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King's Quest IV: The Perils of Rosella
Année : 1988
Système : Amiga, Apple II, Apple IIGS, Atari ST, DOS
Développeur : Sierra On-Line
Éditeur : Sierra On-Line
Genre : Aventure
Par MTF (30 septembre 2022)

Il y a de cela quelques années, j'avais parlé de deux jeux d'aventure importants pour l'histoire du jeu vidéo : King's Quest, premier du nom, qui est reconnu comme le premier jeu d'aventure graphique à éléments animés ; et King's Quest V, qui fut le premier à se dispenser de commandes textuelles au profit d'une interface iconique qui fera école. Entre ces deux titans, je veux parler aujourd'hui de King's Quest IV, peut-être moins cité dans les encyclopédies mais à l'importance, pourtant, tout aussi considérable. Deux choses sont effectivement à noter ici : techniquement, le jeu a été l'un des premiers à supporter, sur ordinateur, les cartes son et autres périphériques du temps type sound blaster ou MT-32. Ensuite, et notablement, il s'agit de l'un des premiers jeux d'aventure, si ce n'est le premier, à nous faire diriger une femme, et non un homme, en la personne de la princesse Rosella, fille du roi Graham.
Celui-ci effectivement se meurt, foudroyé par ce qui ressemble à une crise cardiaque. L'heure est morne, et l'espoir maigre. Tandis que Rosella, récemment délivrée d'un furieux dragon par son frère Alexander (événements relatés dans King's Quest III), se lamente dans la salle du trône, la bonne fée Genesta la contacte via le miroir magique récupéré dans le premier épisode. Sensible à sa douleur, elle lui apprend l'existence d'un fruit magique, censé guérir tous les maux, poussant au royaume lointaine de Tamir dont elle est la régente. Hélas, une odieuse sorcière, Lolotte, lui a volé un talisman magique, source de son pouvoir, et menace de devenir toute-puissante. Elle propose alors à Rosella de la faire venir dans son royaume et lui enjoint de retrouver ledit talisman, et ledit fruit, avant vingt-quatre heures, sans quoi, tout sera perdu...

Un début fort triste, et une introduction assez bien faite, qui met de suite dans l'ambiance.

Comme on le voit, King's Quest IV reprend à son compte tout un fonds mythologique médiéval, présent depuis les origines, avec ces histoires de bonnes fées, de sorcières, de miroirs enchantés. On rajoutera ici des licornes, Cupidon, Pan, une baleine géante qui nous gobe comme Jonas et même des zombies, dans une sorte de mic-mac délirant qui ne se soucie plus guère d'une quelconque cohérence, voire d'une quelconque narration suivie. Depuis le premier épisode, et cela ne s'est jamais vraiment démenti tout au long de la saga des King's Quest, Roberta Williams s'est toujours plus intéressée aux situations de jeu qu'aux intrigues ou à son univers à la géographie fantasque, aux règles changeantes et à la continuité discutable. Si cela apparaît clairement aujourd'hui, il faut se rappeler qu'à l'époque, nous n'en avions cure : tout ce qui nous importait, c'était les énigmes, le dépaysement, l'inventivité. Et avec cet épisode, nous avons clairement tout cela.
King's Quest IV est du reste un peu plus qu'une suite, même en ôtant ses innovations techniques et narratives. Il propose une évolution du genre de l'aventure, du moins, du genre de l'aventure tel que Sierra l'envisageait à l'époque, et s'autorise même à réduire légèrement la difficulté proverbiale de la série. Certes, on trouvera là encore des énigmes absconces et des situations bloquantes à foison, mais au regard des deux épisodes précédents qui sont encore notables pour leur absurdité et leur complexité, c'est définitivement un pas vers la bonne direction.

L'ogre vous capturera sans scrupules, alors que Cupidon fait trempette... Subtilisez donc son arc !

Ludiquement, le jeu ne se démarque pas franchement des épisodes précédents. Notamment, on dirige toujours le personnage au clavier, et un interpréteur syntaxique vous permet d'interagir avec l'environnement. La qualité de ce dernier s'est notoirement améliorée, et il accepte à présent bien plus de mots et de verbes qu'auparavant. C'est globalement une bénédiction, tant l'on sait, dans les jeux antérieurs, que l'on pouvait échouer non parce qu'on n'avait pas la bonne idée, mais qu'on ne savait pas la formuler. En contrepartie, le système est occasionnellement un peu trop permissif. On peut ainsi indistinctement utiliser les termes « girl », « women », « grandma »... pour interagir avec n'importe lequel des personnages féminins du jeu, ce qui est pour le moins surprenant. Le jeu se rattrape, si l'on peut dire, en exigeant encore une grande ingéniosité quant aux commandes qu'il faut rentrer, mais cela facilite grandement nos premiers pas dans cet univers.
Malheureusement, on retrouve encore un certain nombre de problèmes qui, hélas, ne seront éliminés que dans King's Quest V. Tout d'abord, la position relative de Rosella au regard de l'objet avec lequel elle doit interagir. Cela n'est pas toujours très clair, et le jeu attend généralement d'être très exactement à un certain endroit de l'écran pour autoriser l'interaction. Si cela peut se comprendre, éventuellement, avec des petits éléments, des livres ou des sacs, cela devient plus frustrant quand on doit mettre une bride à une licorne ou discuter avec une personne. Je ne m'y suis jamais totalement fait, et cela m'a parfois agacé plus que de raison.

L'interpréteur vous permet maintenant de regarder sous les objets (« look under ») et de faire de nouvelles actions (« clean house »). Même si le lexique reste simple, n'hésitez pas à avoir un dictionnaire d'anglais sous la main.

Au rang, également, des décisions de design particulièrement imbéciles, il faut citer un certain nombre de situations aléatoires qui viennent sincèrement influencer le plaisir de jeu. Beaucoup de personnages importants apparaissent, ou non, dans certains écrans, et autant l'on peut les croiser dès la première fois, autant on peut les chercher longtemps. La palme revient cependant à ce ver de terre qu'un merle fait sortir du sol, et que l'on doit absolument récupérer pour progresser dans la partie. Certaines fois, je l'obtiens après une ou deux minutes de jeu ; parfois, il me faut faire des aller-retours pendant dix minutes pour avoir la chance de le croiser. Je n'ose cependant imaginer, à l'époque et sans guides en ligne, comment l'on pouvait deviner cela, comme on peut errer longtemps sans rencontrer ce qu'il nous faut.
Profitons-en d'ailleurs pour parler des énigmes ! Si la grande majorité est plutôt logique, et si certaines solutions se déduisent par notre connaissance des fables, contes et légendes du temps (par exemple, faire le ménage dans la maison des nains, comme le faisait jadis Blanche-Neige), d'autres sont, une fois encore, particulièrement cruelles. Citons, en vrac, le troll de la grotte qui peut vous attaquer aléatoirement, ou encore la bride de la licorne, que l'on doit trouver sur une île déserte et qui est cachée par une épave de barque (!), île à laquelle nous n'accédons qu'en chatouillant la luette d'une baleine avec une plume de paon (!!) et de laquelle on s'enfuit à dos de dauphin, appelé par un pélican que l'on doit nourrir avec un poisson pêché grâce audit ver de terre dont je parlais plus haut !(!!!)

Le merle (le petit tas coloré près des deux rochers à droite) apparaît aléatoirement. Quant à la séquence de la baleine, c'est sans doute la plus célèbre du jeu.

Je peine cependant à considérer King's Quest IV comme étant le plus difficile de la série, et ce malgré ce que je viens de dire. Il faut dire, à sa décharge, que les épisodes précédents avaient mis la barre très haut, et que l'on ne pouvait guère que redescendre. En toute franchise néanmoins, et nonobstant cet épisode, fameux, de l'île déserte et de la baleine (qui sera même parodié dans Leisure Suit Larry 3), ou bien de la pelle qui se brise inexplicablement au bout de cinq utilisations, il y a moins de situations bloquantes. On meurt souvent, en revanche ! Rosella finit noyée, dévorée par les requins, les trolls, les molosses, tombe dans les précipices, se fait dévorer par les ogres... et se fait même transformer en zombie. Jamais personnage de jeu d'aventure n'aura été aussi malmené, à se demander si Roberta Williams n'y prenait pas un plaisir particulier.
Le jeu, également, réussit bien mieux à nous guider. Il expose très clairement, au début de son aventure, nos deux objectifs, donne régulièrement des points d'étape et nous renseigne assez bien avec plusieurs indices. Si on gagne très volontiers à consulter une solution pour se sortir des guêpiers les plus dangereux, je pense que l'on peut terminer l'aventure en un délai plutôt raisonnable, même si cela nous obligera sans doute à sauvegarder souvent, et à parfois tester un peu tout.

Lolotte, malgré son nom... particulier, est une méchante assez terrifiante. Quant aux sorcières... eh bien, il ne faut pas se fier aux apparences !

L'effort est cependant d'autant plus volontaire, que le jeu est techniquement bluffant. Pour son époque, certes et déjà : sa compatibilité avec les cartes sons autorise des compositions franchement merveilleuses, que je vous invite à écouter ci-dessous, et l'engin SCI de la compagnie produit à présent des chefs d'œuvre graphiques qui rendent le jeu particulièrement plaisant. Il était impressionnant en 1988, il demeure aujourd'hui coloré et chatoyant, digne représentant d'une esthétique « retro » à laquelle j'ai toujours été sensible.
Les animations sont sans doute plus faiblardes, même si non dénuées d'un certain charme, mais le reste rattrape largement le tableau. On notera particulièrement que le jeu gère un cycle jour/nuit (là encore, d'une façon assez nouvelle pour l'époque), et que la première version du jeu proposait un recoloriage intégral de ses décors pour l'occasion, pour un effet garanti. Les éditions subséquentes se contentèrent de rajouter des étoiles dans le ciel, hélas, mais le concept général reste intouché.

La même scène, de jour, puis de nuit. L'effet est subtil, mais très bien rendu. Cela se produit au mi de l'aventure, lorsque vous avez récupéré le fruit magique, ou lorsque vous avez gagné à peu près la moitié des points du jeu.
La musique du générique, au début du jeu.
Le thème des sbires de Lolotte. Les pistes ne dépassent guère la minute, mais qu'elles sont bien écrites !

Après mon parcours des quatre premiers épisodes « classiques » de la série, nul doute pour moi que King's Quest IV mérite encore largement le coup d'œil. Il fut reçu particulièrement bien dans la presse de l'époque et se vendit à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. On comprendra aisément les raisons de ce succès aujourd'hui, et même s'il a incontestablement vieilli au regard de nos habitudes contemporaines, il se dégage toujours de cet épisode un je-ne-sais-quoi de fantastique.
Mettre en avant un personnage féminin, qui doit moins compter sur ses compétences physiques ou magiques au regard de Graham ou d'Alexander, mais plutôt sur sa ruse et son ingéniosité, est une idée brillante et les situations de jeu exploitent cela fort bien même si elles demeurent encore injustes, voire obscures par endroit. On se consolera cependant, et on remerciera les guides en ligne, qui permettent de profiter au mieux de ce petit jeu culte, dernier grand témoin de son époque.

Tout est bien qui finit bien ! J'espère que pendant la convalescence du roi, un sorcier ne viendra pas enlever son château et toute sa famille. Ahah, ce serait ballot...
MTF
(30 septembre 2022)