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Thief - la série
Année : 1998
Système : Windows ...
Développeur : Looking Glass Studios
Éditeur : Eidos Interactive
Genre : Infiltration
Par pixelpirate (20 mars 2006)

Thief: The Dark Project
Année : 1998
Système : PC
Développeur : Looking Glass Studios
Editeur : Eidos
Support : CD-ROM

Certains recherchent la clarté, d'autres la transparence... Je suis le murmure de la nuit, je suis l'ombre qui passe, je suis le souffle sur ta nuque... mon nom est Garrett !

Lorsque Thief: the dark project sort en France fin novembre 1998 (sous la traduction malheureuse de Dark Project : la guilde des voleurs), c'est dans la confidentialité la plus totale. Une preview quelques mois plut tôt dans le magazine Gen4, mais c'est tout. En fait, tous les gamers attendent fébrilement Half-Life, dont la démo tourne en boucle dans les boutiques de jeux video. Pourtant, quelques semaines plus tôt, un jeu vient déjà d'ouvrir la voie au FPS tactique : il s'agit de Rainbow Six premier du nom, acclamé par la critique outre-atlantique, mais plus fraichement accueilli par la presse spécialisée française en raison de ses graphismes... ils avaient tout compris, les Français ! D'autant qu'on doit Thief à Looking Glass, qui avait déjà commis les fabuleux Flight Unlimited, Ultima Underworld et System Shock... rien que ça !

Thief est un FPS à part entière, si l'on entend par là First Person Sneaker, ou encore : jeu d'infiltration. Vous incarnez Garrett, un voleur solitaire et taciturne dont l'objectif est de s'enrichir de ses rapines sans faire trop de vagues. Thief est donc en 3D subjective, mais l'objectif n'est pas d'éradiquer des ennemis tout au long de niveaux plus ou moins linéaires. Non, la réussite réside dans la capacité à accomplir des missions diverses sans se faire voir (ni entendre). L'autre particularité du jeu est qu'il se déroule dans un univers médiéval technologique (ou "steampunk"), avec des machines et des mécanismes à la Jules Verne. Cela lui confère immédiatement un look original et marqué.

Les ficelles du métier

Après une superbe cinématique d'introduction également très "stylée", le joueur peut s'il le souhaite commencer par effectuer un tutorial destiné à lui apprendre les bases de la furtivité. Ce tutorial est remarquable, d'abord parce qu'il assure une prise en main immédiate, mais aussi parce qu'il introduit le joueur dans les relations de Garrett avec un groupe nommés les Gardiens. Ceux-ci sont, pour l'immense cité dans laquelle vit notre voleur, une force d'équilibre entre les deux factions principales : les Marteleurs, organisation religieuse extrémiste, et les Païens, une force plus sombre qui prône le retour du chaos et de l'état naturel face à l'urbanisation massive. Mais Garrett veut ne rien avoir à faire avec aucune guilde ou organisation, et quitte même, dès ce tutorial, les Gardiens qui l'ont formé.

Les premiers niveaux de Thief correspondant à des missions effectuées en freelance par Garrett :

  • Dérober un sceptre d'une grande valeur dans le manoir de Lord Bafford, un notable corrompu.
  • Pénétrer dans la prison la mieux gardée du monde pour y libérer un vieil ami, receleur de son état.
  • Aller chercher un artefact oublié dans les catacombes locales.
  • Suivre furtivement un groupe d'assassins qui viennent de tenter de l'éliminer et repartent, trop sûrs d'avoir réussi leur coup...

Comme vous le voyez, les missions sont variées, mais à partir du cinquième niveau, en essayant de dérober un objet à un étrange seigneur du nom de Constantine, Garrett va se retrouver impliqué dans un complot dont il devra essayer de se sortir tout le reste du jeu. Je ne vous en dis pas plus, si ce n'est que l'intrigue est excellente. Elle a même donné lieu à une production abondante de nouvelles (nommées fan-fictions) de la part de passionnés surpris par la qualité et la cohérence du background de Thief.

Plus d'une flèche à son arc

À chaque fois que vous débutez une nouvelle mission, vous devez d'abord choisir l'équipement adéquat, parmi lequel un grand nombre de flèches différentes :

  • Les flèches à eau permettent d'éteindre les torches à distance, mais aussi de faire disparaître toute trace de sang compromettante.
  • Les flèches de feu permettent d'allumer les torches à distance, mais elles font également beaucoup de dégâts et peuvent donc servir à tuer.
  • Les flèches à mousse permettent d'insonoriser les sols "bruyants" (carrelages, surfaces metalliques...).
  • Les flèches à corde, tirées sur des surfaces en bois, permettent d'accéder à des endroits autrement inaccessibles.
  • Les flèches à bruit permettent d'attirer des individus dans un endroit donné, vous laissant la voie libre.
  • Les flèches à gaz, tirées sur une personne, permettent de l'endormir pendant un long moment. Elles sont toutefois rares et chères.

Cet équipement (auquel il faut rajouter les bombes éblouissantes et les mines) doit en effet être acheté, et dépend directement de l'or que vous aurez amassé lors de la mission précédente. Il se complète toutefois d'un arsenal que vous avez toujours à disposition : hormis votre arc, vous êtes muni d'un blackjack permettant d'assommer les ennemis dans le dos, et d'une épée en cas de combat inévitable.

Une arme : la furtivité

Mais cet équipement ne saurait remplacer votre arme essentielle : votre capacité à tirer partie des ombres pour échapper à toute attention. Ainsi, vous débutez le jeu dans un recoin d'ombre à proximité du manoir de Lord Bafford. Une jauge vous indique si vous êtes perceptible ou non par les gardes à proximité : plus elle est sombre, plus vous êtes discret, mais plus elle tire vers le clair et plus vous êtes susceptible d'être vu ou entendu. Ce concept original sera réutilisé dans de nombreux jeux proposant des phases d'infiltration, comme Deus Ex ou Splinter Cell.

Ainsi caché dans l'ombre, vous êtes capable de voir passer les citoyens qui vaquent à leurs occupations, ou encore d'entendre les gardes se lancer dans des dialogues tantôt anecdotiques, tantôt importants pour la réussite de votre mission. Ces dialogues, nombreux et intégralement doublés en français, ajoutent à la cohérence de l'univers et renforcent la sensation d'immersion éprouvée dès le départ par le joueur.

Hormis la jauge de furtivité, l'interface comprend :

  • Une boussole pour vous repérer, bien utile lorsque vous ne disposez pas de la carte des lieux. Celle-ci est cependant en votre possession dans la majorité des niveaux, et très bien faite de surcroît.
  • Un certain nombre de petits boucliers qui représentent votre énergie vitale : plus le niveau de difficulté est élevé, moins ceux-ci sont nombreux. Vous en perdez à chaque fois que vous chutez d'une hauteur assez importante, ou bien encore si vous êtes touché lors d'un combat. Par contre, quel que soit le niveau de difficulté choisi, il faut savoir qu'il est suicidaire de se lancer dans une confrontation avec un garde : ceux-ci sont bien plus endurants et habiles que vous. Les viser de loin avec votre arc, pas de problème ! Mais les combats rapprochés doivent être évitées au maximum. Si vous êtes repéré... fuyez !
  • La meilleure tactique reste de toute façon l'approche furtive : parvenir silencieusement dans le dos d'un garde, l'assommer avec le blackjack et aller cacher son corps dans un lieu où personne ne pourra le trouver et ainsi donner l'alerte (héritage de Commandos: Behind Enemy Lines).

    Une réelle sensation de liberté

    Les niveaux de Thief sont absolument immenses. Ne comptez pas passer moins de 3 ou 4 heures sur une mission si vous désirez remplir tous vos objectifs et explorer la totalité des environnements. Comme dit plus haut, il est possible d'opter pour plusieurs niveaux de difficulté : en mode "moyen" (Thief ne comporte pas de mode facile !) vous n'aurez guère à remplir que votre objectif principal. À difficulté plus élevée se rajouteront des objectifs secondaires qu'il vous faudra compléter pour terminer la mission. Notez qu'en mode expert, un objectif vous sera systématiquement imposé : ne tuer aucun être vivant durant la mission, ce qui est une tâche dont seuls les plus expérimentés pourront s'acquitter. En tout cas ce mode expert est le plus passionnant, car il accroît considérablement les montées d'adrénaline.

    Ce qui est incroyable dans Thief, c'est la sensation de liberté éprouvée. D'abord, agir sans être vu ou entendu a quelque chose d'excitant, de grisant. Mais le meilleur reste la possibilité, durant une mission, de s'écarter un moment de son objectif principal pour aller commettre un petit cambriolage dans une maison voisine dont on a vu les volets entrouverts. Quelquefois, on en trouve les occupants endormis, mais parfois ils sont debout et il faut déployer des trésors de furtivité pour se remplir les poches sans se faire remarquer. Quel plaisir en tout cas que de pénétrer dans l'intimité des gens : un marchand qui compte ses sous, une femme qui se coiffe, un ivrogne qui chante...

    Une entrée par la grande porte

    Au final, Thief se révèle d'une profondeur tout à fait étonnante. On sait aujourd'hui que c'est le genre de jeu où la réalisation peut très bien passer au second plan. Pourtant, celle de Thief est tout à fait correcte: graphiquement on a déjà vu mieux en 1998, mais les animations sont de bonne facture (il faut voir les gardes tituber à la suite d'un coup derrière la nuque), et l'ambiance sonore est excellente. Seule l'intelligence artificielle pêche par moments : sans qu'on sache trop pourquoi, il arrive qu'un garde passe à quelques centimètres de Garrett sans le voir, ou soit bloqué par un obstacle lors d'une poursuite... Heureusement ces rares défauts n'entachent en rien le plaisir de jeu.

    Thief est vraiment un soft original qui mise sur ses mécanismes de jeu. Pas aussi complexe que le sera plus tard Deus Ex, mais tout aussi passionnant dans sa capacité à vous immerger littéralement dans la peau d'un personnage et dans le monde dans lequel il vit. C'est en ce sens que Thief est, bien plus qu'un jeu d'infiltration, un vrai "jeu de rôle".

    Thief II: The Metal Age
    Année : 2000
    Système : PC
    Développeur : Looking Glass Studios
    Editeur : Eidos
    Support : CD-ROM

    Les ajouts de ce deuxième opus, sorti moins d'un an et demi plus tard que le premier, sont il est vrai assez minimes. Pourtant, Thief II est pour moi (et dans le cœur de nombreux fans) le meilleur de la série. Il faut prendre ce jeu pour ce qu'il est : pas vraiment une suite, mais un parachèvement de l'original. Et ainsi éviter de le châtier pour un moteur graphique il est vrai peu remanié.

    Dans Thief II, la technologie a cette fois envahi l'univers dans lequel évolue Garrett : robots, caméras de surveillance et autres mécanismes complètent désormais les gardes humains, jugés beaucoup trop faillibles. Mais paradoxalement, notre voleur lui-même est désormais équipé de gadgets plus perfectionnés, comme cet œil-caméra télécommandé qui, lorsqu'on le lance de loin dans un couloir ou une pièce, permet de voir à distance ce qui s'y passe : génial !

    Doté d'un scénario au moins aussi intéressant que celui du premier épisode, Thief II propose au joueur des missions encore plus réalistes, et plus "urbaines". Le niveau qui se déroule dans une banque ("First City Bank and Trust") est culte tant le challenge y est important (quatre étages, un dédale de couloirs et de salles ultra surveillé). Quant à "Life of the Party", c'est tout simplement le niveau le plus grand qu'il m'ait été donné de voir dans un FPS : il se déroule sur les toits de la ville, et j'ai mis pas moins de 12 heures (oui, vous avez bien lu !) pour en voir la fin. Hallucinant !

    Thief: Deadly Shadows
    Année : 2003
    Système : PC - Xbox
    Développeur : Ion Storm
    Editeur : Eidos
    Support : CD-ROM - DVD-ROM

    Cela me fait beaucoup de peine de l'admettre, mais le troisième opus de la série est un échec, à bien des points de vue. Le projet était pourtant bien engagé : le concept de "bulle perceptive" (interaction entre les personnages du jeu qui vous ont repéré), les niveaux intermédiaires qui permettent d'effectuer librement des rapines dans la ville et de revendre les objets volés, les nouveaux gadgets comme la flasque d'huile... Seule la disparition prévue des flèches à corde au profit de gants d'escalade chagrinait les fans.

    Mais le développement conjoint sur Xbox et PC a été fatal aux intentions louables de Thief: Deadly Shadows. Il faut dire qu'entre temps Looking Glass a fermé boutique et le bébé d'échoir à Ion Storm, qui malgré la présence de Warren Spector n'a pas son pareil pour décevoir sur des projets très attendus (cf. Daïkatana, Deus Ex: Invisible War...). Première surprise : Deadly Shadows est jouable à la 3ème personne. Quand on a connu les deux premiers épisodes, on peut s'interroger sur ce choix étrange. Mais qu'importe tant qu'on peut encore activer la vue subjective... Deuxième problème : le moteur du jeu n'est pas au point. Certes le jeu d'ombres et de lumières très réussi donne une charte graphique sympathique à Deadly Shadows, mais le moteur physique provoque beaucoup trop d'incohérences qu'il est impossible de passer sous silence tant elles nuisent parfois au plaisir de jeu : personnages bloqués dans le décor, mouvements surréaliste de certains objets, nombreux bugs dans la gestion de la furtivité... Venons-en au troisième gros défaut : pour que le jeu fonctionne avec 64 Mo de RAM, les immenses niveaux de Thief II se sont transformés en de petites zones reliées entre elles par des secteurs de transition violets qui ressemblent à des portails de téléportation ! Exemple de situation : vous venez de vous faire repérer par un des gardes au premier étage d'une maison : il suffit de franchir un de ces fameux portails pour vous retrouver sain et sauf au second : le garde lui ne le fera pas ! No comment...

    Évoquons enfin (et c'est peut-être là où le bât blesse le plus) la linéarité qui se dégage des niveaux : les objectifs secondaires n'existent plus, ainsi que les portes dérobées et autres cachettes secrètes qui faisaient le sel des deux premiers Thief. Le scénario, quant à lui, est prévisible de bout en bout. Tout au plus peut-on tempérer ce constat par la présence dans ce troisième opus d'un niveau, "The Shalesbridge Cradle" ("L'orphelinat de Shalesbridge"), à l'ambiance très travaillée et particulièrement terrifiante. Mais en bref, le constat est sans appel. Thief: DS est un jeu lyophilisé et insipide, conçu pour élargir le public de la série plutôt que l'épanouir et satisfaire les fans de la première heure.

    Cette dernière fausse note ne doit toutefois pas faire de l'ombre à une des séries les plus enthousiasmantes de l'histoire du jeu vidéo. Elle a marqué pour moi la réconciliation avec la 3D, et plus particulièrement la vue subjective. Ultima Underworld, System Shock et Daggerfall avaient fait la preuve que ce type de représentation pouvait être utilisé à des fins autrement plus subtiles et intéressantes qu'un Quake-like bien bourrin. Thief a concrétisé ces ambitions à travers un univers excitant et des principes de jeu originaux.

    Sur ce, je vous laisse, car je viens de voir passer un homme gêné par le poids de sa bourse. Je vais me faire un plaisir de l'en délester...

    pixelpirate
    (20 mars 2006)
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    (16 réactions)