Bien que le propos général de Dragon Quest VII soit atypique comme nous l'avons vu, le cœur de son gameplay est, toutes choses égales par ailleurs, relativement habituel et quasiment identique à l'épisode précédent. Il faut dire qu'on doit encore le développement général à Heartbeat, on ne sera donc point surpris de retrouver les grandes lignes de ce qui a fait le succès de la saga. L'aventure est ainsi segmentée en deux grands moments, les phases d'exploration, où l'on résout des puzzles, parle aux personnages et collecte des objets, et les phases de combat, contre différents types de monstres. Attardons-nous d'ailleurs, dans un premier temps, sur ces dernières, dans la mesure où elles ne subirent que peu de modifications. Nous sommes encore dans un système strict de tour à tour, où l'ordre d'attaque des personnages est déterminé par leurs caractéristiques personnelles. L'on a accès à différentes options lors de notre tour, des plus attendues : attaquer avec l'arme équipée, lancer un sort, utiliser une capacité spéciale, se protéger, fuir.
Deux choses sont ici à observer : tout d'abord, la possibilité, instaurée depuis Dragon Quest IV, d'automatiser le comportement de ses compagnons selon différentes stratégies privilégiant l'attaque, les soins, la magie, et ainsi de suite. Au regard des épisodes précédents, j'ai trouvé que ce système, dont je ne me suis servi que lorsque je devais engranger des points d'expérience à la chaîne, était bien mieux fourbu que jadis : l'intelligence artificielle fait correctement son travail, elle choisit judicieusement les attaques les plus efficaces et sait se soigner quand il le faut. On gagnera même, ce me semble, à activer la chose et à déléguer les commandes à l'ordinateur tant les possibilités de jeu deviennent rapidement démesurées : c'est plusieurs dizaines d'attaques, de sortilèges et de compétences que l'on aura à notre disposition à la fin de la partie, et il peut être difficile de s'y retrouver ou de s'assurer d'avoir choisi l'attaque la plus efficace à ce moment-là de notre progression, problème que ne rencontre évidemment pas le logiciel. Il est certes plaisant de rester aux commandes mais si c'était à refaire, je me laisserai davantage guider, le plaisir de jeu s'en trouvant grandement amélioré.
Si l'on a à notre disposition autant de choix, c'est que le système de classes, instauré par Dragon Quest III, est de retour et a été assez bien amélioré. Le concept général est inchangé : à la fin du premier gros tiers de l'aventure, nous aurons accès au temple de Dharma dans lequel chaque personnage jouable pourra librement choisir une classe telle que « Guerrier », « Sorcier » et ainsi de suite. Chaque classe modifie en conséquence les caractéristiques du personnage et compte huit niveaux de spécialisation, s'accompagnant de l'apprentissage de nouveaux sorts ou de nouvelles compétences et augmentant après un nombre déterminé de combats face à des adversaires d'un niveau équivalent aux nôtres. Les classes se répartissent en plusieurs catégories : (i) les initiales, accessibles à chacun, (ii) les intermédiaires, obtenues après avoir maîtrisé deux classes complémentaires (par exemple, « Guerrier » et « Clerc » donnent accès à la classe « Paladin »), et (iii) les avancées, obtenues après avoir maîtrisé plusieurs classes intermédiaires. Il est aussi des classes de monstre, débloquées grâce à des objets spécifiques, mais leur intérêt est, au mieux, anecdotique.
Il y a davantage : même sans chercher à obtenir des classes intermédiaires, un personnage qui aurait maîtrisé une classe particulière pourra bénéficier d'un avantage, voire débloquer une compétence cachée, s'il en développe une seconde à laquelle elle est associée. Ainsi, être à la fois « Danseur » et « Combattant » n'ouvre certes pas de classes intermédiaires, mais permet d'apprendre la redoutable compétence « Sword Dance », une attaque particulièrement dévastatrice frappant quatre fois d'affilée. Les combinaisons sont assez nombreuses et il est toujours plaisant de débloquer ainsi de nouvelles capacités, presque par accident, en entraînant son équipe. De plus, au regard du sixième épisode, les classes initiales demandent bien moins de combats pour être maîtrisées. On passe dès lors moins de temps à s'entraîner avant de débloquer des attaques intéressantes et peaufiner ses stratégies. Le revers de la médaille, c'est qu'on emploie finalement peu les attaques de « première génération » : comme on progresse assez vite, on délaisse rapidement les premières attaques pour n'exploiter que les ultimes, bien plus puissantes.
Cela est d'autant plus dommage que certaines nouvelles classes, comme « Berger » ou « Pirate » sont, en théorie, intéressantes en plus d'être atypiques : on ne peut malheureusement pas les intégrer dans une stratégie en tant que telle tant elles seront rapidement délaissées par des compétences certes plus classiques, mais infiniment plus utiles. Tout au plus, on bénéficiera des bonus de points de vie ou de magies qu'elles offrent, à la façon d'une armure ou d'un accessoire à équiper par ailleurs. L'autre inconvénient du système, c'est qu'il avantage notablement les compétences physiques, fort nombreuses, au regard des sortilèges. Si ceux-ci seront plébiscités en début de partie, notamment par l'intermédiaire de Maribel qui sera la magicienne du groupe, leur efficacité s'étiolera rapidement face aux compétences plus rentre-dedans des classes guerrières. En fin de partie, je ne me serai jamais servi que des sorts de soin, préférant, même face aux ennemis les plus sensibles à la magie, les moletonner de tatanes savamment dirigées sur leur face plutôt que d'invoquer foudre et magma.
Une certaine monotonie finira donc par s'installer à compter de la découverte du temple de Dharma et du système de classes et même sans chercher particulièrement à débloquer rapidement des compétences, le système vous amènera naturellement à privilégier ces solutions par souci d'efficacité. Au contraire, mettons, du système de matérias de Final Fantasy VII qui avait su allier plasticité et montée douce en puissance, les classes de Dragon Quest VII échouent à proposer un quelconque crescendo, quand bien même aurais-je manifesté un plaisir pervers à explorer au maximum le système quitte à n'utiliser, finalement, que deux ou trois capacités clés par personnage. On complètera néanmoins ce système par un concept propre à la saga, bien que souvent oublié : la possibilité d'utiliser certaines armes comme des objets lors des combats et d'invoquer qui des pouvoirs élémentaires, foudres et feux, qui des sorts de soin. En distribuant ainsi stratégiquement ces éléments au groupe, l'on pourra se risquer à quelques ingéniosités et à dynamiser les combats, même si petitement.
Question de point de vue
Au regard de ces petites évolutions, comme au milieu du gué, l'on trouve, d'une part, une stabilité absolue quant à l'interface du jeu, qui n'a point évolué depuis l'épisode précédent ; d'autre part, une nouveauté impressionnante quant à la présentation des environnements, qui fait figure de révolution en la matière. Commençons par le plus critiquable : les menus et l'interface, nous venant d'un autre âge. Ainsi, l'on va retrouver ces menus en superposition, caractéristique de la saga depuis ses premières heures et qui sentent bon le jeu d'aventure micro des années 1980, et même des inventaires spécifiques à chaque personnage, inaugurant des aller-retours incessants pour distribuer les objets de soin et autres outils d'attaque. Même s'il est à présent une commande pour ranger automatiquement le sac fourre-tout qui nous accompagnera, il est frustrant de se rendre compte face à un boss que l'on a oublié de donner une herbe de soin à l'un de ses compagnons, puisqu'il nous est impossible d'accéder au sac lors d'un combat.
Le caractère des plus austères de ces menus étonne à présent, mais il étonnait également à l'époque. Si l'on pouvait encore excuser leur rudimentaire jusqu'à la génération précédente de machines, puisque même les menus dédiés aux héros sont vierges de toute illustration, la chose est ici plus incompréhensible et cela joue non seulement sur l'efficacité de nos commandes, mais également sur l'attachement que l'on peut avoir pour nos personnages, d'autant plus que ceux-ci sont plutôt mutiques à moins de volontairement discuter avec eux, ce qui n'est à aucun moment nécessaire pour avancer dans la partie. C'est dommage, car leurs personnalités initiales sont assez marquées mais trop rarement commentent-ils les événements : cela aurait pourtant aidé à s'investir mais, peut-être, aurait dilué le propos général de la partie. Reste cependant qu'en 2000, plus encore maintenant, il est difficile de naviguer dans l'interface de Dragon Quest VII et cela sera sans doute un frein aux nouveaux et aux nouvelles venues. Même si l'on finira par se faire souffrance et à passer outre, la courbe d'apprentissage peut être assez raide si l'on vient d'autres familles du J-RPG et cela peut donner une mauvaise première impression : tenez-vous le donc pour dit.
Là où, en revanche, le jeu fait sensation, c'est qu'il propose un environnement en trois dimensions quasi intégrales. On ne dirait pas, comme ça, avec ses personnages et ses objets pixellisés : mais si ce n'est à de rares moments, dans des cavernes étroites ou l'une ou l'autre maisonnée, l'on peut faire pivoter la caméra vers la gauche ou la droite sans problème aucun grâce aux boutons flippers de la manette. Les environnements, villages, montagnes et autres, deviennent alors des sortes de modèles réduits, des maquettes charmantes que l'on explore dans les moindres recoins. Même si le jeu met rarement à profit les différences de niveaux, les pentes et les creux, préférant les bons vieux escaliers et ascenseurs d'antan pour superposer les étages, cet aspect crée un volume inattendu surtout quand la concurrence en était encore aux environnements à points de vue fixes et ne se risquera à la full 3D qu'à la génération subséquente de machines. L'équipe de développement a su mettre à profit cette curiosité de différentes façons : benoîtement, cela les autorise à créer des villages dans lesquels les portes ne font pas toutes face à la même direction, plus régulièrement à dissimuler coffres et mystères derrière différentes aspérités du décor. Cela nous implique surtout plus fortement dans l'action et contribue à rendre ce monde bien plus agréable à parcourir : on se sent surtout investi dans sa restauration, puisque le manipulant au plus près.
Bien que ce moteur de jeu soit particulièrement impressionnant pour l'époque, il est une conséquence malheureuse. Sans doute pour éviter d'avoir à dessiner trop d'objets distincts, l'on finira par retrouver, dans les villages, perpétuellement les mêmes modèles de personnages et les mêmes objets, les mêmes lits, les mêmes commodes : tout finit par se ressembler et autant le monde en devient, certes, plus imposant, autant il en devient paradoxalement plus terne. S'il est bien quelques villages plus atypiques, des maisonnées à flanc de montagne et des bourgs de terre cuite, on a cette impression tenace de toujours visiter les mêmes environnements. Alors certes, il est au commencement fascinant de voir les pixels des personnages et des objets se déformer dans ce simili-mode 7 de l'âge du polygone, et on prend rapidement l'habitude de tourner les intérieurs dans tous les sens pour en déceler les ultimes secrets ; mais au bout de quelques heures de jeu, l'innovation ronronne à son tour et nous fait regretter les environnements certes fixes, mais bien plus plaisants à l'œil, de Chrono Cross ou de Final Fantasy IX. Ce n'est pas, de plus, quelques fulgurances à l'instar de ce temple ou de ce village cubiques, que l'on doit explorer sur toutes les faces à la façon du futur Super Mario Galaxy dans un autre registre, qui fera oublier cet état de fait.
Plein les yeux, plein les oreilles...
Malgré, néanmoins, la répétition qui semble être le leitmotiv de cet épisode, nous avons là quelque chose qui demeure graphiquement incroyable. Il est vrai que nous étions à la fin de la vie de la Playstation, la nouvelle génération arrivait et l'on avait eu droit, de la part de bien des développeurs distincts, à des merveilles graphiques : mais Dragon Quest VII va au-delà de cela. Que ce soit le moteur du jeu et les déformations, nombreuses, de son environnement, ou le travail fait sur les sprites des ennemis et leurs animations, on classera volontiers le jeu parmi les plus beaux de la console, quand bien même ne chercherait-il point à nous impressionner. Mon seul grief ici, c'est l'absence de personnalité des sprites des héros, qui auraient pu systématiquement évoluer selon la classe attribuée : cela ne sera qu'épisodiquement le cas. C'est dommage mais, je le concède, bien accessoire. J'irais même plus loin : le jeu représente à mes yeux la quintessence de son époque et se fait passerelle entre deux générations phares du média, entre les pixels délicats de la période des 16-bits et les polygones adoucis de celle des 128. On sait que la trois dimensions, entre ces deux mondes, pouvait être parfois incertaine voire franchement laide, disons-le : même les jeux les mieux réussis graphiquement de la période, les Metal Gear Solid et les Spyro 2, avaient du mal à proposer quelque chose d'harmonieux de bout en bout, la faute à des modèles encore très anguleux qui, heureusement, s'adouciront par la suite.
Dragon Quest VII, en proposant ainsi de dissimuler ces arêtes aigues derrière des filtres de pixels, et en refusant même quasi-absolument les cinématiques, nous offre quelque chose appartenant à la fois au passé et au futur et trouble les frontières : quand un combat commence, et si ce n'est la palette de couleurs, considérablement enrichies, au regard de la Super Nintendo, rien ne semble distinguer le jeu de son prédecesseur ; mais il suffit que les ennemis attaquent pour apprécier les détails, nombreux, de l'animation, pour que ces figures prennent vie avec humour et menace. Le même sentiment ne nous quitte pas, du reste, dans les phases d'exploration, entre ces murs et ces demeures en appelant aux modernes polygones et les personnages et autres objets interactifs patiemment dessinés à renfort de gros pixels. Contrairement aux apparences, le jeu est loin d'être chiche quant à ce qu'il exige de la console. Pour ne donner que cette anecdote, j'ai dû désactiver, sur l'émulateur que j'utilisais, les filtres ajoutant des scanlines et déformant l'écran pour me rapprocher des télévisions cathodiques d'alors, la performance s'en ressentant fortement... tandis que j'ai pu faire sur la même configuration Final Fantasy VII sans ralentissement aucun !
Musicalement, même constat attendu, dirais-je. Le support CD-Rom avait déjà fait des merveilles partout ailleurs, il aurait été extravagant de ne pas en bénéficier ici. Les compositions de Koichi Sugiyama ne sont plus d'inspiration orchestrale : elles sont orchestrales, elles fanfaronnent et prennent un volume soudain, inédit et grandiloquent, au service de ce qui serait, de l'aveu des fans, son meilleur album à ce jour. Si je lui préfère, tout personnellement, son travail sur Dragon Quest V, force est de reconnaître qu'objectivement, il atteint là une maestria détonnante qui force le respect. Tout au plus pourra-t-on lui reprocher de rester trop fermement ancré dans la musique savante là où d'autres, tel Nobuo Uematsu pour ne pas le citer, se risquent davantage à l'expérimental, au pop et au rock'n roll. Il est vrai que Dragon Quest est, et demeure à ce jour, une fresque médiévalisante où les rares machines sont des curiosités presque magiques : mais certains endroits auraient pu bénéficier d'un peu plus de fantaisie. Du reste et une fois encore, autant la musique ouvre une fenêtre riante sur l'avenir, autant les bruitages, quant à eux, demeurent fermement ancrés dans le passé. Le bruit des escaliers qu'on emprunte, des sorts de feu qu'on jette ou de l'énergie qu'on récupère, est inchangé depuis le premier épisode ou presque et sera destiné à le demeurer, du moins jusqu'à aujourd'hui. Le contraste est vif les premières minutes, on s'y fait finalement rapidement : et plus que tout, cela participe à l'identité bigarrée du jeu, qui sédimente un peu plus sa légende.
...et plein les horloges
Cependant, et malgré toutes ces qualités, tous ces éléments divers et variés, s'il est un endroit pour lequel Dragon Quest VII est connu, s'il est un sujet de discussion qui revient toujours sur la table, c'est bien celui de sa durée de vie. Au bas mot, et si l'on se contente de parcourir le jeu en ligne droite, en éliminant sciemment les quêtes secondaires, l'on en aura pour quelque chose de l'ordre de la centaine d'heures de jeu. Dites-vous bien qu'un Final Fantasy VII, pour rester cohérent du point de vue numérologique, ne vous occupera dans sa quête principale que trente à quarante heures, tout au plus : mais ici, il vous faudra compter presque soixante heures pour le premier disque, quarante pour le second. À quoi doit-on imputer cette faramineuse durée de vie ? À plusieurs petits éléments qui, mis bout à bout, augmentent déraisonnablement le compteur. Tout d'abord, et je l'indiquais précédemment, la quantité impressionnante de texte et le refus jusqu'auboutiste de narrer par l'intermédiaire de cinématiques ; ensuite, la focalisation sur l'exploration méthodique des lieux, pour ne rater aucune tablette de pierre ni aucun indice sur la suite de l'aventure.
Ce parti-pris entraîne cependant comme un délaiement de certains moments-clés de l'aventure, voire allonge et empâte malheureusement le rythme général de l'intrigue. Il faudra ainsi attendre près de deux heures, une fois l'aventure débutée, pour achever le premier puzzle et rencontrer ses premiers monstres et, finalement, commencer véritablement à faire autre chose que de l'exploration. La multiplicité des puzzles à résoudre, près d'une vingtaine, ainsi que l'absence régulière d'indications précises sur la suite de notre parcours nous plongent souvent dans l'incertitude et le retour, monomaniaque, dans les environnements visités pour s'assurer de ne rien avoir oublié s'accompagne nécessairement d'heures de jeu complémentaires. Il est également l'obligation, plus douloureuse, de faire de l'expérience pendant quelques heures pour espérer avoir une chance face aux boss ponctuant l'aventure. On sait que le grind a toujours fait partie de l'ADN des Dragon Quest mais depuis le second épisode, effort avait été fait d'équilibrer davantage l'expérience. Ici, la chose est globalement réussie pour l'exploration des donjons mais les boss demeurent, la tradition est établie depuis quelques temps, des épreuves de force. Notamment, les deux combats nous opposant à Orgodemir demanderont de passer quatre à dix heures de jeu supplémentaires, à chaque fois, pour gagner quelques niveaux et améliorer ses compétences. L'équipe de développement était consciente de cela et a judicieusement placé avant ces confrontations des slimes de métal qui offrent, si on arrive à les vaincre, des milliers de points d'expérience d'un coup : le phénomène demeure anachronique et maladroit cependant, même s'il est surtout localisé à quelques moments de la progression.
Plus gênant peut-être, ce n'est pas tant l'expérience qui peine à se gagner dans Dragon Quest VII, mais davantage l'argent. Les armes et armures que proposent les marchands sont hors de prix et rares sont les coffres contenant de l'équipement dans les donjons : si on veut se payer la dernière épée à la mode, il faudra travailler dur et défourailler du monstre à la chaîne. Comme, cependant, le tout venant est assez faible, on s'en passe volontiers jusqu'à se briser les dents face au boss du lieu. Globalement, le rythme du jeu en devient plutôt heurté et incertain, ce qui augmente une fois de plus sa durée de vie. D'un autre côté, tout cela concourt à diluer la progression du jeu dans lequel on peine, en vérité, à se retrouver. Au contraire d'autres grandes aventures, il n'y a pas là d'événements véritablement marquants et quand ils arrivent effectivement, on pense toujours qu'ils sont temporaires, à tort d'ailleurs. Ainsi, assez tôt dans l'aventure, Kiefer quittera notre équipe pour toujours alors que jusqu'au dernier moment je pensais le retrouver ; il en fut de même pour Maribel qui rejoindra le chevet de son père pendant presque trente heures de jeu, avant que l'on ne puisse la réintégrer au groupe.
Cela est sans doute à mettre sur le compte de la répétitivité générale du principe de jeu malgré la diversité des situations offertes, qui nous empêche d'avoir une vue surplombante de notre objectif final et de nous situer, lors d'une première partie, sur l'axe général de sa progression. Associons cela à une évolution plutôt lente des niveaux des personnages, comparativement à l'évolution des classes par exemple, et l'on se retrouve face à une aventure vrombissant comme des vagues que l'on devinerait à l'horizon plutôt qu'à un percutant feu d'artifice. La fatigue, cependant, finit par se faire sentir au long du deuxième CD. Heureusement, la quête des esprits élémentaires est relativement courte et liberté nous est surtout offerte de nous consacrer aux objectifs annexes. Reste cependant que même en étant un habitué des J-RPG, et même en ayant personnellement passé plusieurs centaines d'heures, parfois, qui sur un Final Fantasy, qui sur un Pokémon, c'est une chose de le faire pour finir un jeu totalement, c'en est une autre pour « juste » finir l'histoire principale. Je vous préviens dès lors une fois encore : c'est une aventure particulièrement haletante qui vous attend, une véritable course de fond et non un sprint, et il faut savoir ménager ses forces pour en voir le bout.
Et le reste !
Pour achever cet assez long descriptif, disons quelques mots des quêtes secondaires, peu nombreuses finalement mais notables pour qui voudrait finir parfaitement cette aventure. On retrouvera là les attendus de la saga, sans véritablement de nouveautés : citons-les pour mémoire. Tout d'abord, on trouvera dans le monde trois casinos, dont les jeux de hasard vous permettront d'acquérir parmi les armes et armures les plus puissantes du jeu. Il n'y a pas, à ma connaissance, de moyen de forcer le hasard mais si vous avez la baraka, cela pourra faciliter quelques combats difficiles. Les mini-médailles, ces trophées dissimulés un peu partout, sont de retour et peuvent être échangées auprès du Roi des Médailles contre différents prix, des armures et des armes bien entendu, mais surtout un bout de tablette de pierre complémentaire qui vous ouvrira la porte de l'un des deux donjons bonus du jeu.
Ceux-ci sont assez intrigants. Accessibles à la toute fin du jeu, juste avant d'affronter le dernier boss (ou, au plus tard, juste avant de déclencher la séquence de fin après l'avoir battu), ils vous proposeront différents challenges et notamment de combattre Dieu (le vrai, quant à lui !), en un nombre limité de tours. Si vous parvenez à remporter le challenge, votre récompense sera certes gratifiante, mais surtout inutile dans la mesure où ce boss facultatif étant proverbialement plus fort qu'Orgodemir, elle rendra sa défaite d'autant plus facile. Ils méritent cependant le détour et offrent, hélas tardivement, de la variation bienvenue à l'aventure. Enfin, citons en vrac le Monster Ranch, une ferme où l'on peut envoyer gambader des monstres domestiqués lors de nos combats (aucun moyen, hélas, de les faire combattre avec nous dans ce jeu) et un village d'immigrants qui grossira au fur et à mesure qu'on y enverra des personnes en quête de nouveaux horizons et qui débloquera des objets intéressants pour la suite de l'aventure. Clairement cependant, ce n'est pas dans ce domaine-là que le jeu brille, d'une façon attendue aurais-je envie de dire, tant la quête principale se fait déjà particulièrement colossale.
Cela est triste, du reste, car cela nous empêche d'exploiter au mieux quelques éléments qui, sans ça, font franchement office de figuration. Je pense notamment aux moyens de transport, aux rôles des plus anecdotiques : le navire ne servira qu'à rejoindre les îles du monde présent et sera vite remplacé par le sort de téléportation, le tapis magique ne nous offrira l'accès qu'à une ou deux tablettes de pierre, tout cela sera obsolète une fois obtenue la « Skystone » qui nous autorise à voler et à nous poser où on le désire. À se demander même pourquoi on nous offre un énorme navire de guerre à la fin du jeu, si ce n'est pour accéder à une cité sous-marine que l'on n'explorera à fond qu'à une seule reprise ! On sera attristé également d'apprendre qu'aucun compagnon facultatif n'est à trouver ici, les partenaires du héros se ramassant exclusivement via la quête principale. Jusqu'au dernier moment, j'ai cru que Sharkeye, le pirate englacé, nous rejoindrait, surtout qu'il a lui aussi une marque divine sur la main, mais il n'en est rien. Peut-être suis-je trop demandeur et même hypocrite de réclamer plus de choses à faire après avoir dit être fatigué de la quête première : cela n'en demeure pas moins surprenant au regard des derniers épisodes.
La fin des temps
L'alliance des contraires, voilà quel serait le maître-mot de cet épisode, atypique et génial, gonflé et ramassé sur lui-même, centrifuge et centripète. Même sa réception populaire et critique érige un mur infranchissable au milieu de l'océan Pacifique : succès absolu au Japon et cité comme l'un des tout meilleurs épisodes, voire comme le meilleur épisode de la série, le jeu a été accueilli froidement aux États-Unis qui n'avaient pas eu droit à un « Dragon Warrior », du reste, depuis le quatrième opus. On l'accusa d'être ennuyeux, long, peu original : Square avait définitivement gagné la « bataille du J-RPG » et même, l'absence de localisation européenne lui fit remporter la guerre par forfait. Le meilleur des mondes sera évidemment créé en 2003 lors de la fusion de ces deux monstres du multimédia japonais, mais nous n'y sommes pas encore. Un peu plus de vingt ans plus tard cependant, a-t-on raison de jouer à Dragon Quest VII, est-il le chef d'œuvre que le Japon considère ou une outre enflée et maladroite comme la critique étasunienne le dépeint ? Voilà une question difficile à répondre, en réalité. Objectivement, historiquement, cet épisode est sans doute le meilleur de la série jusque là et l'un des meilleurs, sans doute le meilleur, J-RPG de la période, tant dans ses mécaniques de gameplay, malgré ses imperfections, que dans son histoire (ses histoires, plutôt) particulièrement touchante et sautillante.
Par endroit cependant, le jeu s'apparentera à un véritable travail par sa longueur et l'investissement qu'il attend de vous. Il vous faudra apprendre ou composer avec son interface d'un autre âge, prendre des indices sur papier ou consulter une solution pour savoir que faire et où aller, être d'une méthode parfaite pour être sûr de ne rien oublier sur votre chemin sous peine de devoir faire d'incessants aller-retours pour récupérer l'ultime tablette de pierre qui manquait à la collection. Dans un cas comme dans l'autre, c'est presque cent heures de jeu qui vous attendent, voire bien davantage si vous désirez débusquer les ultimes secrets. Mais malgré ces réserves, malgré tout cela, la magie Dragon Quest opère encore et même, il prépare les aventures plus intimes, les sentiments plus complexes que l'on retrouvera qui dans Final Fantasy X, qui dans Persona ou Mother 3. Grossissant un trait inauguré dans le quatrième épisode par la psychologisation inattendue de son grand méchant, Dragon Quest VII poursuit magistralement cette tendance du jeu de rôles introspectif dans lequel la défaite du grand démon est secondaire au regard des problèmes des petites gens et il prépare, par ses propositions graphiques notamment, les bouleversements de la génération suivante de consoles de salon.
Dragon Quest VII, pour terminer, est un jeu exceptionnel que l'on appréciera peut-être davantage avec son adaptation sur 3DS : la console portable se prête effectivement assez bien au compartimentage des chapitres du jeu et raccourcit légèrement quelques séquences narratives, tout en offrant une meilleure interface et plusieurs améliorations attendues. Cette plastique moderne facilite l'accès à ce monument du J-RPG, qui gagne à être mieux connu et mieux cité dans nos latitudes. On ne sort pas indemme, quoi qu'il en soit, de la partie, des sentiments étranges nous travaillent et nous transpercent, le soulagement de voir, enfin, le générique, la tristesse de quitter un monde qui nous est devenu si familier, le regret de n'avoir pas pu tout faire ou tout voir. Mais c'est là la marque des grandes œuvres : et pour paraphraser une célèbre citation, la mélancolie qui s'empare de nous, après avoir éteint la console, fait encore partie de Dragon Quest VII.
- Pour des raisons pratiques, les images de l'article ont été tirées de "longplay" joués par "Valis77", sur la page Youtube "World of Longplays" (lien vers la première partie).