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Nightshade Part 1 : The Claws of Sutekh
Année : 1992
Système : NES
Développeur : Beam Software
Éditeur : Ultra Games
Genre : Aventure / Point'n click
Par Tama (31 août 2015)

J'adore les sentiers battus.

Si si, sérieusement. Sans eux, comment ferait-on pour s'en écarter ? Comme toute lumière apporte sa zone d'ombre, tout genre de jeu dominant amène avec lui ses exceptions parfois étonnantes. Tenez, on fait un petit test ! Nous cherchons aujourd'hui sur la NES un point'n click qui n'est pas une adaptation d'un jeu issu du PC ou du micro (exit LucasArts et Sierra) et, mieux encore, qui intègre des phases de beat'em all.

Hé, c'est étonnant, vous étiez prévenus !

Pourtant, le genre a bel et bien existé sur NES, même s'il a souvent été cantonné au Japon avec des titres obscurs se jouant à la première personne. Or, si je me fie a l'article du site Hardcore Gaming 101, il y a eu un total de six jeux d'aventure typé point'n click sur la console de Nintendo hors du Japon. Déjà-vu, Uninvited, Shadowgate ainsi que Maniac Mansion sont des portages issus des micro-ordinateurs des années 80, et King's Quest V est une tentative d'adaptation franchement discutable...
Il nous reste donc notre sixième larron, un type bien mystérieux drapé dans son trench-coat et son fedora piqués à Dick Tracy. Il est temps pour l'unique Nightshade de sortir de l'ombre ! Paru en janvier 1992 sur la NES américaine seulement, il est le fruit du studio Beam Software qui a officié notamment sur micros avec The Hobbit et The Way of the Exploding Fist. Le studio s'aventure donc un peu en dehors de sa zone de confort avec un titre pareil.

La ville de Metro City était autre fois une métropole calme où il faisait bon vivre. Hélas, la criminalité semblant opérer comme la marée, les gangs s'emparent bientôt de la ville. Vortex, le héros local, est bien vite débordé et se fait tuer par des gangsters qui commencent à se mettre sous les ordres de Sutekh, criminel mégalomane éprouvant une fascination malsaine pour la mythologie égyptienne. Comme toute action entraîne une réaction, c'est au tour de Mark Gray, citoyen lambda, de reprendre le flambeau de Vortex et de combattre Sutekh et sa clique, sous le pseudonyme de Nightshade.

Le jeu débute sur une introduction toute en texte et en images, avec la mort de Vortex et l'arrivée de Nightshade.

Ses premiers pas sont pourtant catastrophiques puisqu'il se fait capturer dès le début du jeu ! On commence attaché à une chaise, et une bombe menace de nous exploser au visage alors que Sutekh nous laisse seul à notre sort. On est donc contraint, et ce dès les premiers instants, de trouver une solution pour nous en sortir. Fort heureusement la solution est assez évidente et la bombe, de mauvaise qualité, se contente de faire de gros dégâts sans nous tuer. Cette scène d'ouverture a le mérite d'introduire deux choses, la première étant le système de pièges liés aux vies supplémentaires. Quand Nightshade meurt, il n'y a pas d'écran de Game Over : vous vous retrouvez à la place piégé dans une pièce avec un système meurtrier crée par Sutekh. Après un petit speech, il vous laisse à une mort certaine... mais il y a un moyen de vous en sortir ! Si vous vous échappez, vous récupérez toute votre énergie et pouvez repartir à l'aventure, mais si vous échouez, la partie est terminée. À chaque fois que vous « mourez », vous devrez affronter un piège différent, et le cinquième est fatal. Vous avez donc cinq vies en tout et pour tout, mais c'est un système unique et très naturel qui n'a pas besoin de compteur.

Ici, les deux premiers pièges de Sutekh. Sur le premier, il faut s'échapper d'un tapis roulant avec un concasseur au bout en étant ligoté ; le second vous demande d'arrêter un pressoir rempli de piques alors que vous êtes enfermé dans une pièce...

La seconde étant l'humour à la fois noir et absurde : en effet, le joueur, comme Nightshade, constate qu'il y a une bougie juste à côté de lui sans aucune raison logique, mais qui est l'occasion parfaite de faire brûler les liens et de se libérer de sa chaise. Les occasions de faire rire ne manquent pas, entre ce portrait incroyablement banal qui ne cesse de changer de visage, les articles de journaux ornés de blagues d'un goût douteux (« Man eats fence... and lives ! ») et les descriptions fantastiques de Nightshade (« It's thoroughly unremarkable, except... NO! Wait a minute! It's got... No, sorry, it is unremarkable. »). Pourtant le jeu sait aussi garder sa patte sérieuse empruntée à l'imagerie des films noirs américains, et ce grâce à une qualité d'écriture remarquable. De plus, le jeu ne se contente pas d'un texte bien écrit, il s'appuie aussi sur du texte annexe avec des inscriptions murales très réussies, dont vous vous régalerez dès lors que vous aurez trouvé le moyen de traduire l'égyptien...

Cet humour est très représentatif du défi que ce jeu s'est imposé : attaquer plusieurs fronts en même temps. Si on prend Batman comme exemple, on sait que Bruce Wayne porte de multiples casquettes. Il est PDG, expert en combat à mains nues, inventeur de génie, mais aussi détective et philanthrope renommé. Cependant, jamais le moindre jeu estampillé Batman n'abordera toutes les facettes du chevalier noir en même temps ! On distribuera des mandales dans tous les sens, on utilisera toute sa panoplie de gadgets, mais jamais on n'inventera nous-même l'antidote au venin du Joker par exemple, ou nous ne mettrons jamais les pieds dans l'orphelinat de Gotham afin de rencontrer des orphelins...
Nightshade, lui, fait le pari d'aborder toutes les activités du héros de front. Le gameplay est pour cela divisé en deux parties qui sont centrées sur les touches A, B et Select de la manette NES. Tout d'abord, la partie point'n click à proprement parler où l'on passe la plupart de notre temps. On contrôle Nightshade avec les touches directionnelles, une pression sur la touche Select met le jeu en Pause et ouvre un menu d'actions contextuelles. Il suffit de choisir laquelle et de valider avec A pour faire apparaître un curseur à l'écran qui sert à choisir sur quoi effectuer l'action (les choses intéressantes sont signalées dans le menu quand le curseur passe dessus), ou B pour revenir en arrière. Les actions sont les suivantes :

  • Examine : vous donne une description de l'objet concerné. C'est une des actions les plus utiles, à tel point qu'on n'est même pas obligé de passer par le Menu Select, une simple pression sur A fait apparaître le curseur pour pouvoir examiner à l'envie. Examiner quelque chose permet parfois de pouvoir faire une action plus précise dessus.
  • Pick up : permet de prendre ou ramasser un objet.
  • Operate : la seconde action la plus utile du jeu puisqu'elle permet d'interagir directement avec les objets aux alentours. Il est également possible de la combiner avec un objet de votre inventaire : il suffit de faire apparaître le curseur, puis de faire B pour choisir un objet pour accompagner l'action. En fait, Operate est si utile qu'elle a un raccourci dédié via le bouton B, comme Examine.
  • Use : permet d'utiliser un objet sur quelque chose, une personne ou le décor par exemple. Fait clairement doublon avec Operate.
  • Item : pour voir les objets présents dans notre inventaire. Ne sert pour ainsi dire à rien.
  • System : permet d'activer ou non les musiques, de régler le volume des effets sonores ou de quitter la partie. Eh non, pas de système de sauvegarde ! J'y reviens plus tard...
  • Jump : pour sauter par-dessus des trous ou des éléments nocifs. Ne sert en tout et pour tout que trois fois dans le jeu, mais elle évite de mourir bêtement.
  • Talk : pour engager la conversation avec les gens, et plus généralement avec toute personne vivante. N'a que rarement d'utilité réelle, mais les dialogues sont si savoureux qu'il serait dommage de passer à côté !
  • Fight : pour engager le combat. Ceci dit, il suffit de rentrer en contact avec un ennemi pour que le combat commence, alors je me demande encore à quoi cette commande peut bien servir... à part se faire un ennemi juré !
Nightshade a beau ne pas avoir de « pouvoirs », il est tout de même capable de parler aux écureuils et aux mouettes. Non, ça ne sert à rien, mais c'est tout de même très drôle !

Et comme Nightshade est là pour éradiquer le crime de Metro City, il lui faudra faire parler les poings. Quand notre justicier rencontre un ennemi, le jeu marque une pause via un jingle tout droit sorti d'une série télévisée, puis passe en mode Combat. Un affrontement se déroule sur un seul plan en 2D, le plus souvent contre un seul ennemi, parfois deux. On déplace Nightshade normalement, mais A permet de sauter, et B de frapper. Le combat se termine si la jauge de vie de l'ennemi ou de Nightshade tombe à zéro (dans le deuxième cas, on tombe dans un piège de Sutekh).
Un combat remporté fait monter une deuxième jauge, la Popularité. C'est un facteur qui n'est que trop rarement pris en compte dans les jeux avec des héros - ce qui est compréhensible car on part du principe que le héros en question est bien connu dès le début. Il faudra pourtant vous faire connaître des habitants de Metro City car, voyez-vous, Nightshade s'est en quelque sorte improvisé « héros »... mais il n'en a que le titre ! Alors, à part casser la figure aux méchants (ce qui ne rapporte pas grand chose), il faudra vous retrousser les manches et accomplir des actes « héroïques » : aider le chat de mémé à redescendre, sauver une jeune fille d'un immeuble en flammes, aider le restaurateur du musée à reconstruire un fossile de dinosaure, ou encore sauver un vieux des assauts d'une ninja féministe. Arrêtez de vous marrer trente secondes, il n'y a pas de petit héroïsme ! La gestion de la popularité est indispensable au tout début du jeu, elle devient en revanche très secondaire ensuite, même si elle vous garantit l'entrée dans certains lieux.

Le gameplay très particulier de Nightshade apporte son lot de doutes et de questions, et parmi elles : est-ce que ça marche ? Eh bien... oui, ça marche. Ça boitille pas mal, ça se cogne les doigts de pied dans les portes, mais ça marche !
Commençons par ce qui coince. Tout d'abord, comme vous avez pu le voir lors de la description des actions quand on explore la ville, c'est tout de même brouillon. Use - et peut-être Jump - aurait gagné a être fusionné avec Operate et Talk, Fight et Item ne servent à rien. Fort heureusement on s'y retrouve très vite et le plaisir de jeu n'en souffre pas.
Pour ce qui est des combats, le point positif est que c'est très jouable. Notre personnage se déplace facilement et répond bien aux commandes, l'action est lisible en toutes circonstances et il n'y a pas de triche sur les masques de collision. Le point négatif, c'est qu'il n'est pas très bien pensé... Le principal problème, c'est que parmi les trois coups dont dispose Nightshade (B debout, B accroupi et B + Haut), il n'y en a qu'un seul de valable : c'est le B accroupi, car c'est lui qui a la meilleure portée. Les deux autres sont tout simplement inutiles ! De plus, on est surpris dès le début du jeu par la vitesse assez élevée de ces combats, et il peut arriver de se faire tabasser alors qu'on est pris au dépourvu.
En fait c'est une question d'habitude, le but est d'arriver à placer notre coup de poing accroupi, soit en restant baissé, soit en sautant dans le dos de notre adversaire. Les ennemis sont de difficulté très variable : les Anglais sont complètement idiots, les rats le sont à peine moins (il suffit de sauter pour éviter leur crachat, on les fait tomber, et ce jusqu'à la mort). Les robots-Anubis et les momies sont un peu plus difficiles car il ne faut surtout pas se retrouver devant eux ! Les premiers sont vulnérables au moment où ils se tournent pour vous faire face, les seconds doivent subir un combo de 3 coups dans le dos. Les femmes ninja, quant à elles, demandent une technique à part, mais rien d'insurmontable, il suffit d'attendre leur téléportation, d'éviter leurs shurikens à distance et de les taper vite quand elles arrivent dans votre dos. Au bout de quelques temps, même les plus coriaces des gangsters s'inclinent sous nos poings, il faut juste apprendre à se battre.
Il faut aussi ajouter à cela la composante typique des point'n click, qui est de peiner à trouver ce qu'il faut faire ensuite, et donc de balader son curseur un peu partout dans l'espoir de trouver le bout d'écran qu'on aurait raté...

Les méchants sont adorables, à leur manière, entre la maîtresse Ninja qui maudit le sexisme ambiant et le grand Sutekh qui révèle son point faible si on le lui demande gentiment... !

Ce qui fait que Nightshade est inoubliable, c'est qu'il est l'illustration parfaite de l'expression « le tout est davantage que la somme des parties ». Pris séparément, chaque élément de gameplay paraît pauvre ou bancal ; mais mis ensemble, leur combinaison fait des merveilles, tout d'abord parce que ce n'est jamais insurmontable, et puis parce que le tout est formidablement bien écrit, jonglant avec talent entre les codes des films noirs et l'humour qui fait mouche.
Enfin, et c'est la raison pour laquelle il n'y a pas de système de sauvegarde, le jeu est en fait très court, il se boucle en une heure quand on sait ce que l'on fait. On fait donc le constat étrange que le jeu a des défauts marqués, mais on n'a pas le temps de s'énerver car la partie est déjà finie, et on ne garde donc que le meilleur. En réalité, la plus grande qualité de Nightshade est d'avoir un charme incroyable et irrésistible, en plus d'oser aborder la thématique du héros sur plusieurs plans de jeu à la fois et d'être ce qu'il est, un mélange contre-nature et détonnant sur une console qui n'a jamais vu une chose pareille.

Le titre du jeu laisse présager une suite... On peut tout à fait imaginer un second épisode où Nightshade contrerait une invasion ninja, et un troisième où un Sutekh revanchard s'allierait avec les écureuils anarchistes pour mettre le monde à sa botte ! Je ne raconte pas vraiment n'importe quoi en plus, vu les plans machiavéliques des vilains de cette histoire. Seulement voilà ; malgré son « Part 1 », Nightshade n'a jamais eu de suite. Était-elle prévue puis annulée pour cause inconnue, ou était-ce encore une blague de l'équipe de développement ? Nous ne le saurons hélas jamais... mais ça n'empêchera pas Beam Software de récidiver un an plus tard sur Super Nintendo, puisqu'ils seront les auteurs de l'adaptation très estimée de Shadowrun, qui héritera de certains éléments de Nightshade.

On trouve des articles assez époustouflants dans le journal local... Comme quoi, quand on veut (faire du Ninjutsu), on peut !

Pour finir cet article, je voudrais encourager celles et ceux qui le liront à essayer le jeu, en tentant d'amortir légèrement sa difficulté. Les indications sur les directions à prendre sont bien là mais quelque peu vagues, et Metro City est une grande ville (40 écrans en extérieur, sur une grille de 8 fois 5) où il est facile de mettre les pieds au mauvais endroit. Le jeu se divise en trois grandes phases :

  • La première, après s'être échappé des égouts, consiste à rejoindre l'ancien repaire de Vortex afin de faire le point sur ses découvertes à propos de Sutekh. Mais hors de question de rentrer au quartier général du héros de la ville en étant un moins que rien, il va falloir monter votre Popularité au niveau 5 minimum. Il y a moult tâches à faire afin que la population vous apprécie, mais évitez pour l'instant les extrémités est et ouest de la ville, vous avez largement de quoi faire au centre et au nord. En plus de récupérer plusieurs objets comme de la nourriture, de l'herbe à chats et une échelle, vous pouvez commencer la chasse aux infos sur Sutekh. Une fois votre Popularité à 5, rendez-vous au repaire qui se trouve en plein centre-ville, dans une ruelle un peu crade, et examinez quelque chose d'assez étrange...
  • La seconde vous demande d'isoler les quatre artefacts égyptiens à la source du pouvoir de Sutekh. Prenez les quatre dômes de protection dans le repaire (il y a une machine de soins intégraux, mais elle ne marche que quatre fois !) et privilégiez les bâtiments publics. Il y a au moins trois moyens de savoir quels sont ces fameux artefacts mais, à tout hasard, il s'agit d'un diamant, d'une couronne, d'une statue et d'un parchemin.
  • La troisième consiste à mettre la main sur les cinq scarabées qui servent de clés au repaire de Sutekh. Là, par contre, vous n'aurez pas d'autre choix que de vous aventurer dans les parties les plus dangereuses de la ville... Le premier scarabée se trouve au tout début où vous étiez prisonnier (en fait, on peut le récupérer dès le début du jeu) ; les autres sont entre les mains des Anglais, des Ninjas, des Rats et d'un géant planqué dans une boîte de nuit. Et pour finir, vous devrez vous rendre à l'extrême nord-ouest de la ville, au cimetière, pour accéder au repaire et mettre fin aux agissements de Sutekh.
Voici le plan complet de l'extérieur de la ville (il vient du site PopGun Chaos).
Avec de la persévérance, vous arriverez peut-être à finir le jeu à 100%, et vous serez récompensé par ce somptueux message !
Tama
(31 août 2015)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
Remerciements au site Hardcore Gaming 101, comme d'habitude, pour ses précisions historiques et pour l'image de la jaquette du jeu. Tous les screenshots ont été faits par votre serviteur, à partir de l'émulateur Nestopia.
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