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The Great Giana Sisters
Année : 1988
Système : Amiga, Amstrad CPC, Android, Atari ST, C64, iOS, MSX
Développeur : Time Warp
Éditeur : Rainbow Arts
Genre : Plate-forme / Action
Par Laurent (29 mai 2002)
Sauf indication contraire, les captures d'écran de cet article proviennent de la version Amiga du jeu

La petite Giana et sa sœur Maria font parties des personnages les plus attachants qu’on ait vus dans un jeu vidéo. Et pourtant, leur apparition sur Commodore 64 en septembre 87 déclencha des foudres juridiques qui aboutirent au retrait du jeu de la vente. L’explication est simple : Great Giana Sisters, développé par le programmeur Armin Gessert, le graphiste Manfred Trenz et le musicien Chris Huelsbeck (formant le studio Time Warp), est une copie de Super Mario Bros, et Nintendo n’a guère apprécié la chose. L’histoire est bien connue. Pourtant, ce jeu est une petite merveille qu’aucun possesseur de C64, d’Amiga ou de ST n’a pu oublier.

Des faussaires de génie

Les deux pochettes du jeu : version C64, plutôt impertinente ("The brothers are history" !), et version 16-bits, bien plus dans l'esprit du jeu

L'éditeur allemand Rainbow Arts, avant de devenir une valeur sûre sur Amiga, s'est d'abord caractérisé sous l'influence de son co-fondateur Marc Ulrich par une politique de plagiat et un marketing provocant. The Great Giana Sisters n'est pas le seul exemple : début 88, Katakis, un clone de R-Type signé Manfred Trenz sur C64 (porté sur Amiga par Holger Schmidt), provoqua la colère d’Activision, détenteur des droits pour adapter la célèbre borne d’arcade. Tout comme The Great Giana Sisters, Katakis se caractérisait par une réalisation magnifique qui fut certainement pour beaucoup dans l’acharnement avec laquelle l’éditeur de Pitfall le fit retirer de la vente, craignant probablement de ne pas pouvoir faire mieux. La preuve en est qu'Activision décida un an plus tard de faire appel à l'équipe derrière Katakis pour réaliser l'adaptation officielle sur micros 8 et 16-bits, excellente au demeurant.

Armin Gessert, Manfred Trenz et Chris Hueslbeck

Ainsi, l'histoire a surtout retenu que l'attitude un peu suicidaire de Rainbow Arts eut le mérite de révéler des développeurs surdoués, capables de s'approcher du niveau de qualité des grands studios japonais dans des délais serrés et avec des moyens bien moindres. Rainbow Arts et toutes les équipes qui gravitaient autour sont devenus des valeurs sûres, et Manfred Trenz (Turrican et ses descendants, Rendering Ranger) ainsi que Chris Huelsbeck (un des plus grands musiciens ayant officié sur Amiga) ont connu une carrière fabuleuse. Armin Gessert (décédé en décembre 2009 d'une crise cardiaque) est d'avantage resté dans l'ombre, sans pour autant être inactif dans le bizness des jeux vidéo puisqu'il a fondé en 1994 le studio Spellbound Interactive, responsable à partir de 2001 des jeux Desperados 2: Cooper's Revenge et Desperados: Wanted Dead or Alive sur PC.

L’objet du délit

Revenons à l’objet de cet article, à savoir le pendant féminin, et surtout non exclusif aux consoles Nintendo, de Super Mario Bros. Car c’est bien de cela qu’il s’est agi : permettre aux joueurs ne possédant pas de NES de pouvoir jouer à cette quintessence du jeu de plate-forme qu’est SMB. Et si Nintendo s’est inquiété de voir diffuser un tel titre, par un éditeur qui était encore de seconde zone à l’époque, c’est bien parce que la qualité du jeu approchait dangereusement celle de son produit phare.

La petite Giana s’est réveillée ce matin dans un monde étrange où la gravité est très réduite (elle peut faire des bonds immenses) et plein d’ennemis à l’apparence pourtant sympathique veulent la tuer. Comment s’en sortira-t-elle ? La réponse se trouve vers la droite de l’écran, unique direction de ses recherches.

Dès le début de partie, deux choses sautent aux yeux : les auteurs du jeu n’ont pas cherché à cacher la parenté de leur bébé. Les couleurs, l’agencement des décors et les mouvements des ennemis sont calqués à 99% sur les premiers niveaux de SMB. Seules changent les deux héroïnes (que les joueurs dirigent chacun leur tour, le jeu à deux simultanément n’étant pas prévu), et leurs mouvements et modes d’attaque et de défense. La gravité réduite du monde dans lequel le jeu se déroule entraîne une grande inertie de mouvement (les héroïnes continuent de glisser dans la direction du déplacement lorsqu’on lâche le joystick), et la possibilité de faire des sauts plus ou moins longs en fonction de l'élan pris avant l'impulsion (le phénomène est ici encore plus marqué que dans un Mario). Beaucoup d’obstacles sont ainsi faits pour exploiter ces déplacements parfois difficiles à maîtriser : larges trous à sauter, suivis de petites plates-formes sur lesquels il faut atterrir en précision et freiner tout de suite en compensant l’inertie par un léger mouvement inverse... Une Giana Sister, ça se pilote ! Et quelques heures de vol sont nécessaires pour bien tout maîtriser. Notons qu'il n'y a pas de commande d'accélération comme chez Mario. D'autre part, il n'y a pas de bouton pour les sauts, ceux-ci se font en pressant le joystick vers le haut. Pour qui a été formé au jeu de plate-forme avec la NES et la Master System cela passera pour un archaïsme difficilement tolérable, mais sur C64, CPC, Amiga et ST c'était la norme, les joysticks utilisés avec ces micros n'ayant le plus souvent qu'un seul bouton.

La plupart du temps, en dehors du franchissement d’obstacles, les sœurs ramassent des rubis ou des diamants, et donnent des coups de tête, par en dessous, dans de petits murs de briques pour en extraire des bonus de points ou des armes. Elles sont également confrontées à une faune des plus hostiles.

Il y a 14 ennemis différents, qui ont pour la plupart une allure franchement indescriptible. Il faut les voir. Certains surgissent subitement, ce qui oblige, vu la difficulté pour s’arrêter, à une grande vigilance. Heureusement, les sœurettes peuvent se défendre. Tout d’abord en sautant sur la tête des méchants, dans la pure tradition Mario, ou en ramassant des armes extraites des murs de briques. Celles-ci permettent d’avoir un degré plus ou moins élevé d’agressivité. La première (une sorte de ballon multicolore) transforme les sœurs en petites punkettes échevelées. Elles sont alors capables de détruire les murs de briques d’un coup de tête, tuant du même coup tout ennemi se trouvant dessus. Une autre arme, l’éclair, permet de lancer des projectiles. Le double éclair rend ces projectiles capables de rebondir sur toute surface jusqu’à détruire un ennemi. Une fraise permet de lancer ces projectiles dans plusieurs directions.

Il est aussi possible, toujours en tapant dans les murs de briques, de trouver des bombes, qu’on peut actionner au moyen de la barre espace et qui détruisent tout ennemi présent à l’écran, ainsi que des montres qui stoppent les mouvements des ennemis pendant un court instant, permettant parfois de se sortir d’une mauvaise passe. Signalons enfin les gouttes d’eau, qui rendent les sœurs insensibles au feu pendant quelques instants, et les sucettes qui accordent une vie supplémentaire, autant d'idées qui montrent que les développeurs ont su malgré tout ajouter quelques touches personnelles au gameplay.

Un jeu qui n’a pas volé sa réputation

La panoplie de bonus, d’armes et d’ennemis est complète et fait du jeu une alternative de qualité à SMB. Même les passages secrets sont là : il y en a un à chacun des 32 niveaux. La maniabilité, une fois admise son importante inertie, est parfaite et permet d’acquérir une maîtrise totale sur l’héroïne dirigée. La difficulté est dans l’ensemble abordable, mais on a tendance à dilapider les vies dans les premiers niveaux, ce qui s’avère fatal par la suite (pas d’option continue). Rigueur, concentration, patience et adresse sont les maîtres mots si on veut réussir, d’autant que contrairement à Mario les soeurettes meurent au moindre contact avec l’ennemi, même si elles ont déjà une arme. Au final, malgré son level-design quasi-identique, The Great Giana Sisters n'a pas tout à fait la même manière que son modèle de se rendre difficile.

L’animation est parfaitement fluide, quelque soit la version choisie. Les graphismes réussissent à faire oublier qu’on est si proche de Super Mario Bros sur NES grâce à la sympathie qu’attirent les deux héroïnes. La musique, quant à elle, est à compter parmi les premières compositions décisives de Chris Huelsbeck. Un musicien de grand talent, capable de s’adapter à tous les styles de jeux tout en sachant se faire reconnaître dès les premières mesures.

A noter que The Great Giana Sisters est un des rares jeux dont la réalisation soit aussi satisfaisante sur 8-bits que sur 16-bits sans que ces derniers n’aient été négligés. Il est même souvent dit que la version initiale sur C64 est la meilleure. Il est indéniable que les graphismes y sont un peu plus pixelisés, mais la musique au format SID a un parfum particulier, qui semble mieux convenir. Quoiqu’il en soit, la version Amiga est excellente, tout comme celle sur ST bien que sur cette dernière le scrolling ne soit pas permanent (le décor défile par blocs lorsqu'on atteint la gauche de l'écran). Il s’agit d'un des tout-meilleurs jeux de plate-forme apparus sur ces deux machines.

Gianamania

Comment, après avoir été retiré de la vente quelques semaines après sa sortie, The Great Giana Sisters est-il devenu si populaire que des sites web entiers lui soient aujourd’hui consacrés ? Eh bien il faut d’abord savoir que le procès intenté par Nintendo n’a eu comme verdict qu’une interdiction du jeu en dehors du territoire allemand. Outre Rhin, donc, le jeu a continué a circuler librement. La qualité incroyable du travail réalisé par Time Warp et le piratage généralisé sur micros 8 et 16-bits ont fait le reste. Un titre introuvable dans le commerce, c’est un double intérêt pour le collectionneur de jeux copiés. D’abord il y a l’attrait de l’interdit, de la gratuité, et en plus le fait de faire circuler le jeu en copie est presque légitime, car du coup c’est le seul moyen d’en faire connaître la qualité au plus grand nombre.

Version C64

Il se passa la même chose pour la conversion de Rainbow Islands sur Amiga et ST. Après avoir été finalisée, sa sortie fut repoussée en raison d'un changement d'éditeur (de Firebird vers Ocean). Le temps que la situation se résorbe, une fuite avait permis que la majeure partie des possesseurs de ST et d’Amiga aient mis la main sur la version Firebird et puissent témoigner de la réussite du jeu, ce qui contribua certainement à son succès commercial. Dans le cas de The Great Giana Sisters, l’effet fut très bénéfique pour Rainbow Arts, dont les jeux originaux sortis par la suite purent se parer de la mention tacite "par l’éditeur de Great Giana Sisters, le jeu qui a fait trembler Nintendo".

Descendance

En 1990 est sortie une suite à The Great Giana Sisters, sur micros 16-bits uniquement, intitulée Hard’n’Heavy (programme et graphismes : Andreas Escher, Thomas Brockhage, Volker Eloesser). Le principe est le même, sauf que cette fois, le jeu se déroule dans un univers futuriste, et les personnages sont des petits robots dont seule la page de présentation du jeu nous révèle l'aspect féminin.

En dépit d’une réalisation parfaite et d’une musique fabuleuse de l’ami Hueslbeck, Hard’n’Heavy n'a obtenu que des critiques mitigées, car à sa sortie le concept Super Mario avait déjà considérablement évolué, et la différence entre cette suite et le premier volet n'est pas aussi marquée. Un coup manqué (édité par reLINE Software, qui récupérait souvent les miettes de Rainbow Arts) qui n’a en rien permis de faire oublier nos deux petites sœurs bien aimées. Du reste, après quelques mois de commercialisation, les avocats de Nintendo ont menacé reLINE de nouvelles poursuites judiciaires, et même si les similitudes avec Super Mario Bros sont cette fois moins frappantes, l'éditeur à préféré jeter l'éponge avant que ça n'aille trop loin. Hard'n'heavy s'est alors retrouvé à son tour banni des rayons des distributeurs, ce qui a achevé d'en faire un des grands oubliés de l'ère Amiga (même dans le forum GP, personne ne le connaissait, c'est vous dire !).

Hard'n'Heavy et The Great Giana Sisters DS

En 2009, l'éditeur allemand DTP Entertainment a commandé à Spellbound Interactive un remake/revival sur DS qui s'intitule The Great Giana Sisters DS. C'est hélas le dernier jeu sur lequel Armin Gessert ait travaillé. Sorti uniquement en Europe et en Australie, il s'agit d'un jeu de plate-forme assez différent, et très joli qui plus est (les graphismes sont superbement colorés et lisibles), mais il est possible d'y débloquer des niveaux possédant l'architecture de ceux du jeu original.

Cette fois, les développeurs ont pris soin d'éviter qu'on puisse les accuser de plagier directement SMB : les niveaux se parcourent aussi bien verticalement qu'horizontalement, et l'accent est davantage mis sur l'exploration que le franchissement d'obstacles, grâce notamment à deux nouvelles capacités : s'enfermer dans une bulle de chewing-gum pour s'élever dans les airs et faire gicler des bouteilles de soda pour détruire certains murs ou éteindre des flammes. La difficulté est toute relative, voire inexistante si on n'essaie pas de collecter les cristaux rouges placés dans chaque niveau, mais ce serait passer à côté de tout l'intérêt du jeu... Et si on les collecte, les deux derniers mondes sont juste corsés comme il faut. Avec sa maniabilité restée simple et ses superbes musiques qui reprennent et développent le thème de l'original en de multiples variations tout en conservant des sonorités comparables, cet excellent titre restitue bien le charme des jeux de plate-forme européens des eighties, y ajoutant simplement une exécution irréprochable (et un bouton de saut !). Un des meilleurs jeux de pûre plate-forme 2d sur DS, d'autant qu'il n'y en a -étonnamment- pas tant que ça sur cette console.

Signalons par ailleurs une version multi-joueurs de The Great Giana Sisters sur C64 intitulée Giana Family (jouable sur émulateur), disponible à cette adresse : http://www.stud.uni-hambourg.de/users/a kahn/

Conclusion

Vous lirez souvent que The Great Giana Sisters n'est rien de plus qu'un plagiat, qu'il n'arrive pas à la cheville du maître, et autres banalités méprisantes. D'une part c'est contestable, et d'autre part quel intérêt ? Super Mario Bros s'est vendu à 40 millions d'exemplaires, il faut croire que le hold-up de Time Warp et Rainbow Arts ne lui a pas causé grand tort... En revanche, il aura laissé de jolis souvenirs à quelques centaines de milliers d'utilisateurs de C64 et d'Amiga.

Laurent
(29 mai 2002)
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