#27 : Twitch Plays Pokémon
I'm back, b**ches! (spéciale kasse-dédi à Shenron
)
Reprenons. Je vais parler ici d'une famille de mèmes incroyablement récents et liés au phénomène "Twitch plays
Pokémon", dont RobertGlucose avait déjà parlé
ici.
Origines : (clic droit => afficher pour agrandir les images, bien entendu)
Il y a de cela bientôt deux semaines, un développeur australien voulut inaugurer une nouvelle fonctionnalité de Twitch, ce site qui permet de diffuser des vidéos en streaming et de commenter l'action en direct au moyen d'un chat. Il programma ainsi un logiciel qui peut interpréter certains mots entrés dans ledit chat comme des commandes spécifiques. Ainsi relié à un émulateur, les participants peuvent ainsi contrôler la partie, en entrant des mots comme "Up", "Down", "A", "B", "Start", etc. Le jeu choisi fut
Pokémon (version rouge)... Et la folie commença.
Depuis quatorze jours donc, entre 25 000 et 50 000 participants "jouent", tous ensemble, au même jeu. Le système est fait de telle sorte que chaque
input est pris en considération de façon successive.
Ainsi, presque lors de toutes les
frames du jeu, une commande est entrée : on est proche de l'esprit d'un
tool assisted speedrun sauf, bien entendu, que le résultat est plutôt... chaotique. Si vous regardez
le stream, vous rendrez rapidement compte de la chose : le personnage avance de façon erratique, les menus sont ouverts de façon compulsive, en combat, on choisit des items qui n'auront aucun effet.
Mais étrangement, non seulement les "joueurs" évoluent, mais ils évoluent bien ! En ce moment, ils ont récupéré sept des huit badges et ont même réussi à utiliser la "Master Ball" pour capturer Electhor (Zapdos), un
pokémon légendaire. Il n'est pas interdit de croire que d'ici, disons, deux semaines de plus, ils aient battu la ligue.
Vous vous doutez bien cependant qu'avec ce système, certains passages apparemment sans difficulté sont devenus des calvaires sans fins : il a fallu une journée pour traverser un court passage que longeait une corniche que l'on pouvait sauter... "Red", le héros, sautait à bas et il fallait alors refaire un long tour pour réessayer. Utiliser la CS "Coupe" pour franchir un arbuste fut une autre épreuve sordide due à la complexité de la manœuvre (tout d'abord, apprendre la CS à un
Pokémon, soit ouvrir le menu, sélectionner "Objet", sélectionner la CS, puis sélectionner le
Pokémon qui l'apprend ; ensuite, il faut se positionner devant l'arbre, ouvrir le menu, choisir "Pokémons", choisir le bon, activer la CS), etc. etc.
Le développeur ajouta alors, au bout d'un moment, une fonctionnalité intéressante : les modes "Anarchie" et "Démocratie". On vote pour l'un ou l'autre en entrant "Anarchy" ou "Democraty" sur le chat. En mode "Anarchie", toutes les commandes successives sont prises en compte comme je l'ai décrit ; en mode "Démocratie", un vote est effectué toutes les 15 secondes et c'est la commande la plus fréquemment rentrée dans ce laps de temps qui est choisi, sachant qu'on peut les combiner (ainsi, pour aller une fois à gauche, puis en haut, puis à droite, on entre "LeftUpRight", pour appuyer trois fois sur "A" on tape "A3" etc.). Le mode "Démocratie" permet ainsi de mieux coordonner les actions et, de là, de rendre plus aisé certains passages délicats. La lutte est alors féroce entre les démocrates, qui veulent "prendre le temps pour faire quelque chose" et les anars, qui veulent "faire n'importe quoi très vite".
L'Anarchie domine le plus souvent le jeu. La démocratie est en réalité utilisée lorsque Red est au milieu d'un labyrinthe qui requiert des mouvements précis (notamment à cause de téléporteurs ou de corniches, l'un de ces labyrinthes fut d'ailleurs à l'origine de l'invention de ce mode) et, surtout, lorsque le joueur accède au PC...
Le "PC" des Pokécenter est à la fois nécessaire et craint. Il est nécessaire car, très tôt, les joueurs ont attrapé par accident beaucoup de Pokémons "en double" et devaient donc les stocker sur le PC. Malheureusement, le PC possède aussi une commande "Relâcher" qui libère définitivement la bestiole...
Aussi, au cours du temps, fut libéré le Starter (un Salamèche évolué en Reptincel) et d'autres figures emblématiques de la partie, par accident bien entendu, ce qui fait qu'à présent, lorsque Red doit utiliser le PC, c'est la "Démocratie" qui prend le dessus...
Utilisation :
Très rapidement, de nombreux mèmes virent le jour, notamment sur
Reddit qui a même un flux actualisé
en direct. Ceux-ci se découpent en deux catégories distinctes :
- Il y a tout d'abord ceux qui se moquent du principe même de la chose et imaginent, alors, ce que cela donnerait si Red était un véritable être humain... Ses congénères le prendraient pour fou, sans doute.
- La seconde catégorie, davantage de l'ordre de "l'inside joke", revient sur les moments marquants de l'aventure et notamment sur les véritables héros, les bestioles elles-mêmes qui sont tour à tour choyées, aimées, adorées et détestées selon les événements. Tout commence, en réalité, par le "Fossile Hélice". À la fin du Mont Sélénite (Mt. Moon), véritable premier donjon de l'aventure après avoir obtenu le premier badge, le joueur doit choisir entre deux fossiles, Hélice et Dome. Une fois apporté sur l'île du septième badge à un savant, un
Pokémon rare sera ressuscité, Amonite (Hélice) ou Kabuto (Dome). Red choisit alors Hélice ; et comme, lors des combats par exemple, les commandes faisaient que Red ouvrait souvent son inventaire pour sélectionner le fossile - ce qui n'a aucun effet d'aucune sorte -, les joueurs l'ont alors considéré comme un Dieu bienveillant, apte à conduire le héros à la victoire.
Le Dome, au contraire, fut vu comme un agent du malin et fut à blâmer pour tous les malheurs de Red, dont la libération du Reptincel. Notamment, il fut considéré comme le responsable d'un malheureux accident. L'une des grandes épreuves du jeu, su dès le commencement, fut la nécessité de faire apprendre à un
Pokémon "Surf" et "Force" pour finir le jeu. L'un des candidats fut, pour cela Aquali, évolution d'Evoli (obtenu en parlant à un NPC, nulle capture en jeu ici) au moyen d'une pierre eau. Malheureusement, ce fut une pierre Feu qui fut achetée...
Parmi les stars, l'on peut compter ainsi un Roucarnage, renommée "aaaabbbaaajss" ou encore "Abba Jesus", le plus fort de l'équipe actuellement, l'Électhor (aa-js, ou "Alternate Jesus") et un Soporifik dit "Le gardien" ("The Keeper") qui veille à ce que la menace sourde de Pyroli ou du Dome reste endormie...
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Message :
Je trouve, personnellement, toute cette histoire fascinante. D'une part, c'est une merveilleuse illustration du fameux proverbe, "Un millier de singes tapant au hasard sur un millier de machines à écrire reproduira toute l'œuvre de Shakespeare" ou, si vous êtes borgésien, de la "Bibliothèque de Babel" : c'est là une illustration superbe de l'infini et de l'aléatoire "pur". Au-delà, c'est une expérience sociologique des plus intéressantes : les joueurs, en effet, élaborent des stratégies complexes sans se connaître et se mettent intuitivement d'accord : aller ici, faire cela, prendre telle ou telle route...
À côté de cela, les voilà créer une religion, faite de prophètes et de Dieux, d'ennemis, inventer la démocratie, comprennent les enjeux. Quand bien même il est un certain nombre de "trolls", ceux-ci sont en réalité fort rares et, du reste, leur action est noyée dans la masse : en mode "Anarchie", ils ne sont pas assez nombreux pour influencer durablement la partie (même s'il y a eu quelques coups de sang, comme le bien-nommé "Dimanche sanglant" ou de nombreux "héros" furent relâchés et où Electhor a échappé de justesse au massacre) et en mode "Démocratie", leur vote n'est pas pris en compte.
Au fur et à mesure du temps, une synergie exceptionnelle s'est créée. Je gage aussi que la majorité des joueurs du chat ont connu
Pokémon Rouge dans leurs primes années et qu'ils prennent alors la chose très au sérieux : cela aide à rendre la tâche presque "divine" et je serai le premier heureux de voir le jeu terminé par ce biais.
Il faut encore attendre et voir, surtout, jusqu'où vont les choses : mais parti comme c'est, "Twitch plays
Pokémon" risque de rester dans les annales du jeu vidéo...