièrement bien pensé. Sur le principe, rien de ce que fait l'autre ne doit pouvoir vous échapper, vu qu'il est constamment visible... Mais comme il faut quand même agir de son côté, on oublie parfois de le surveiller, et on fonce tête baissée en face d'un pistolet... ou on se trompe de salle et on se fait bêtement avoir parce qu'on croyait que c'était l'autre meuble dans lequel se trouvait la bombe... C'est réellement machiavélique. Et comme toujours dans ces cas-là, c'est tellement meilleur contre un adversaire humain !

Black est allé chercher un seau d'eau pour neutraliser
la bombe que l'avais placée dans une télé...
Pas de chance.
Décidément, Black aime bien les ressorts !
Moi, pendant ce temps, j'ai trouvé le sac marron.

Au niveau des pièges, est-ce qu'on peut dire que l'ordinateur triche ? Je ne me rappelle pas souvent avoir vu Black tomber dans un de mes pièges... Il a l'œil l'animal, il voit tout ce que je fais et il semble se rappeler de tout ! Pourtant Tilt indique qu'il se fait avoir la plupart du temps... Je n'y ai peut-être pas assez joué.

La victoire

Une fois que vous avez récupéré le sac marron, et mis dedans les plans, la clé, les sous et le passeport, il faut encore arriver à dénicher la fameuse porte vers l'aéroport... Celle qu'on ne peut pas franchir tant qu'on n'a pas réuni tous les objets. Mais cette fois, au terme d'une lutte acharnée, White l'ouvre, et se précipite vers l'avion pour décoller vers sa nouvelle mission. Vous me direz : ça aurait tout aussi bien pu être Black ! C'est vrai, mais comme toujours, c'est le meilleur qui gagne... jusqu'à la prochaine fois !

En fonction du score, vous obtenez un grade. Mais c'est secondaire... Avoir battu l'autre reste le plus agréable !

J'ai tout sur moi, il ne me reste plus qu'à partir par la porte.
Et voilà, je suis un as !

S'il est tout à fait possible d'espérer gagner en fonçant, et en trouvant tous les objets au plus vite, ceci n'est faisable que si l'adversaire n'utilise pas de pièges. Aux premiers niveaux de difficulté, on peut finir la partie contre l'ordinateur en quelques minutes, sans courir le moindre risque, car lui aussi fait le forcing sur la récupération des objets. Pour que le jeu en vaille la chandelle, il faut augmenter son intelligence artificielle - ou trouver un copain !

Pour finir...

Comme vous avez pu voir, ce n'est pas réellement visuellement que Spy vs Spy présente un intérêt notable. N'oubliez pas toutefois qu'il est d'abord sorti sur 8-bits, puis sur 16/32 bits.

Versions Apple II...
... MSX...
... C64...
... Atari 400/800 XL...
... Spectrum...
... et NES.

Graphiquement, c'est fidèle à la BD, avec un petit look cartoon. On reconnaît bien les corbeaux, les éléments du décor... Tout passe bien.
L'animation est efficace, les corbeaux courent, tapent, fouillent grâce à quelques sprites. Il faut dire qu'il n'y en a pas beaucoup car les animations elles-mêmes sont peu variées...
Le son est des plus simples, et la musique en cours de jeu n'a rien d'exceptionnel. Rien de bien impressionnant de ce côté.

C'est donc le côté "Spy vs Spy", surtout contre un adversaire humain, qui fait la grande force de ce jeu. Comme pour Barbarian par exemple, c'est là qu'il donne toute sa saveur et qu'il montre toutes ses possibilités. Y jouer seul est agréable mais on passe à côté de bonnes crises de rigolade (et de baffes).

Le Tilt n° 20 d'Avril 1985 fit paraître un super dossier sur le jeu. Le voici : cliquez sur chaque image pour une version lisible.

Deux suites sont sorties dans la foulée du premier : Spy vs Spy II : the Island Caper et Spy vs Spy III : Arctic Antics. Leur succès a été nettement moins important...
Depuis, un nouveau Spy vs Spy a été lancé sur Game Boy en 1999, et encore un autre jeu, en 3D cette fois, sur XBox, PS2 et Game Cube (version abandonnée ?) en 2004.

Un petit mot sur Mike Riedel avant de terminer cet article. Il a commencé à écrire des jeux vidéo, tout en fréquentant le Rochester Institute of Technology. En 1982, il rejoint Atari comme Game Designer / Programmeur et adapte le hit arcade Robotron 2084 sur Atari 2600. C'est Spy vs Spy qui est son premier grand succès international, il en est concepteur, programmeur, et artiste. La seule photo que j'ai vue de lui date de cette époque, c'est celle que vous verrez sur la première page du dossier Tilt sur Spy vs Spy, disponible ci-dessus. En tant que développeur de jeux indépendants, il forme avec Vince Desi la Riedel Software Productions en 1986. Depuis, il a conçu et développé de nombreux autres jeux originaux basés sur les principales licences, y compris des personnages de Rue Sésame, Warner Bros, Disney... Il a participé aux adaptations de Commando, de Ikari Warriors ou à des jeux tels que Gremlins 2, The Hunt for Red October... En 1997 les deux associés changent le nom de la société qui devient... Running with Scissors, à qui on doit le controversé Postal et ses suites. Vous trouverez plus d'infos à ce sujet sur Wikipedia.

Spy vs Syp fut testé :
- dans le Tilt n°18 de Janvier/Février 1985 en version Atari 400/800 (6/6) ;
- dans le Gen4 n°1 d'Octobre 1987 en version Sega Master System (75%) ;
- dans le Gen4 n°3 de Mars/Avril 1988 en version Atari ST (73%).

Spy vs Syp reçut les prix suivants :
- le Tilt d'Or 1985 du Jeu le plus original.

JPB
(04 mai 2009)
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