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Les Sherlock Holmes de Frogwares
Le célèbre détective a très souvent été le héros de jeux vidéo et ce studio ukrainien, plus que tout autre, s'en est fait une spécialité avec la série des Adventures of Sherlock Holmes que cet article passe en revue. Un tour d'horizon des innombrables adaptations de Holmes autres que littéraires est aussi au programme.

Sherlock Holmes contre Jack L’éventreur (2009, PC - Xbox 360)

Le développement de Sherlock Holmes contre Jack l’éventreur commence pendant celui de Sherlock Holmes contre Arsène Lupin et si ce dernier fut rondement mené, ce ne sera pas le cas de ce volet de clotûre de la trilogie thématique, dont la gestation sera plus longue que d’habitude. Cette fois, le studio décide de procéder à un béta test et désigne pour cela plusieurs joueurs amateurs de jeux d’aventure ayant déjà pratiqué les précédents épisodes, la sélection se faisant via un questionnaire en anglais. Mais ce n’est pas le seul facteur lié au temps puisque pour la première fois, le studio développe en parallèle une version console (Xbox 360) et, surtout, se livre à d'intenses recherches. En effet, Jack l’éventreur est l’un des tueurs les plus connus de l’Histoire du fait de la violence de ses meurtres et, surtout, du mystère qui les entoure car jamais on ne réussit à l'identifier ni éclaircir ses motivations. Au mieux ne reste-t-il que des hypothèses, voire des théories allant du crédible au fantaisiste.

Autant dire qu’un tel criminel avait tout pour nourrir l’imagination des auteurs de fictions à travers le temps, dans tous les médias possible. Évidemment, l’idée de le confronter au plus grand des détectives s'est imposée à de nombreuses reprises, les deux personnages étant, qui plus est, contemporains (la rencontre a même eu lieu deux fois au cinéma). Le jeu vidéo ayant déjà exploité ce concept avec, entre autres, The Lost Files of Sherlock Holmes : The Case of the Serrated Scalpel testé par Laurent sur le site, Frogwares avait fort à faire pour se distinguer.

Sherlock Holmes et John Watson sont au calme dans leur appartement du 221B Bakerstreet en ce mois de septembre 1888. Et c’est pendant une de leurs discussions nocturnes qu'a lieu un meurtre, fait divers qui fait rapidement la une des journaux. C’est suite à la lecture de l’un d’eux par Watson que Holmes et son ami décident de se rendre à Whitechapel afin de démasquer l’assassin. Ils ne savent pas encore que l’enquête sera plus longue et complexe que prévu.

Sherlock Holmes contre Jack l'éventreur est sans doute l'épisode où Watson est le plus actif, allant même jusqu’à récolter des informations et résoudre des énigmes.

La première chose frappante à signaler est que le jeu est techniquement plus abouti que ses prédécesseurs. Certes, le moteur graphique a toujours plusieurs années de retard sur son époque, mais il y a un vrai progrès dans le rendu. Les personnages sont mieux animés, les décors plus détaillés et les rues paraissent plus vivantes grâce aux PNJ qui s’y déplacent. De même, le doublage, sans forcément atteindre des sommets, se montre correct. Comme je l’ai dit, le jeu est techniquement dépassé et pourtant, étrangement, ce côté daté ne gêne pas outre mesure, au contraire, il a plutôt tendance à servir l’atmosphère du jeu, qui se paie même le luxe d'une mise en scène assez réussie.

L'ambiance arrive à s'installer malgré les graphismes obsolètes.
Le jeu se montre plus "peuplé" que les précédents.

Contrairement aux titres antérieurs du studio, il n’y a pas de version remasterisée mais le jeu proposait dès sa sortie d’indiquer à l'écran les points d'intérêt ou de choisir le point de vue (première ou troisième personne). Il offre aussi quelques autres nouveautés et marque le retour d'options précédemment abandonnées. Ainsi, comme dans Sherlock Holmes et la boucle d’argent, il convient de poser plusieurs questions aux personnages rencontrés, ce qui oblige parfois à des aller-retours (heureusement le déplacement rapide via la carte permet de faire abstraction de ce problème). Si les énigmes se montraient souvent trop dures et longues dans l’épisode avec Arsène Lupin, celui-ci est bien plus équilibré. Certes on pourra toujours tomber sur un os et piétiner un petit moment, mais rien d’insurmontable.

Cette énigme, par exemple, n'est pas aussi compliquée qu'elle en a l'air. Une astuce : référez-vous aux dates en dessous et faite défiler les drapeaux jusqu’à ouverture.

Mais le principal ajout de cet épisode est l’arrivée des phases d’enquête. En effet, on ne se contente plus de résoudre des casse-têtes et de répondre à des questions. Plus d’une fois, on sera conduit à examiner des scènes de crime, inspecter des corps de victimes et récolter des indices. Mais ce n’est pas tout, on procèdera aussi à des reconstitutions d'événements. Tout ceci introduit la grande nouveauté du jeu : les phases de déduction. Avec les différents témoignages et/ou indices récoltés, vous devrez faire un bilan de l’ensemble des éléments d'enquête et émettre des hypothèses ou affirmations. Cela peut prendre diverse formes mais, plus que jamais, on se sent vraiment en train de mener une enquête.

Au-dessus, une reconstitution d'un événement. En dessous, le tableau de déduction.

En voyant la jaquette du jeu avec les visions iconiques de Holmes et sa casquette, et l’ombre de Jack l’éventreur, on pourrait s’attendre à un jeu cumulant les clichés et idées reçues sur ses deux protagonistes. Mais finalement c’est tout le contraire qui se produit, et c’est sur ce plan que la qualité du travail de Frogwares se révèle. Sherlock Holmes contre Jack L’éventreur n’est pas une revisite fantaisiste des évènements visant le pur divertissement, il se veut réellement crédible et fidèle à l’Histoire.

Dites-vous bien que si certains détails des énigmes et les indices pour les résoudre, ainsi que quelques personnages, sont inventés, la plupart des suspects et témoins que vous croisez, des documents que vous consulterez, des lieux que vous visiterez et des évènements qui se produiront viennent de la véritable affaire ou lui sont périphériques. Frogwares a beaucoup étudié son sujet et consulté divers spécialistes de Jack l’éventreur pour mener à bien sa tâche, et cela se sent. Même l’identité du coupable reprend une hypothèse défendue par certains experts.

La fameuse lettre "Dear Boss", très médiatisée à l'époque, qui donna le surnom de Jack l'éventreur au meurtrier de Whitechapel.

J’en profite pour m’attarder sur un élément : un point qui a surpris au moment où le jeu est sorti est la façon dont sont représentées les victimes, avec des dessins stylisés tout en retenue, là où les précédents épisodes et les suivants affichent des images réalistes et crues. Il y a une raison simple à cela : jusqu'ici, les Holmes de Frogwares évoquaient des personnages fictifs. Mais là, on aborde de vraies personnes mortes de façon atroce et il aurait été indélicat de les représenter telles que sur les (horribles) photos d'époque sans tomber dans un racolage irrespectueux. Tout ça pour dire que si vous espérez que le jeu offre du gore ou du "torture porn", passez votre chemin (et je reste poli car croyez-bien que certains commentaires à ce sujet m’avaient vraiment énervé). L’intérêt du jeu est ailleurs.

La fameuse représentation des meurtres.

Avec cette volonté de rester fidèle à l’Histoire (avec un grand H), on pourrait s’attendre à ce que le jeu puisse se montrer ennuyeux et sans suspens. Il n’en est rien, au contraire, car il tente d'explorer diverses hypothèses, dont certaines farfelues, et se permet quelques entorses aux faits pour les besoins du scénario, notamment lorsqu'il s'agit de confirmer ou infirmer les hypothèses en question. L'aventure ne souffre d'aucune baisse de rythme et se montre passionnante dans son intrigue et sa narration.

Quelque traits d'humours ont été ajoutés, rien de bien méchant ou qui casse l'ambiance.

Bon je ne vais pas faire comme si ce jeu n’avait pas de défaut : il a ce problème récurrent des point & click, à savoir qu’il réserve pas mal d’allers-retours. Et il faut attendre d’étudier la première scène de crime pour que le scénario décolle enfin. De même, en vue à la troisième personne, il n’est pas toujours évident de savoir où se trouvent les zones praticables. Mais le tableau final fait oublier ces quelques déconvenues.

La carte sera très utile pour les déplacements rapides.

Notons que le jeu est sorti sur Xbox 360 la même année que sur PC, et c’est d’ailleurs comme ça que je l’ai découvert et fini. Rien à redire, le portage est bon même si, étrangement, le jeu plantait en cas d'installation sur disque dur (cela venait peut être de ma console ? La 360 est restée une énigme, elle aussi...).

Petit détail utile : les loupes vertes indiquent les éléments que vous avez déjà étudiés jusqu'au bout.

Je vais peut-être y aller un peu fort en superlatifs pour cette conclusion, mais à mes yeux ce Sherlock Holmes Contre Jack l'éventreur est une petite pépite. En plus d'une enquête passionnante et bien menée, sans véritable temps morts et à la difficulté bien dosée, il se permet d’en apprendre au joueur sur l’une des plus grandes affaires criminelles de l’Histoire. Pour Frogware c’est l’épisode de la maturité. Le studio montre qu’il a parfaitement digéré et compris l’univers holmesien.

Sherlock Holmes contre Jack L’éventreur marque une étape car c’est le dernier jeu de la trilogie thématique. Frogwares devra confirmer que ce n'était pas un coup de chance ou un pic d'inspiration sans lendemain. Nous verrons ce qu'il en est en page suivante de l'article...

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