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Super Paper Mario
Année : 2007
Système : Wii
Développeur : Intelligent Systems
Éditeur : Nintendo
Genre : RPG / Plate-forme / Action
Par MTF (26 décembre 2016)

La dernière fois que j'avais évoqué la série des Paper Mario, cette série de jeu de rôle se déroulant dans l'univers du plus fameux des plombiers, c'était pour parler de La Porte Millénaire et de la déception qu'il représente à mes yeux. Non qu'il soit un mauvais jeu de bout en bout, ses mécaniques de gameplay et sa technique en faisant même plutôt un excellent titre, mais son bavardage incessant, sa construction tarabiscotée nécessitant de constamment faire des aller-retours pour progresser dans l'aventure et certains aspects s'en remettant au hasard en font un mélange que je trouve peu heureux, notamment lors de ses relectures successives.
Gâchons alors la suprise : à peu de choses près, ce sera là également ma conclusion pour Super Paper Mario, Intelligent Systems, le développeur, n'ayant nullement corrigé les accrocs que j'ai énumérés. Cependant, ce jeu a un petit quelque chose de plus qui me le rend bien plus sympathique même s'il n'est pas encore tout à fait, à mon grand dam, le successeur du Paper Mario original que j'espérais.

Un jeu au(x) volume(s) générique(s)

Rendons à César ce qui lui appartient : l'histoire du jeu est étrangement bien ficelée, et même terrifiante par endroit. Si le principe primordial n'évolue guère, puisqu'il s'agit, encore une fois, de récolter sept objets de quête (les « Pure Hearts », ou « Cœur Purs ») dans sept mondes distincts pour accéder au tout dernier, cette histoire a des relents d'apocalypse qui surprennent de la part du plombier. Tout commence par l'entremise d'un mystérieux personnage, le Comte Niark, qui ne souhaite rien de plus que l'anéantissement de toute la création au moyen d'un vortex dimensionnel. Pour l'ouvrir, il lui faut organiser une macabre cérémonie : le mariage forcé... de Bowser et de Peach, rien que ça !
Contrairement aux autres jeux du genre où le prétexte de l'enlèvement, ou de l'invasion, restera en arrière-plan de notre aventure, ici, les manigances du Comte Niark et de sa troupe dégagent un sentiment d'urgence perceptible : au début du jeu, le portail destructeur est ouvert et il ne cessera de grossir, dans le décor, au fur et à mesure de notre aventure. Il est comme une course contre la montre étrange qui n'est pas sans faire rappeler, toutes proportions égales par ailleurs, à The Legend of Zelda: Majora's Mask. On y retrouve ce balancement grotesque et dérangeant entre l'insouciance d'une aventure colorée, où les personnages n'hésitent pas à plaisanter et à faire des jeux de mots, et les conséquences d'un destin inexorable et délétère.

Le Comte Niark (ou Bleck, en anglais), principal antagoniste de cette aventure.
Un Cœur Pur, qui ouvre la voie vers le prochain monde. En haut à droite de l'image, on voit le vortex de Niark, qui grossit doucement...

Je trouve, en toute sincérité, cette histoire comme étant la mieux réussie de tout ce qu'a pu produire la série des Paper Mario. Si elle commence tout en légèreté, elle s'assombrit profondément au point que certains aspects de l'histoire peuvent sans doute émouvoir, ou terrifier de jeunes enfants : il est des morts et des disparitions, des discours sur l'au-delà, des manipulations. Earthbound me vient également à l'esprit, concernant les jeux au propos similaire. L'intrigue est sans doute l'un des points forts de l'aventure, et ce pourquoi le jeu mérite d'être parcouru.
Passée cette idée première, on notera également l'ingéniosité des chapitres qui constituent le jeu. L'on sort ici, pour la première fois peut-être, de la sempiternelle succession du type « plaine - désert - jungle - volcan - montagne » pour quelque chose de plus racé. J'y reviendrai à la fin de cet article, mais certains environnemments, tels les troisième et septième mondes, sont peut-être uniques dans l'histoire des Mario, tout jeu et toute série confondus, tandis que les plus habituels dénotent dans la façon dont ils ont de surprendre constamment le joueur. Bref, c'est là le type d'originalité que j'aurai bien voulu voir dans La Porte Millénaire et qui m'a véritablement donné foi dans le talent du studio.

Les premiers environnements font la part belle à la nostalgie cependant, mais cela ne durera pas.

Je terminerai ce chapitre en restant sur l'image du ramponneau ou du balancier que je décrivais concernant l'intrigue, pour évoquer le parti-pris générique très particulier du jeu. Si les précédents Paper Mario étaient des jeux de rôle mâtinés de séquences d'action/plates-formes plus ou moins développés, Super Paper Mario fait le pari, réussi à mon goût, de mettre ces deux aspects sur un pied d'égalité. Nous avons d'abord ici un jeu de rôle assez solide : les personnages jouables (Mario au commencement, à qui se rajoutera son frère Luigi, la princesse Peach et Bowser, en souvenir, sans doute, de Super Mario RPG) gagnent des points d'expérience, ce qui augmente leurs capacités, ils possèdent des alliés qui pourront les aider dans les combats et utilisent des objets pour se soigner ou attaquer.
Mais à côté de cela, nous avons affaire à un jeu de plate-forme du meilleur cru : les combats se déroulent en temps réel sur l'aire de jeu, il faut faire preuve constamment de dextérité pour parcourir les environnements et les blocs sont nombreux. Si le mélange aurait pu paraître étrange, il est ici parfaitement maîtrisé, grâce à plusieurs ajustements bienvenus. Le principal est la notion de score : jadis inutile dans la série des Super Mario Bros., elle est à présent un point nécessaire du jeu puisque c'est en l'incrémentant, en tuant des ennemis notamment, que l'on gagnera des niveaux d'expérience. Une idée simple, on en conviendra ; mais indéniablement efficace. Bref, un sans-faute concernant tous ces aspects.

Inventaire et expérience, nous sommes bien dans un RPG contrairement à ce que les images laissent à penser.

La troisième dimension

Les nouveautés ne s'arrêtent point ici : l'histoire de Super Paper Mario jouant en plein sur le principe des dimensions, son gameplay lui-même s'articule sur cette idée. Dans la ville de départ d'ores et déjà : la ville de Recto, qui servira de hub à cette aventure, possède une face sombre, Verso, qu'il vous faudra explorer volontiers. Mais, surtout et dès le début de l'aventure, Mario va avoir la capacité de visiter son environnement non seulement en deux, mais aussi en trois dimensions.
Le jeu se présente effectivement de prime abord comme un Super Mario Bros. classique, et Mario ne peut alors évoluer qu'en deux dimensions, dans un monde « plat ». La série est d'ailleurs connue pour le décalage existant entre le papier de ses éléments, et l'épaisseur de ses environnements. Cette épaisseur, on la retrouve d'une pression de bouton : la caméra pivote alors, et plutôt que de nous montrer le monde de côté, nous voilà le découvrir en profondeur. On comprend alors que tout avait un volume, ce qui inaugure de belles énigmes : un trou trop large ? Cette montagne, que l'on voyait à l'arrière-plan, peut s'escalader sur le côté. Bloqué dans la partie ? Il y a peut-être une porte derrière ce tuyau, et ainsi de suite.

Un Thwomp géant bloque le passage ? Pas de soucis...
...un voyage dans la troisième dimension, et on peut le contourner !

Ce pouvoir n'est pas illimité, et Mario ne peut l'utiliser à loisir : c'est légitime, car ce faisant, c'est un plaisir que d'éviter les ennemis et autres pièges, et de traverser les niveaux en un éclair. La jauge lui permettant de changer de dimension se remplit doucement au cours du temps, aussi faut-il en user avec parcimonie. C'est néanmoins le prétexte à quelques belles énigmes, sincèrement ingénieuses : et quand bien même se départirait-on du principe du « papier » que respecte la série à ses débuts, puisque les ennemis ni les héros ne se froissent, se plient ou se déchirent - tout au plus un élément du décor se décollerait-il -, l'idée est utilisée avec richesse d'un bout à l'autre de l'aventure.
Cette explication me permet de revenir, ici, sur la genèse du jeu. Si Super Paper Mario a fait partie des premiers grands jeux du début de la vie commerciale de la Wii , il a été initialement prévu et développé pour la Game Cube, dont il devait être un genre de « chant du cygne ». L'arrêt commercial de cette dernière a amené les développeurs à opérer de menus changements, dont l'astuce scénaristique justifiant le pouvoir de Mario. Ici, c'est une petite fée du nom de Tipii qui remplira cette office, et elle vient avec une autre capacité : en pointant la Wiimote vers la télévision, l'on fige l'écran et on peut pointer un endroit de l'écran, un élément du décor, un personnage ou un ennemi, pour en avoir une description ou révéler un secret. Ce sera surtout là la seule utilisation propre de la manette de la console, le reste pouvant être pris en charge par un pad traditionnel.

Tipii dans ses œuvres. Elle sera nécessaire parfois pour débloquer de nouveaux chemins.
Les dialogues restent, pour la plupart, truculents.

Restons un instant sur Tipii. Celle-ci a amené avec elle des compagnons, qu'il nous faudra trouver, et qui permettront d'avancer dans l'aventure et de trouver des secrets. Ce seront par exemple Bombi, qui explose, Poilourd, qui écrase, Svelt, qui aplatit, et ainsi de suite. Nos héros également ont chacun des capacités spéciales : Luigi saute plus haut et plus loin que son frère, Peach a une ombrelle qui lui sert autant à se protéger qu'à planer ci et là, Bowser crache des flammes. Tous ces paramètres font qu'il est souvent plusieurs façons d'aborder les situations, et notamment les combats divers qui émailleront votre route. L'on ne s'ennuie pas un seul instant dans Super Paper Mario, et jusqu'à la fin du jeu l'on vous obligera à utiliser intelligemment tous vos pouvoirs sans qu'un seul ne soit laissé de côté, comme on peut le voir parfois.
Plus que les autres jeux de la série alors, cet épisode est peut-être le plus riche en secrets. Il est les choses classiques, comme le fait de collecter des cartes laissées par les ennemis pour enrichir une encyclopédie et pouvoir leur faire plus de dégâts, divers objets cachés et même quatre compagnons facultatifs, ainsi que deux puits aux cent épreuves, particulièrement éprouvants : mais même dans un niveau traditionnel, on ne compte plus les blocs dissimulés, les raccourcis se dévoilant en changeant de dimensions ou en utilisant une capacité spécifique, les bonus secrets ou les clins d'œil. L'on peut aisément passer plusieurs dizaines d'heures sur le jeu, bien plus que pour simplement le terminer : et si l'on peut regretter, comme je le fais, la disparition des « Badges de Pouvoir » qui coloraient agréablement les deux précédents jeux, on s'amusera néanmoins à régulièrement revenir dans la partie. De plus, une fois la trame principale finie, l'on peut également poursuivre l'aventure et accéder à de nouvelles zones et à de nouveaux challenges, puisqu'il y a toujours quelque chose à faire.

Le parasol de Peach lui permet de voleter ci et là.
Le feu de Bowser est peu puissant, mais porte très loin.

La règle et la mesure

Terminons cet article par une série de vignettes, tantôt chaleureuses, tantôt malheureuses, en espérant que ce patchwork parviendra à restituer parfaitement les qualités et les défauts de ce jeu que l'on apprend à redécouvrir ces dernières années. Parlons un peu plus de ces morceaux de bravoure, car ils sont nombreux : impossible ainsi de ne pas citer le troisième monde, que j'évoquais plus haut, entièrement pixellisé et dans lequel on assistera à une parodie de dating simulation japonais, savez-vous, ces jeux de séduction où le héros doit convaincre des femmes de le rejoindre dans son lit, au milieu de multiples références vidéoludiques qui raviront les joueurs. On parlera aussi du second monde, une parodie grotesque du néo-libéralisme de notre société (si, si !), ou du septième, qui nous révèle ce qui se passe lorsque Mario, ou ses compagnons, meurt dans une aventure.
Mais il faut également l'avouer : aux côtés de ces pépites, le jeu ne parvient pas à se départir de nombreuses scories qui empêchent de parcourir l'ensemble de l'aventure un sourire aux lèvres. Une fois encore, il est verbeux, bien trop pour son propre bien : il multiplie inutilement les séquences de tutoriel plutôt que de nous laisser expérimenter les choses, cherche absolument à faire rire sans toujours y parvenir, multiplie, une fois encore, les aller-retours sans ordre ni mesure. Me concernant, cela a été ainsi un festival de saveurs mélangés : j'étais tantôt ému par l'histoire, tantôt énervé par des dialogues trop nombreux pour être subtils. J'étais émerveillé par les mécaniques de jeu, agacé que l'on doive me réexpliquer, ou qu'on me tienne la main, pour la énième fois.

Un compagnon vous aidera à traverser les zones dangereuses.
Le troisième monde, qui joue en plein sur la corde nostalgique.

Aussi, disons les choses ainsi. Super Paper Mario est un jeu aux forts partis-pris, et on ne s'attendait nullement à ça de la part de Nintendo, surtout dans une série que l'on pensait aussi installée que celle-ci. S'il ne parvient toujours pas à trouver le bon équilibre dans sa narration et dans ses principes ludiques, et s'il n'ose pas encore - cela sera pour plus tard... - épurer sa ligne, peut-être par timidité, peut-être parce qu'il a peur de mal faire, c'est néanmoins un grand pas en avant dans la bonne direction, du moins me concernant.

MTF
(26 décembre 2016)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
Les images proviennent du site jeuxvideo.com.
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