Citation :
Le 2010-04-04 02:50, Rudolf-der-Erste a écrit :
D'ailleurs, quelqu'un a-t-il joué à Miles Edgeworth?
Oui, moi, je l'ai terminé il y a 2 ou 3 semaines.
Version courte, le jeu est sympathique mais c'est le moins bon de la série.
Ace Attorney Investigations: Miles Edgeworth, c'est, hélas, trois fois hélas, de la publicité mensongère sur toute la ligne. Tout d'abord parce que contre toute attente, on passe facilement les deux tiers de chaque affaire à
défendre des gens accusés à tort, avec exactement le même système de contre-interrogatoires que dans
Phoenix Wright. Et il manque le panache, la flamboyance, la nawakitude en dérapage constant de
Phoenix Wright (le perroquet, quoi!
). Ce qui évidemment correspond au personnage: si
Phoenix (et dans une moindre mesure Apollo Justice) c'était le Joe Bar Team de la justice, Edgeworth serait plutôt une Volvo diesel des années 80. C'est indéniablement fonctionnel, mais ça ne fait pas rêver.
Ensuite, on nous annonçait dans les previews un jeu beaucoup plus proche des aventures graphiques occidentales, avec un peu plus de liberté que d'habitude. Non seulement c'est faux, mais c'est même le contraire: AAI:ME est beaucoup plus dirigiste, figé que ses prédécesseurs. Dans les Ace Attorney, les phases d'investigation nous laissaient nous balader où on voulait à la recherche d'indices, en débloquant des nouveaux passages au gré d'une conversation, puis on passait aux phases de tribunal une fois tous les indices trouvés. Ici, le découpage est différent: après de looooooooongues discussions, on nous lâche enfin dans un seul endroit précis à fouiller, dans lequel il faut trouver quelques indices et parfois parler à quelqu'un, mais dont on ne peut pas sortir. Une fois l'"enquête" effectuée (cinq minutes, peut-être dix pour les plus compliquées), on nous reprend la main et ça blablate de nouveau avec des contre-interrogatoires en plusieurs phases qui finissent presque par en devenir pénibles, jusqu'à ce qu'on nous re-laisse explorer un autre endroit et que le schéma se répète.
Il en résulte une impression tenace de ne jamais avoir le contrôle de quoi que ce soit, d'être tout le temps tenu par la main, comme si le jeu entier était un tutoriel interminable. La nouvelle représentation n'apporte pratiquement rien (les zones à explorer font rarement plus de deux écrans, les personnages sont désespérément statiques, et les rares actions "exceptionnelles" ont lieu soit dans les phases de dialogue/contre-interrogatoire qui utilisent le même moteur que dans PW, soit dans des "cinématiques" qui sont en fait des simples dessins qui scrollent), et les déplacements au stylet sont atroces. On essaie une fois et après on ressort la croix, qui finalement marche très bien.
Quant au fameux système de logique dont on nous a conté monts et merveilles, c'est finalement un gimmick moins intéressant à mon goût que le Magatama de
Phoenix ou le bracelet d'Apollo. Les "éléments de logique" sont ajoutés à l'écran d'une manière assez souvent forcée. A au moins trois reprises, on passe toute la phase d'enquête sans rien, et puis d'un coup les personnages se disent "faisons le point: quelle est la situation?", nous fournissant en un seul paragraphe 4 ou 5 éléments à relier. Une fois en possession de ceux-ci, il suffit de les relier 2 par 2 (et il n'y a jamais besoin de se creuser la tête) pour déclencher un nouveau dialogue qui débouche sur un contre-interrogatoire, etc, etc, etc. Le vrai problème, c'est que la logique n'est jamais disponible pendant ces contre-interrogatoires (elle est l'apanage des phases d'investigation), ce qui ne fait qu'accentuer l'impression de découpage et le manque de naturel de tout le jeu.
Scénaristiquement, AAI:ME tente un ton globalement plus sérieux et rationnel que les Ace Attorney. Il n'y a pas la moindre trace de paranormal, et tout le jeu tourne autour d'une mystérieuse organisation de contrebandiers et faux-monnayeurs, traquée par Interpol d'un côté, et par une jeune fille en quête de vengeance de l'autre; le tout est étroitement lié au passé de Miles Edgeworth, de Franziska von Karma et même de Dick Gumshoe. Le postulat de base est intéressant, et certaines scènes, notamment dans la dernière affaire, fonctionnent admirablement bien.
Ceci dit, on se heurte à trois problèmes. Tout d'abord, comme dans tous les jeux précédents sauf Trials & Tribulations, seules les 2 dernières affaires sont réellement intéressantes. Le jeu semble s'adresser aux débutants, et la difficulté lors des premières affaires est réduite en conséquence, avec certains passages presque insultants de facilité (circonstance aggravante: l'impression de tuto interminable dont je parlais plus haut). Ensuite, malgré l'absence d'éléments surnaturels, les raisonnements sont parfois incohérents voire complètement troués (la 4ème affaire est catastrophique sur ce point), une impression que bizarrement ni
Phoenix Wright ni Apollo Justice ne m'avaient donné. Dans un jeu où le personnage principal est censé fonctionner par et pour la Logique avec un grand L, ça la fout mal. Et pour finir, la construction de la chronologie du jeu tombe complètement à plat.
En effet, la totalité du jeu se déroule sur quelques jours (+ un flashback) et de façon non-linéaire. C'est à dire que la timeline est la suivante:
- Affaire 4 (flashback déclenché par la conclusion de l'affaire 3 -- "il y a 10 ans...")
- Affaire 2
- Affaire 3
- Affaire 1
- Affaire 5
Ca paraît un peu confus, non? Et bien ça l'est, mais surtout ça ne sert strictement à rien (à comparer avec, par exemple,
Max Payne 2, dont la construction en double flashback est d'une efficacité remarquable). Qui plus est, ça donne l'impression que Edgeworth et Gumshoe sont tous les deux des crétins finis (bon, il y en a un des deux pour lequel c'est vrai) puisqu'ils passent toute l'affaire 3 en compagnie de Kay Faraday (la fameuse jeune fille en quête de vengeance) sans jamais percuter qu'ils l'ont déjà rencontrée pendant leur toute première affaire (sauf à la fin, d'où le flashback). Et ça handicappe le développement du personnage de Kay, puisqu'il faut du coup l'introduire deux fois.
En parlant de personnages, c'est aussi un point faible du jeu. D'une, Capcom a eu la main trop lourde sur le fan-service. Outre Edgeworth, Gumshoe et Franziska que j'aime bien, on retrouve Mike Meekins (le mec au haut-parleur ultra-crispant du cas 5 de PW1), Wendy Oldbag (dans
deux affaires!), Larry Butz, Ema Skye, Maggey Byrde, une apparition éclair de Manfred von Karma, un cameo de Mask deMasque, le Steel Samurai, le Blue Badger... Bref, toute la brochette de stéréotypes unidimensionnels qui m'insupportaient déjà dans les jeux précédents. De mon point de vue, les seuls personnages vraiment travaillés et réussis de la série sont les héros et les antagonistes, et pas de bol, ils ont fait revenir tout le monde sauf eux.
Et le véritable drame, c'est que les personnages originaux, les héros secondaires et antagonistes de cet épisode, apparaissent beaucoup trop tard pour qu'ils puissent vraiment se développer. Si dans le premier
Phoenix Wright, Maya et Edgeworth n'étaient introduits qu'à 2 affaires de la fin, le jeu aurait été beaucoup moins intéressant, non? Et bien c'est ce qui se passe ici. Kay apparaît dans 3 affaires sur 5 sachant qu'il faut la présenter 2 fois (voir plus haut), et Lang (le flic d'Interpol) dans 2 seulement... On n'a le temps ni de s'y attacher, ni de les voir grandir, et le grand méchant, même si c'est un gros enfoiré qui cache bien son jeu, n'a la carrure ni de celui de Trials & Tribulations, ni même de l'antagoniste one-shot increvable du dernier cas de PW1 (dont il s'inspire très clairement).
D'une manière générale, les véritables coupables de cet épisode manquent de présence. A une exception près (qui est hélas complètement désamorcée par un tic horripilant que je ne spoilerai pas mais qui ruine le personnage
), ils obéissent tous à la même formule clichetonneuse et pénible: une fois qu'on les a accablés avec suffisamment de preuves, ils sortent un rire de savant fou sur un son de tremblement de terre avant de changer de gueule pour passer en mode sérieux. C'est là le signal de l'estocade finale. Certains méchants des épisodes précédents le faisaient déjà, mais de manière beaucoup moins caricaturale et surtout jamais systématiquement. Là, cet "ingénieux" procédé sorti tout droit d'un épisode de Scooby-Doo permet de ruiner complètement le suspense de la fin de toutes les affaires. Pour un polar, c'est un peu dommage
Pour finir (parce que je me rends compte que je suis en train de l'accabler, ce jeu, alors que je n'ai quand même pas passé un mauvais moment avec), je parlerai d'un défaut qui m'a paru tout à fait inexcusable de la part d'un studio comme Capcom: il se dégage de ce jeu une constante impression de cheapitude. Il a été développé avec un budget ridicule, et ça se voit du début à la fin. Outre les sprites et animations de Gumshoe, Franziska et Edgeworth qui sont récupérés tels quels des jeux précédents (et qui ont donc plus de 8 ans), il y a dans ce jeu très exactement
trois nouvelles digits vocales: le "Eureka!" d'Edgeworth, le "Not so fast!" de Lang et le "Objection!" du grand méchant. Que des personnages récurrents centraux à l'intrigue sortent (un sacré nombre de fois) un "Hold it!" en mode texte uniquement me paraît terriblement pingre.
Je dirais bien la même chose pour la musique, mélange de compositions originales et de morceaux tirés tels quels de T&T, mais le fait est que ces derniers sont les seuls à avoir de l'impact. Les compos originales souffrent du même problème que celles d'Apollo Justice: une tentative de moderniser leur sonorité et de les éloigner du timbre très chiptune de la bande-son des PW. Et par "moderniser", chez Capcom, on entend semble-t-il "amener jusqu'au début des années 90": le son de synthétiseur MIDI bas de gamme, l'infâme uncanny valley musicale qui nous avait arraché les oreilles dans des jeux comme
Final Fantasy 7 et 8 et dont nous pensions être sortis depuis 10 ans au moins, est de retour en force et surtout en mollesse, pour supprimer tout le punch d'une bande-son qui du coup ne fait que mettre en avant les morceaux repris des vieux épisodes. Noriyuki Iwadare nous avait habitué à mieux (et l'absence totale d'"Investigation -- Cornered" se fait cruellement sentir aux moments cruciaux de l'intrigue).
Et si comme moi vous aviez aimé les mini-jeux tendance "Les Experts: Ace Attorney" qu'on trouvait à foison dans le cas 5 de PW1 ou partout dans Apollo Justice (
ça, c'était un Ace Attorney réalisé avec de la thune), ce n'est pas ici que vous les retrouverez. Dans AAI:ME, les analyses de sang et d'empreintes se font en demandant à des sbires de s'en charger (à la limite, ça c'est logique), et les vidéos de surveillance sont constituées de 2 (
deux!) images fixes. C'est simple, si on enlevait les objets qu'on peut inspecter en 3D (ça doit servir 3 fois) et les musiques Bontempi citées plus haut, le jeu pourrait sortir tel quel sur Game Boy Advance, et il resterait encore de la place sur la cartouche.
Pour ceux qui se demandaient ce qu'est devenu Picsou depuis la mort de Carl Barks et la retraite de Don Rosa, on l'a retrouvé: il fait des jeux pour console portable chez Capcom.
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