Un article très intéressant sur les jeux vidéo au Brésil :
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/06/17/le-bresil-nouvel-eldorado-du-jeu-video_1536849_651865.html
Quel est le point commun entre les entreprises du secteur vidéoludique Gameloft, Bigpoint et Ubisoft ? Toutes sont implantées au Brésil. Ce pays ne compterait que 42 entreprises et seulement 560 employés dans le secteur du jeu vidéo (étude Abragames 2008), et pourtant, sa croissance rapide ne cesse de surprendre.
En 2010, selon une étude du cabinet PricewaterhouseCoopers, le marché du jeu vidéo au Brésil pesait 392 millions de dollars (274 millions d'euros), soit 0,7 % du marché mondial : en 2005, il ne représentait que 157 millions de dollars (110 millions d'euros), soit un taux de croissance annuel moyen de 20 %. Le Brésil est donc le deuxième plus gros marché d'Amérique latine, derrière le Mexique (604 millions d'euros en 2010) et loin devant l'Argentine (88 millions la même année). Bien que l'Asie-Pacifique demeure la zone ayant la croissance la plus forte (+ 11,8 % prévus par an d'ici à 2015), l'Amérique latine dépasse l'Europe et les Etats-Unis (selon les prévisions du Global Entertainment and Media Outlook 2011-2015). La situation semble alors idéale pour le jeu vidéo ; cependant, cette forte croissance connaît des obstacles majeurs.
Le piratage est souvent évoqué comme le frein principal, puisque, d'après l'Entertainment Software Association (ESA), le Brésil rejoindrait la France à la tête du classement du piratage de jeu vidéo. En 2009, la firme brésilienne Tectoy lance alors Zeebo, une console de quatrième génération incluant la technologie 3G et permettant de télécharger des jeux payants, considérés plus difficiles à pirater. Etendue à d'autres pays d'Amérique latine, elle sera également disponible en Chine cette année. Cependant, cet obstacle semble être le symptôme d'une situation bien plus complexe.
James Portnow, directeur du studio américain Rainmaker Games évoque avec étonnement le prix prohibitif des jeux vidéo : "Les jeux sortis aux USA il y a six mois sont vendus officiellement pour 250 reals, soit environ 140 dollars (98 euros). Toutes les consoles que j'ai vues étaient vendues une fois et demie voire deux fois plus cher qu'aux Etats-Unis." En effet, en 2009, les taxes atteignaient 233 % du prix d'importation pour un jeu : un prix tel que 85 % de la population ne peut se permettre cette dépense.
Ainsi, c'est près de 90 % des jeux qui parviennent aux joueurs par des canaux non officiels. James Portnow explique : "Les commerces
pirates vendent leurs jeux entre 2,80 et 8,50 dollars (entre 1,96 et 5,95 euros) et proposent de meilleurs services. J'ai entendu des gens dire que ces vendeurs les laissaient acheter un jeu et le rapporter pour échange après quelques jours s'ils ne l'aimaient pas. C'est le type de service que j'aimerais avoir aux États-Unis."
LE JEU EN QUÊTE DE RESPECTABILITÉ
Le jeu vidéo gagne peu à peu ses entrées dans les sphères universitaires et artistiques, mais les regards sur sa pratique ne sont pas pour autant exempts d'angoisses, voire d'une certaine "pathologisation". En 2008, trois jeux ont été interdits de vente sur le territoire brésilien : le jeu de tir Counter-Strike, le jeu de rôle en ligne EverQuest, ou Bully, du studio Rockstar... Bien que les raisons de ces interdictions diffèrent pour chaque titre, les juges évoquent avant tout une inquiétude sur les contenus violents des jeux et leurs potentiels effets sur les joueurs. Sur le site Gamasutra, un créateur de jeux brésilien réagit : "Les jeux vidéo arrivent au Brésil par des voies différentes de celles du marché légal. La 'game culture' est alors souvent associée à une culture underground, voire, au crime."
Pour lutter contre cette image négative, l'association ACI Games s'est lancée dans un projet intitulé Jogo Justo, qui vise à déconstruire les stéréotypes liés au jeu vidéo par le biais de débats et de conférences. L'association et les commerces la soutenant tentent également d'alerter les publics sur les taxes extrêmement élevées appliquées aux jeux vidéo : fin mai, ces derniers ont organisé une vente de jeux sur différentes plates-formes, à prix bradés, soit 99 dollars (69 euros). La promotion paraît peu attractive, et c'est ce que souligne Jogo Justo : à ce prix, le jeu est considéré comme "gratuit" : l'acheteur ne paie que les taxes appliquées au produit.
En parallèle, les événements culturels autour du jeu vidéo semblent se multiplier : le SBGames, par exemple, est l'un des plus grands événements brésiliens en la matière et présente, entre autres, création indépendante, prototypes, et art games. Conférences, Game Jam, concerts ou encore jeux de rôle : la plupart de ces festivals (BGShow, Game Music Brasil, RPG Con...) attirent plusieurs dizaines de milliers de visiteurs. Un succès qui pourrait bien favoriser une sensibilisation aux problèmes que rencontre actuellement le Brésil malgré son étonnante croissance.
En effet, d'après PwC, les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) représentent l'une des premières zones géographiques de croissance pour l'industrie des médias et des loisirs. D'ici à 2015, ils connaîtront une croissance annuelle de 11,7 %, contre 3,9 % pour les pays dits "matures" (USA, Royaume-uni, Allemagne, France, Japon). Pour James Portnow, c'est aujourd'hui qu'il faut investir dans des projets au Brésil. Mais il tempère rapidement : "C'est un endroit où l'on peut perdre son argent très facilement. (…) Les choses ressembleront encore au Far West pendant au moins cinq ans. D'un autre côté, les entreprises peuvent tâter le terrain à moindre frais, et, si les choses se passent bien, le peu d'argent investi peut se transformer en une très grosse somme dans un futur proche."
Marion Coville
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Dans la vie, il y a 3 catégorie des personnes : ceux qui savent compter et ceux qui ne savent pas compter. (Anonyme)