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Sokobond
Année : 2014
Système : Windows
Développeur : Alan Hazelden, Harry Lee et Ryan Roth
Éditeur : Draknet
Genre : Réflexion / Puzzle
Par Jean-Christian Verdez (05 décembre 2016)

Sorti en 1982 sur ordinateur PC-88, Sokoban est un classique du jeu vidéo. Le concept de ce puzzle game, créé par Hiroyuki Imabayashi, est aussi simple que diabolique. Dans un entrepôt aux murs érigés par un maçon vraisemblablement cinglé, le joueur doit déplacer les caisses disséminée ça et là, afin de les ranger aux endroits prévus à cet effet. Les choses se compliquent lorsqu'on se rend compte qu'on ne peut que pousser les objets, et qu'il faut donc anticiper le fait qu'il va falloir les contourner pour passer de l'autre côté. D'un simple problème de rangement, on se retrouve à devoir calculer à l'avance chaque mouvement afin de ne pas bloquer une caisse contre un mur, et de toujours se laisser un chemin libre pour nos propres déplacements... Sokoban a été cloné et adapté à de multiples reprises, devenant un genre à part entière. Ainsi, certaines versions proposent des téléporteurs, ou la possibilité de tirer les objets plutôt que de les pousser... D'autres jeux ont essayé de faire évoluer le concept. Citons par exemple l'excellent Kwirk sur Game Boy, qui révolutionne l'idée de base en ajoutant des formes différentes et des portiques que le joueur peut faire tourner, libérant ou obstruant un accès. Le jeu que nous allons voir cette semaine reprend lui-aussi le concept de sokoban, mais l'oriente vers une direction encore différente, celle de la chimie. Bienvenue dans Sokobond.

Sokobond est donc un sokoban-like où les caisses sont remplacées par des atomes. Le but n'est plus vraiment de "ranger" les atomes à un endroit précis, mais de les lier entre eux pour former une molécule. Dans chaque tableau, vous prenez le contrôle d'un atome spécifique, identifiable par les pointillés sur son contour. Grâce à cet atome, vous devez regrouper tous les autres atomes du niveau pour constituer une molécule. Cela peut paraître simple a priori, mais les atomes et molécules sont directement soumis à une règle fondamentale : les liaisons. Prenons un exemple concret :

Dans le tableau ci-dessus, nous avons le contrôle de l'atome d'hydrogène (H) de gauche. Cet atome est constitué d'un électron, représenté par un petit point blanc qui gravite autour du noyau. Cela signifie que si l'on déplace notre H à côté d'un autre atome ayant lui aussi un électron disponible, hop, les deux atomes se lient ! On se retrouve alors à déplacer une molécule constituée de deux atomes. Notez qu'on ne peut ni effectuer de rotation, ni libérer ou influencer les autres atomes de notre molécule. On ne peut que se déplacer dans les 4 directions. De ce fait, si notre atome s'est accroché au mauvais atome ou/et s'est accroché d'une manière qui rend tout déplacement difficile voire impossible, il faudra recommencer le tableau. Cependant, dans notre exemple, pas de difficulté : dans un premier temps, on attrape l'oxygène (O) avec notre hydrogène. Puis on déplace la molécule ainsi créée de sorte que l'oxygène, qui a deux électrons à disposition (et peut donc être liée à deux atomes), se lie avec l'hydrogène restant. Et hop ! Ca fait de l'eau (H2O) !

Remarquez que ce premier niveau, très simple, peut se résoudre de plusieurs façons, et a été conçu de sorte qu'il est techniquement impossible de se retrouver dans une impasse. Dans la solution de droite, notez comme notre hydrogène, n'ayant plus d'électron disponible, peut pousser le second hydrogène sans s'y accrocher...

Au fil des tableaux, les possibilités de déplacement vont un peu se complexifier : de nombreuses énigmes mettent en scène des atomes ayant plusieurs électrons qu'il va falloir accrocher ensemble au moyen de liaisons doubles voire triples. Si une liaison simple se fait automatiquement lorsqu'un atome passe à proximité d'un autre, elle ne peut être doublée que si l'on se débrouille pour la faire passer au travers d'un petit symbole spécifique. Dans le même ordre d'idées, certains puzzles proposent un autre petit symbole qui, lui, supprime une liaison. En passant plusieurs fois sur l'un ou l'autre, on peut ainsi ajouter autant de liaisons qu'il reste d'électrons libres sur les deux atomes concernés, ou au contraire supprimer les liaisons une par une, jusqu'à casser la molécule si nécessaire. En outre, le symbole qui ajoute des liaisons sera simplement ignoré au cas où l'un ou/et l'autre des atomes n'aurait plus d'électron libre.

Un troisième objet intéressant va rapidement entrer en jeu. Il s'agit d'un petit rond autour duquel on peut faire tourner deux atomes liés, un peu comme un tourniquet. C'est le seul moyen d'orienter votre molécule dans un sens différent, et cela permettra d'accéder à des endroits du tableau autrement inaccessibles.

Pour compliquer le tout, certaines énigmes avancées mélangent les différentes options. Plusieurs tableaux, par exemple, permettent à la fois d'ajouter et de supprimer des liaisons, obligeant le joueur à jongler entre les deux options pour former une molécule complète.

Lorsque vous résolvez un tableau, le jeu vous récompense par une anecdote en rapport avec la molécule que vous venez de créer, en plus de vous donner son nom (en anglais). Puis vous accédez à une sorte de carte sur laquelle apparaissent de nouveaux puzzles à résoudre. A chaque fois que vous résolvez un tableau, cela déverrouille les tableaux adjacents. Tous les tableaux peuvent être rejoués à volonté, pour le plaisir.

Au fur et à mesure de votre progression, vous remarquerez que la map regroupe les différents tableaux par zones colorées. Les plus perspicaces auront d'ailleurs peut-être déjà deviné que l'ensemble, qui se constitue au fur et à mesure de la résolution des puzzles, va petit à petit prendre la forme du tableau périodique des éléments (la fameuse table de Mendeleïev). Cependant, les groupes d'énigmes sont purement fictifs et n'ont absolument aucun rapport avec les atomes situés aux mêmes emplacement sur le vrai tableau périodique. Il s'agit d'un découpage purement arbitraire, ayant pour but de classer les énigmes par difficulté/spécificité croissante (le 1er groupe n'a pas de particularité, le deuxième comporte des liaisons doubles, le troisième introduit l'hélium, etc.)

Pour ce jeu, avoir des notions de chimie est un petit plus essentiellement psychologique : il est toujours flatteur de deviner, juste en regardant les atomes d'un tableau, quelle molécule il faut former. Mais que les cancres en chimie se rassurent, la disposition des différents éléments ainsi que le nombre de liaisons possibles ne laissent finalement pas beaucoup d'alternatives, et chaque puzzle se résume donc à un problème d'observation. L'objectif final revient à regrouper tous les éléments en créant une forme où il n'y a plus un seul électron libre. Le nombre d'atomes différents que vous croiserez au fil des différents puzzles proposés n'est d'ailleurs pas élevé :

  • Hydrogène (H) : avec un seul électron disponible, il est l'élément de fin de chaîne par excellence.
  • Oxygène (O) : deux électrons disponibles. Dans Sokobond, l'oxygène sert souvent à créer des molécules d'eau simple, et d'eau oxygénée.
  • Azote (N) : trois électrons disponibles. Celui-ci vous servira surtout pour créer de l'ammoniac (NH3).
  • Carbone (C) : proposant quatre électrons, il vous remémorera peut-être les joies de la chimie organique et ses noms à rallonge !
  • Hélium (He) : aucune liaison possible. tantôt il agit comme obstacle, tantôt il permet de pousser des atomes ou des molécules sans s'y accrocher (on retrouve un peu le Sokoban originel).

Précisons, afin que les quelques chimistes dans l'assistance ne s'étranglent pas plus que nécessaire à la lecture de tout ce qui précède, que les règles de Sokobond ont été très simplifiées par rapport à la vraie vie. En effet, le jeu aurait été incroyablement plus complexe s'il avait fallu respecter les véritables règles de chimie, avec les niveaux d'énergie des électrons et leur nombre total (ex: l'oxygène a en réalité 8 électrons, pas 2), sans parler des neutrons, protons et autres joyeusetés. L'essentiel, c'est que les différentes molécules à reconstituer existent bel et bien. Cette simplification de la réalité permet néanmoins, pour certains tableaux, de créer des molécules complètement différentes des solutions attendues. Les développeurs ont anticipé cette éventualité, et les solutions alternatives seront considérées comme valides, avec une description différente indiquant que vous avez mis le jeu à l'épreuve.

Le puzzle "Water, Water" implique, comme son nom le suggère, de créer deux molécules d'eau (H2O & H2O). Mais avec un peu d'astuce, vous pouvez créer de l'eau oxygénée (H2O2) et du dihydrogène (H2). L'anecdote de fin de niveau vous met alors en garde : "Attendez... Ce n'est pas de l'eau ! N'en buvez pas !".
Le puzzle "Right Angle" attend comme solution que vous créiez du cyanure de méthyle (image de gauche), mais il est possible de créer une combinaison différente (image de droite). L'anecdote liée à cette molécule prendra alors un ton plus philosophique : "Faire de surprenantes découvertes est une partie importante de la science". Effectivement, vous venez juste de découvrir la Céténimine, ce que les développeurs n'avaient pas envisagé.

De toute manière, ces cinq atomes sont amplement suffisants pour générer des puzzles de plus en plus difficiles. Certes, les premiers tableaux ne vous poseront aucun souci, et de façon générale les solutions restent toujours accessibles au commun des mortels. Toutefois les derniers puzzles placent la barre plus haut. On remarquera d'ailleurs que Sokobond a le bon goût de ne pas tomber dans le piège typique des puzzle games (Sokoban inclus) : au lieu d'augmenter la difficulté artificiellement en imposant de plus en plus d'atomes dans des tableaux de plus en plus grands, les développeurs ont maintenu jusqu'au bout l'idée de proposer des tableaux aux dimensions restreintes, et avec assez peu d'atomes à associer, garantissant ainsi des puzzles de qualité du début à la fin du jeu. Sokobond pourra parfois sembler un peu difficile, mais il n'est jamais décourageant, et la solution n'est jamais très loin. Ceci étant dit, le plus dur arrive après le générique de fin : une vingtaine d'énigmes supplémentaires, pour lesquelles la difficulté monte de plusieurs crans. Les amateurs de challenge vont alors être servis, notamment avec "The Monster" où l'on doit constituer une invraisemblable chaîne avec 4 hydrogènes, 2 azotes et 7 oxygènes dans un environnement où les déplacements deviennent vite compliqués...

Pour conclure, Sokobond est un excellent Puzzle Game. Dépourvu de toute histoire, cinématique ou autre justification scénaristique tape-à-l'oeil, ce jeu va à l'essentiel, avec des graphismes minimalistes et une ambiance sonore discrète qui le rendent très agréable et reposant. S'inspirant d'un classique des années 80, le concept est transcendé par des règles intelligentes mises au service d'énigmes qui, lorsque vous les résolvez, vous rendent fiers de vous. Sokobond est une réussite, tout simplement.

Jean-Christian Verdez
(05 décembre 2016)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
Le mystère du Sigil de l'oeil...

Un dernier mot, qui concerne Sokobond mais s'inclut dans quelque chose de bien plus vaste que ce jeu. Si au hasard de votre progression, vous parvenez à résoudre un problème en créant au moins une molécule d'hydrogène (H2), vous verrez apparaitre, en haut à droite de votre écran, un étrange signe cabalistique n'ayant a priori aucune fonction. En résolvant dix énigmes différentes de cette façon, vous ferez finalement apparaître un dessin encore plus étrange, sorte de schéma incomplet.

Le sigil se retrouve dans une vingtaine d'autres jeux n'ayant aucun rapport entre eux (ex: Mini Metro, Bombernauts, You Have to Win the Game, Crypt of the Necrodancer...). Chaque jeu propose, au terme d'une manipulation plus ou moins complexe, un schéma similaire à celui ci-contre. Ces schémas semblent former un tout plus vaste. Tout ceci fait partie d'un ARG (Alternate Reality Game) très intriguant, qui perdure depuis deux ans. En novembre 2016, la map a été complétée et décryptée... Plus d'informations sur le wiki des Game Detectives.
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