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Wave Race Blue Storm
Année : 2001
Système : GameCube
Développeur : Nintendo
Éditeur : Nintendo
Genre : Jeu de Course
Par Orioto (28 avril 2004)

Wave Race fut sur N64 condamné à une carrière dans l'ombre de son originalité. Son successeur semble malheureusement suivre le même chemin, et les développeurs de Blue Storm ne lui auront sans doute pas facilité la tâche. Bien sur, les petits gars de chez NST (Nintendo Software Technology) ne sont pas partis de rien puisque leurs prédécesseurs avaient posé les bases d'un jeu au gameplay parfait, mais ils ont voulu adapter ce dernier à une autre mentalité vidéoludique. C'est certainement leur plus grosse erreur dans la mesure l'on veut retrouver le charme du titre culte que fut Wave Race. C'est peut-être au contraire un choix judicieux pour que le jeu touche un plus grand public et qu'il colle mieux au profil de challenge qu'attendent les joueurs de la génération Playstation (ne voir aucun mépris dans ce terme).

Seulement il n'y a pas que des choix polémiques dans Blue Storm, il y a aussi des idioties pures et simples et celles-ci ne sont en l'occurrence excusables pour rien au monde. Avant tout, plions-nous à l'énumération générique des modes de jeu offerts, exercice obligatoire pour commencer à en parler véritablement.

**MODE BELLEMARE ACTIVATED**

C'est parti : (Musique de présentation des cadeaux dans la roue de la fortune ON) Voici donc un magnifique logiciel dans un emballage en plastique noir du plus bel effet, serti d'une fine couche de plastique transparent aux mille reflets lui conférant une classe sans commune mesure. Il pourra trôner sur votre bibliothèque ou bien encore votre réfrigérateur et impressionnera ainsi vos amis qui ne se lasseront plus de venir vous rendre visite. C'est d'un simple geste à la portée de tous que vous l'ouvrirez pour vous saisir via votre main libre d'une minuscule galette ornée de gravures aquatiques. Insérez-le maintenant délicatement dans l'orifice prévu à cet effet sur votre Cube de Jeu de couleur violette, noir ou orange et attendez quelques secondes.... (vous vous serez bien sûr assuré auparavant que votre téléviseur couleur stéréophonique était bel et bien branché, allumé et relié via un cordon SPECIAL - Accessible dans notre télé -achat pour la modique somme de 154,99 Euros). L'écran de votre récepteur hertzien s'illuminera alors soudain d'un festival de technologie dernier cri qui émerveillera petits et grands.

Vous vous trouvez dès à présent nez à nez avec le monde de Wave Race: Blue Storm. Un monde fait de rixes épiques entre jeunes rebelles dont les montures mécaniques défient les remous incontrôlables de l'océan. Mais n'ayez crainte, nul ne saurait vous laisser à la merci d'un tel défi sans vous fournir au préalable un apprentissage drastique dont vous ressortirez avec la maîtrise des éléments marins. Actionnez donc le court manche de votre cube de jeu pour faire glisser lentement le curseur vers l'inscription « tutorial ». Vous serez alors amené vers une liste de défis à la difficulté progressive, qu'il s'agisse de bien négocier son bolide ou d'exécuter d'invraisemblables manœuvres acrobatiques toutes plus périlleuses les unes que les autres.

C'est une fois votre bolide dompté que vous vous lancerez sans hésiter dans les divers modes que propose Wave Race: Blue Storm, du mode championnat qu'il faudra terminer dans 3 difficultés pour débloquer tout les circuits du jeu au mode Attaque de temps qui vous permettra d'inscrire votre nom dans le fabuleux livre des records de toute une génération de joueur émérites. N'oublions pas le « Stunt Mode » dans lequel vous tenterez d'exécuter le plus grand nombre de figure en un temps limité, et ce sur des tracés spécialement adaptés à cet exercice Ô combien délicat. N'éludons pas non plus la possibilité dans le « Free Roam » de se livrer aux joies du tourisme naturel sans contrainte de temps ou de tracés ; point important que nos amis en mal d'air d'autoroute sauront apprécier à la mesure de sa valeur.

Pour avoir fait le tour de ce magnifique produit il me reste à vous parler de son fabuleux mode multiplayers. Mais oui, vous avez bien entendu mesdames et messieurs, ce jeu vous permettra d'offrir un agréable passe-temps pour vos soirées entre amis au coin de la cheminée, vous libérant par la même occasion des traditionnels jeux de cartes, Monopoly ou jeu dit « de l'âne » et brisant ainsi des années de traditions lourdes de symboles. Cette possibilité ébouriffante vous sera proposée dans un mode spécial vous permettant de jouer à 4 tandis ce que vous pourrez également vous opposer à un de vos camarades (pendant que les deux autres s'en retourneront à leurs carrés d'as) au « Stunt Mode ».

N'oublions pas, enfin, de parler de la variété ébouriffante de ce bijou des temps modernes qui nous propose pas moins de 8 pilotes aux capacités et au style de pilotage radicalement différents, qui plus est customisables. Ho ho ho, vous n'aurez sans doute aucun mal à vous identifier au physique athlétique de Ryota Hayami ou à son espiègle petite sœur Hakari. Tout ceci ne serait que vent et balivernes sans la mise à votre disposition d'une infinité de circuit si l'on accepte l'équation l'infini = 90. En effet, les circuits de bases, disponibles en 3 difficultés aux tracés différents et en 5 climat (d'un temps tempéré à un orage aux vagues de 9 pieds) donnent un total de 90 combinaisons de circuits sélectionnables au fur et à mesure de votre avancée dans les challenges de Wave Race: Blue Storm. Ce lot vous est offert par les 3 suis...

Succession of what?

La succession de quoi, c'est bien la question que doivent malheureusement se poser tout les gens qui ont laissé passer le joyau ludique que fut Wace Race sur N64. Tentons brièvement de comprendre quelles ont étés les évolutions dans le gameplay du jeu et leurs conséquences sur le type de plaisir qui en découle. Le premier volet était avant tout basé sur une idée simple et nouvelle pour l'époque, qui en fit un jeu révolutionnaire. La N64 était la première des consoles à pouvoir permettre une gestion physique de la 3D assez poussée pour établir une interface entièrement basée sur les sensations directes du joueur. Comprenez que l'effet cumulé du stick analogique de la console et du moteur de déformation de l'eau réussissaient d'une part à créer une particularité ludique se suffisant à elle même, mais également et surtout une relation inédite, même idyllique entre le joueur et son avatar pilote. Pas besoin de subtilités dans les règles du jeu ou d'intelligences artificielles redoutables, le maniement du jet était tellement instinctif et précis que l'on pouvait rester des heures à repousser les limites de notre maîtrise.

**Aparté mode on**: La perfection vidéoludique selon moi

À vrai dire, WR fait partis de ces jeux excessivement rares qui créent un état de progression inhumain pour le joueur, le poussant, sans même qu'il ne s'en rende compte, à atteindre une précision dans ces gestes qu'il n'aurait put connaître en aucune autre occasion dans sa vie. Pour qu'un tel miracle se produise, il faut allier 3 qualités qui valent de l'or :

  • un maniement suffisamment précis pour permettre une marge de progression infinie qui ne se heurte pas aux limites du code.
  • une interface assez instinctive pour rapprocher au plus le joueur de l'action qu'il exécute.
  • des sensations assez singulières et jouissives pour créer un état ludique addictif.

Cela n'a l'air de rien comme ça, mais ces trois qualités réunies ne sont peut-être trouvables que dans 2 ou 3 jeux dans l'histoire des jeux vidéos, et elle correspondent selon moi l'apothéose de cet art. C'est probablement aussi l'avis de Shigeru Miyamoto puisque l'une de ces quelques merveilles n'est autre que Mario et, plus ou moins relativement selon les cas, les jeux Nintendo sont souvent sur le chemin vers ce paradis. Cette potion magique du gameplay a une conséquence directe et très simple sur le joueur. Celui-ci a envie de jouer au jeu, avant d'avoir envie de le finir. C'est probablement ce qui différencie la génération Nintendo de la Playstation. C'est peut-être tout simplement ça la fameuse Nintendo's Difference. Les jeux sont aujourd'hui très souvent portés vers le challenge plutôt que vers le plaisir ludique. Comprenez par là que l'on y joue plus par le plaisir que constitue le défi de les terminer que par l'envie toute simple de pratiquer. C'est en cela que la perpétuelle inquiétude quand à la difficulté et la durée des jeux est très caractéristique de l'évolution des mentalités.

Si c'est encore un peu flou prenons un exemple : Mario World fut le premier jeu pour moi (et presque le dernier) où l'envie toute simple de faire marcher Mario, de le diriger était un moteur, et même plus un facteur de fidélisation. Je ne revenais pas sur le jeu constamment, tel un toxicomane du champignon à poids, par rage de ne pas arriver à passer l'un des niveaux spéciaux de fin. Non, bien au contraire, la difficulté de ces horreurs m'aurait découragé en très peu de temps si je n'étais pas accro au lien si harmonieux qui se créait entre moi et le plombier sous E.P.O. J'éprouvais bien le besoin psychologique (tout est relatif, ne nous emballons pas) de me plier à la petite inertie rondouillarde et à la légèreté surprenante du latin jumper. C'est dans ces rares occasions que les jeux vidéos nous offrent quelque chose d'unique, un prolongement de nos sens à la vertu euphorisante.

WR fut donc un jeu qui assumait pleinement et avec grâce ce versant sensorialiste, mais il lui en coûta le prix de sa singularité, et peut-être, déjà en 1996, de son inadaptation aux nouveaux courants de pensées des gamers. Le gameplay de Wave Race Blue Storm a donc totalement changé dans cette volonté d'actualisation, et ceux pour deux raisons principales :

1-Batons dans les roues

Premièrement, le maître mot des programmeurs aujourd'hui est « réalisme ». Il convient quand on développe un des premiers jeux de la line up d'une console censée faire ses preuves, d'exploiter explicitement sa puissance. Deux choix s'offrent alors à ces derniers : la beauté sidérante ou le moteur physique hallucinant. Le choix des responsables du projet s'est ici naturellement tourné vers la deuxième option, probablement au regard des caractéristiques du premier volet en son temps. C'est sans doute, d'un certain point de vue, leur première erreur. Nous voilà avec un jeu clairement à rebrousse courant des tendances photo réalistes de la concurrence, ne jouant pas non plus sur un côté plus cartoon, et se perdant dans une légère médiocrité esthétique qui ne pardonne pas de nos jours. Ce n'est cependant pas là la plus forte conséquence de cette décision. C'est bien le moteur physique du jeu qui l'a probablement handicapé.

Celui-ci est basé sur une idée simple : le boost. Comme dans toute suite de jeu, tout doit être mieux, tout doit être rehaussé vers de nouveaux horizons, pour le pire ou pour le meilleur. Ce sera ici à chacun de juger par ses propres critères d'appréciations ce qu'il en est. Le fait est que suivant cette logique, il fallait que Blue Storm fasse sérieusement ce que son aîné n'avait pu que simuler, rendre le comportement du véhicule sur l'eau. L'idée de ne pas s'engager dans cette voie n'a même pas dû effleurer les designers du jeu tant il est évident à notre époque que l'évolution technique DOIT entraîner une mutation du gamelpay. C'est très certainement vrai, mais cela ne doit pas occulter une réflexion de base à son sujet. Ici, le comportement des vagues influera dorénavant dramatiquement les réactions de votre bolide, qui luttera par exemple pour prendre un virage en apparence simplissime parce qu'une vague le déportera dans la direction opposée. Cela rend la prise en main du jeu bien plus difficile, et surtout bien moins instinctive, ce qui ne veut pas dire que vous ne maîtriserez pas votre engin comme un dieu au bout de quelques heures de jeu. (J'ai personnellement eu besoin de trouver le personnage et le mode de vue qui m'étaient adaptés pour arriver à prendre mes marques).

Voici donc un jeu qui prend la décision, comme pour mieux coller à la tendance des simulations type Gran Turismo ou V-Rally, de volontairement faire passer le réalisme avant le confort du joueur. Cela pose directement une question essentielle : en quoi est-ce bon pour la qualité du jeu ? Il n'existe pas de réponse tranchée puisque cela dépend tout simplement des attentes du joueur, et l'on peut apprécier l'une comme l'autre de ces approches. Cependant le cas est ici bien particulier puisque si la mécanique physique d'un véhicule terrestre est assez rigide, son équivalent aquatique implique immédiatement une marge d'aléatoire considérable, et d'ailleurs extrêmement amoindrie dans le jeu rassurez vous. On y maîtrise son jet à la perfection pour peu qu'on soit concentré et que l'on s'adapte à la logique motrice des vagues. Le jeu est donc au final excellent, oui, mais on est en droit de se demander si une telle mutation des qualités requises pour y jouer ne va pas à l'encontre des qualités idylliques du premier. Je ne peux me permettre d'en faire le procès et tout joueur un peu flexible saura comme moi prendre un grand plaisir, différent certes, mais réel à jouer à Wave Race: Blue Storm.

2-Pourquoi faire simple quand on peut...

La deuxième étape d'une bonne adaptation aux nouvelles exigences du marché se trouve dans la dissipation des énergies. Un jeu ne peut plus trouver aujourd'hui sa seule stratégie dans un bon maniement de la manette, il se doit de parcelliser le mérite, comme pour toucher aux talents de plus d'acheteurs potentiels. Concrètement, il vous faudra ici, pour faire bonne figure lors des courses de Wave Race, apprendre à gérer à la perfection vos boost. Il y avait déjà dans le premier volet une jauge de vitesse qui augmentait à mesure que l'on accumulait les passages de plots réussis, mais cette dernière nous offre maintenant la possibilité d'actionner à l'aide du bouton Z (j'ai personnellement le désagréable besoin de changer légèrement l'inclinaison de ma main pour l'atteindre..) un boost qui vous propulsera littéralement en avant, tant et si bien que la jouabilité de votre bolide s'en retrouvera toute tourneboulée. C'est bien simple, la sensibilité de l'analogique se retrouvera multipliée par 20, et le moindre souffle sur le stick entraînera un virage à 90 degré. Cet état ne dure que quelques secondes et il convient, pour maximiser ses records en Time Attack, d'étudier très adroitement les endroits du circuit où il faudra les utiliser sans risquer l'accident. La prudence vous poussera au début à ne l'utiliser qu'en ligne droite, puis vous vous ferez à l'ultra-sensibilité du stick et commencerez alors à véritablement maîtriser le jeu.

C'est donc un fait, Wave Race: Blue Storm est un excellent jeu, à la maniabilité parfaite et à la marge de progression extraordinaire. Il ne vous demandera seulement qu'un peu plus de patience et de courage. Certes vous n'aurez plus le loisir de profiter de l'aisance du premier volet, occupé que vous serez à maîtriser les vagues et la stratégie de course, sans compter les trajectoires changeantes selon la marée (et donc les tours) qu'il faudra savoir mémoriser. Pour simplifier, cela ne va pas l'être (simple), mais cela sera tout aussi intéressant, juste moins « pur » dans le plaisir ressenti. Pourquoi alors n'aurions-nous donc pas à faire à un chef d'œuvre ?

Ne jamais déléguer les aspects secondaires du développement à un stagiaire.

En effet, si les différences entre Blue Storm et WR n'entameront pas le plaisir du joueur motivé, c'est sur d'autres points en apparence superficiels que le jeu se révèle ne pas être à la hauteur des espérances.

Parlons tout d'abord de ce qui est le plus subjectif et donc sans doute le moins important, l'ambiance. J'avais été littéralement emporté par le souffle marin qui ressortait de Wave Race, me surprenant à tenter de bronzer devant ma TV, me promenant dans le Dolphin Park par simple plaisir, traversant Drake Lake avec en admirant le vol des canards sauvages dans la brume, au son d'une mélopée inoubliable de volupté matinale. C'est probablement sur ce dernier point que le nouveau cru sacrifie le plus ses charmes. C'est toujours le même problème, et on va encore me reprocher d'être passéiste et « snob », mais oui, sur N64, le jeu ne pouvait se permettre une bande son hip hop/techno /hypitude à la Playstation. Les sound designers avaient alors du tout miser sur le côté peace/nature/petit-déjeuner-ricoré et un réel parfum charmeur s'évaporait à chaque fois qu'on insérait la cartouche dans la console. Ce n'est peut-être pas que la musique, peut-être également que les couleurs de la version N64 étaient plus chaleureuses, plus gorgées de soleil, mais qu'à cela ne tienne, terminons ce moment de subjectivité mélancolique avant que je ne prenne un coup de vieux. Il y a plus grave dans le jeu, beaucoup plus grave, et principalement deux erreurs de finitions quasi fatales.

Premièrement il y a le ghost. On peut se demander ce qu'avaient bu les développeurs du jeu quand ils ont décidé d'opérer une révolution radicale dans la tradition. Vous n'aurez pas ici à faire à une classique surimpression transparente de votre bolide avec laquelle vous pourriez analyser, en temps réel et pendant la course, votre trajectoire au centimètre près (c'était un GROS ingrédient de la perfection de Wave Race premier du nom). Non non, préférez un hélicoptère ridicule qui ne servira strictement à rien, sinon à vous montrer si vous êtes en retard ou en avance sur votre précédent temps. Tout simplement pathétique d'absurdité.

Deuxièmement, et nous touchons là au plus gros problème du jeu, l'interface a été très mal conçue, vous forçant à revenir au menu d'accueil et à re-sélectionner pilotes, handicap, circuit et temps à chaque course terminé, à moins de faire un restart durant celle-ci. C'est le genre de truc idiot qui fait que, là où vous auriez enchaîné sans vous en rendre compte les parties pendant toute une après-midi, vous en ferez sans doute 3 fois moins dans cette version, c'est tout simplement impardonnable. Cela casse la dynamique du jeu et fait qu'on s'y sent moins bien, moins immergé.

Conclusion

Voici un excellent jeu, totalement réussi du point de vue de son gameplay, qui fait le choix d'éviter un plaisir trop simple et se coupe ainsi des joueurs peu persistants. Il n'en reste pas moins un soft au maniement d'une profondeur rare, même si le plaisir en sera peut-être moins pure que dans la précédente version. Le jeu serait parfait si de graves lacunes de finitions ne venaient assombrir le tableau.

Orioto
(28 avril 2004)
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