Mastodon
Le 1er site en français consacré à l'histoire des jeux vidéo
Enduro
Année : 1983
Système : Atari VCS
Développeur : Activision
Éditeur : Activision
Genre : Jeu de Course

1983 – Ninety-nine days. The endless road.

J'ai toujours aimé Activision. De même que Konami fut un gage de qualité indiscutable sur MSX ou qu'Hudson ne déçut aucun joueur sur Pc-Engine, Activision accomplissait sur VCS de véritables prouesses techniques. Mieux : loin de privilégier la forme sur le fond, chacune de leurs productions était conçue de façon si élaborée qu'elle parvenait à passionner le joueur de façon quasi-immédiate.

Le premier titre Activision que j'offris à mon VCS fut Starmaster, un remake du hit d'Atari, Star Raiders. Cet ancêtre du cultissime Elite fut conçu par un certain Alan Miller, l'un des pères fondateurs de la firme. Le choc fut rude : jamais n'avais-je joué à un titre si complexe sur ma petite console. Une lecture du manuel, clair et détaillé comme toujours chez Activision, me permit rapidement de me lancer dans une première campagne contre l'ennemi. Quelques minutes plus tard, j'avais observé le déplacement des forces ennemies sur une carte, décidé des lieux à protéger en priorité, enclenché plusieurs vols en hyperespace, évité un champ de météorites, anéanti trois vaisseaux ennemis, endommagé mes lasers, perdu beaucoup de kérosène, procédé aux réparations de mon vaisseau en l'arrimant à une base amie, et refait le plein. J'en avais plein les yeux, et cela ne faisait que commencer.

Starmaster : la Guerre des Étoiles comme si vous y étiez.

Tant d'intuitivité impressionnait. Tant de richesse contenue dans une cartouche de seulement 4 kilo-octets fonctionnant sur une machine disposant de 128 bytes de RAM forçait le respect - suffisamment en tout cas pour exprimer en public son contentement et faire fonctionner le bouche-à-oreille. De nombreux joueurs américains prirent d'ailleurs pour habitude de passer un coup de fil de félicitations au service client que la boîte avait eu l'intelligence de mettre en place afin de créer ce lien tout particulier entre créateurs et joueurs – lien qu'Atari avait toujours négligé. En mettant ses équipes de programmation sur le devant de la scène, et en montant de véritables fan clubs autour de ses propres programmeurs, Activision humanisait une industrie qui, face au rouleau compresseur qu'était Atari, en avait bien besoin. Le message était clair : chez Activision au moins, on ne se moquait ni de ses programmeurs, ni de ses joueurs.

Quelques exemples de patchs envoyés aux joueurs ayant atteint un score élevé. À en juger par la manche du prêtre, ce dernier était un pro de Starmaster. A droite, la hotline Activision. Sur le mur du fond, des photos de fans.

C'est dans ce contexte admiratif que j'achetai les yeux fermés quelques titres Activision supplémentaires, comme le Defender-like Chopper Command, le Galaxian-like Megamania, ou l'illustre River Raid – autant de hits qui devinrent des classiques de la machine. Inutile de dire que lorsque je vis, dans un numéro de Tilt, la première publicité pour Enduro, mon sang ne fit qu'un tour. Mon rêve de jouer un jour à un vrai jeu de course sur VCS ne m'avait jamais quitté ; et désormais, il allait enfin se réaliser.

Une publicité très alléchante parue dans le magazine Tilt no.7.

Le concept d'Enduro fut, à l'évidence, très largement emprunté de Turbo. Comme son nom l'indique, Enduro constitue principalement une épreuve d'endurance dans laquelle le joueur doit avaler, en une journée de course, le plus de kilomètres possibles au travers de paysages variés tout en dépassant un nombre minimal de concurrents. De façon habile, Larry Miller, le concepteur du jeu, était parvenu à combiner de façon homogène tous les éléments qui firent de Turbo et de Pole Position de grandes réussites : à la grande variété de situations introduites par Turbo s'ajouta la finesse de conduite de Pole Position. En outre, plutôt que d'indiquer à l'écran de façon très artificielle le temps dont disposait encore le joueur pour dépasser le nombre de concurrents requis, Miller joua sur les couleurs affichées par le jeu pour simuler le passage des 24 heures séparant le départ du joueur de son arrivée. Très ingénieux, ce concept permit à Miller de donner à son jeu un degré de vraisemblance jamais atteint sur VCS : les nuits succédaient aux jours de façon si convaincante qu'il était impossible de ne pas se sentir submergé par l'impression de réalisme si séduisant de son grand frère d'arcade, Pole Position. Mieux : ce passage du temps, en raison des nombreux types de situation qu'il engendrait, influait directement sur la façon de conduire du joueur, la conduite de nuit imposant une attitude bien plus prudente que celle de jour.

Dans Enduro, tout est lié, rien n'est laissé au hasard. Et en ces temps reculés plus encore que de nos jours, c'est cet esprit de perfectionnisme qui plaça ce jeu en tête des meilleures simulations de conduite jamais développées sur console domestique.

La jaquette d'Enduro, dans le plus pur style Activision. Signe distinctif : l'arc-en-ciel du logo de la marque, repris sur tous leurs boîtiers.

Enduro – ou comment allier réflexes et stratégie au plaisir de conduite.

Une simple pression sur le bouton « feu » et le jeu commence. Devant moi, la route s'étend à perte de vue. Le pied sur l'accélérateur, la voiture démarre et atteint rapidement une vitesse assez impressionnante. Tandis que j'avale les premiers kilomètres que mon tableau de bord décompte à la manière d'un vrai, quelques concurrents apparaissent à l'horizon. Un, puis deux, puis trois : chaque dépassement réduit mon décompte de voitures à rattraper d'autant. Lors de cette première journée, il m'est demandé de dépasser 200 véhicules. Lors des journées suivantes, obligation me sera donnée d'en dépasser 300.

Près de 6 kilomètres parcourus, et déjà 11 véhicules dépassés.

Très vite, les premiers virages me contraignent à modérer ma vitesse d'un coup de joystick vers l'arrière. Certes, l'inertie est loin d'être aussi poussée que celle de Pole Position, mais elle reste suffisante pour me contraindre à corriger ma trajectoire en permanence, chose essentielle en raison du caractère parfois très délicat de certains dépassements. Le moindre crash est très handicapant : en plus de me faire perdre un temps précieux, il donne la possibilité à de nombreux concurrents de me dépasser à leur tour, m'éloignant un peu plus de mon objectif. Les sorties de piste sont ici impossibles, mais heurter le bord de la route me ralentit considérablement. Le temps passe ; je n'ai pas le choix : il me faut accélérer.

Et je me dis que Miller est un malin. Non contente d'augmenter considérablement la vitesse de défilement de la route et des voitures qui y roulent, toute accélération déplace lentement, mais sûrement, mon bolide de quelques millimètres vers le haut. En me plaçant ainsi plus proche de l'horizon, j'éprouve plus de difficultés encore à éviter les voitures concurrentes sans les percuter. Le principe, déjà vu dans Turbo, ajoute encore à la cohérence parfaitement géniale de ce jeu : veut-on jouer prudemment afin de dépasser tous les concurrents, quitte à engranger un nombre de kilomètres limité en fin de journée, ou préfère-t-on jouer le high score en prenant tous les risques et finir la journée après avoir parcouru une distance record ?

Je choisis la seconde solution. De toute façon, la vitesse de croisière des concurrents augmentera tellement dès la deuxième journée que j'ai tout intérêt à m'habituer le plus vite possible à rouler sur le fil du rasoir si je ne veux pas être rapidement éliminé.

Horreur : la verte plaine a cédé sa place à de vastes steppes enneigées. Le temps de réaction de ma voiture est considérablement ralenti, tandis que le temps tout court, lui, continue de tourner. Je choisis de rouler à vitesse modérée sans accélération ni freinage brusques. Étonnant : le bruit qu'émet mon moteur est comme assourdi par la poudreuse environnante. Quel souci du détail !

Sur la neige, garder une bonne trajectoire n'a rien d'aisé.

Quelques accidents plus tard, je quitte les froides contrées et traverse un long désert. Au loin, au-dessus des montagnes, le ciel change peu à peu de couleur : un subtil dégradé le fait passer du bleu au rouge-orangé. Je comprends soudain que la nuit s'apprête à tomber. Ni une ni deux, j'appuie sur la pédale d'accélérateur afin de prendre un peu d'avance avant d'affronter l'obscurité.

Le crépuscule, façon Atari VCS.

Il fait maintenant nuit noire. Désormais, seuls les phares arrières des voitures adverses sont visibles. Je me fais rapidement à cette nouvelle donne, et dépasse avec une certaine aisance une partie de la meute. Hélas, c'est sans compter sur un épais brouillard qui, en tombant brusquement sur la région, me contraint à modérer mes ardeurs : cette fois, tout dépassement à grande vitesse devient proprement suicidaire. Avec une distance de visibilité réduite de moitié, les feux adverses semblent surgir à moins de dix mètres de mon capot. Je jette un œil à mon tableau de bord : il me reste encore une trentaine de voitures à dépasser avant que la lumière du jour ne refasse son apparition. J'ai bien roulé, mais le tour de l'horloge est proche.

La conduite de nuit ne pose aucune difficulté majeure. Lorsque le brouillard tombe, en revanche...

Le brouillard se lève enfin ; le soleil ne va pas tarder à en faire autant. Je profite de l'aubaine pour dépasser les derniers concurrents. Un signal sonore retentit : ça y est, c'est l'aube. Trois, deux, un... zéro ! Ouf, mission accomplie – un court thème musical signifie mon succès. Je profite du fait que les 24 heures ne se soient pas encore totalement écoulées pour augmenter encore mon kilométrage. C'est que je veux obtenir mon patch Activision de « Roadbuster », moi!

Avec l'aube, je parviens à dépasser les derniers concurrents.

Ça y est, la seconde journée démarre, sans la moindre pause. Mon tableau de bord indique 300. 300 voitures à dépasser en vingt-quatre heures... Je ne perds pas une seconde, et accélère à fond. La victoire est à ce prix.

Courage ! Encore 295 véhicules à passer.

Une réalisation intelligente

Certains diront que la réalisation graphique d'Enduro laisse à désirer. Ils n'auront pas tort : à côté d'autres productions similaires sur VCS comme l'adaptation de Pole Position sortie quelques mois plus tard, Enduro fait presque pâle figure. Mais comment reprocher à Miller d'avoir voulu privilégier, avec les 128 bytes de RAM de la console, le contenu plutôt que le contenant ? Et puis, franchement, le résultat visuel d'Enduro n'a absolument rien de déshonorant, bien au contraire. Certes, quelques détails décevront les aficionados du genre : les voitures, qui ressemblent à tout sauf à des voitures, ne tournent jamais dans les virages, et le décor environnant est totalement inexistant ; mais l'ambiance que Miller est parvenu à recréer avec deux bouts de ficelle est l'exemple parfait d'un usage intelligent du hardware limité du VCS.

Ainsi, afin de simuler la rotation des pneus des voitures, Miller pensa à faire apparaître un simple grillage de pixels en alternance avec sa forme inversée. Le résultat fut moins convaincant que l'animation très réussie des roues d'un ancien hit d'Activision de David Crane, Grand Prix, mais il eut été difficile de reproduire cet effet de rotation sur une myriade des véhicules adverses zoomant avec tant de fluidité depuis la ligne d'horizon. En tout état de cause, le choix de Miller fut, sans aucun doute, le meilleur compromis.

+ =
Quel effet d'optique ! (on ne rit pas, au fond)
Grand Prix : un soin tout particulier fut apporté à l'animation des pneus.

De la même façon, comment mieux simuler l'obscurité de la nuit qu'en remplaçant purement et simplement la forme au final complexe des véhicules concurrents par deux gros rectangles rouges censés représenter leurs feux arrières? Et que dire de l'effet de brouillard, formidable de réalisme, qui ne repose pourtant que sur l'association de la couleur grise et d'un masquage total de la moitié supérieure de l'écran ? Tout, absolument tout dans Enduro, a été pensé dans les moindres détails.

Au-delà de ces entourloupes visuelles - que l'on appréciera ou pas -, force est d'admettre que d'un point de vue purement technique, Enduro impressionne ; tout d'abord parce que, comme souvent dans les productions Activision, aucun scintillement n'est à déplorer (fait rare sur VCS) ; et ensuite parce que, contrairement à de nombreux jeux actuels acceptant avec le plus grand des naturels une cadence de 30 images/seconde, l'animation d'Enduro reste d'une fluidité parfaite de bout en bout. Les voitures, pourtant nombreuses et en haute résolution, zooment de façon étonnamment limpide (rien à voir avec Pole Position et ses blocs de pixels jaunes souffrant de la maladie de Parkinson), l'angle de vue varie avec les déplacements latéraux de la voiture avec beaucoup de naturel, et les subtiles sinusoïdes agitant le bord de la route reflète bien la vitesse sidérante que l'on peut atteindre ici. Avantage d'un tel soin dans la réalisation : une précision des commandes absolument redoutable permettant les manœuvres les plus osées.

Bien entendu, l'implémentation de tels prodiges techniques dut, au moment de leur conception, s'accompagner d'un sacrifice majeur : l'absence totale d'intelligence artificielle. Comme souvent à l'époque, les voitures adverses ne se dépassent pas, mais, surtout, roulent à vitesse constante le long de trois rails parfaitement définis: le rail de droite, le rail de gauche, et celui du milieu. Fatalement, une telle contrainte peut nuire de façon sensible au plaisir de jeu que l'on éprouve à long terme, puisqu'aucun comportement imprévisible de la part d'un adversaire ne peut venir mettre à mal une stratégie de conduite longuement éprouvée. Conscient de cet état de fait, Miller tenta donc de donner un rôle tout particulier au rail du milieu. De loin le plus dangereux des trois en raison de sa position, ce rail n'est que très rarement occupé par un concurrent lors des premières journées. Dépasser des dizaines de véhicules en maintenant une position centrale lors des premières heures de course est donc la meilleure stratégie à adopter. Il n'en va toutefois pas de même lors des journées plus avancées, puisque très vite, ce rail se voit encombré d'un nombre croissant de voitures, rendant les dépassements parfois extrêmement délicats. Comme l'indique Miller dans la partie « Tips » de son manuel, se faufiler entre deux voitures quasi voisines peut s'avérer beaucoup plus risqué qu'un contournement chronophage de ces deux véhicules. Il n'empêche que, comme toujours dans Enduro, le joueur, confronté au même éternel dilemme, doit faire un choix : est-il prêt à opter pour la solution la plus rapide mais aussi la plus délicate - au risque de tout perdre -, ou préfère-t-il viser un score final décevant et jouer la sécurité en espérant, évidemment, qu'il parvienne à dépasser un nombre suffisant de concurrents en fin de journée? En laissant ainsi le joueur maître de son destin, en lui signifiant que rien n'est impossible, Enduro, pourtant très limité, procure une sensation de liberté enivrante autorisant une marge de progression phénoménale. Plus que jamais, le joueur possède, ici, toutes les cartes en main pour venir à bout des 99 jours de course que ce jeu atemporel lui défie d'endurer.

Enduro est sans conteste la meilleure simulation automobile du VCS. Afin de plonger un peu plus le joueur dans l'ambiance survoltée des courses d'endurance, Activision inséra un joli encart historique dans le manuel de son jeu.

Les critiques sont dithyrambiques : Enduro est littéralement plébiscité – beaucoup considèrent qu'il écrase la très bonne conversion de Turbo sur Colecovision, la conduite d'Enduro au joystick s'avérant au final bien plus précise que celle de Turbo accompagné de son module volant/pédalier. Le jeu de Miller se vend extrêmement bien malgré, il est vrai, un très sérieux ralentissement des ventes de cartouches sur console.

Atari, de son côté, a dû repousser la sortie de son Pole Position à octobre. Cela nous laisse environ cinq mois pour envahir le marché de notre titre phare.

... Kassar et sa bande ne devraient plus tarder à mordre la poussière...

_________________

Alan Miller quitta Activision peu de temps après le célèbre crash de 1983 pour fonder, en 1984, l'illustre développeur et éditeur sur micro, Accolade. Parmi les plus grandes réussites de la compagnie, citons la série des Test Drive, Bubsy, ou encore Star Control I & II. Comme un formidable signe du destin, Accolade, qui connut des moments très difficiles à la fin des années 90, fut racheté par Infogrames avant d'être renommé en 2003... Atari.

Ayant quitté le monde du jeu vidéo aux alentours de 1995, Miller travaille actuellement dans l'industrie du golf.

Malgré des débuts plus que prometteurs chez Activision, Larry Miller n'y développa que deux jeux : Spider Fighter et Enduro. À l'instar de son homonyme, Larry quitta le monde du jeu vidéo pour se consacrer à un univers assez différent : la conversation vocale automatisée. Pendant longtemps, il continua de travailler pour Activision afin d'améliorer leur service clientèle téléphonique. Il est actuellement président directeur général de la société TuVox, un des pionniers dans le domaine.

Après les pertes faramineuses enregistrées par la branche domestique d'Atari pendant les années 1983 et 1984, Ray Kassar fut contraint de démissionner. Jack Tramiel, ancien PDG de Commodore, le remplaça après avoir racheté cette branche très largement déficitaire au propriétaire de la marque, Warner, qui décida de ne conserver que la branche arcade d'Atari. Devant l'échec cuisant du successeur de l'Atari VCS, l'Atari 5200, Tramiel décida, à tort ou à raison, de tout miser sur l'ordinateur. Ce choix permit de mettre en orbite la série des ordinateurs des gammes XL/XE et, surtout, ST, avec le formidable succès que l'on connaît. Hélas, le rejet aveugle du médium console entraîna en 1984 l'annulation du lancement de la console 7800 ProSystem, pourtant finalisée et prête à être expédiée dans les magasins. Véritable monstre de technologie à même de répondre aux attentes de joueurs friands d'adaptations d'arcade réussies, l'Atari 7800 fut, malgré tout, mise sur le marché deux ans et demi plus tard à une époque où la NES avait, hélas, déjà envahi bien des foyers.

David
(28 mai 2005)
Page 3 sur 3
>>>
Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum
(41 réactions)