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Les Sherlock Holmes de Frogwares
Le célèbre détective a très souvent été le héros de jeux vidéo et ce studio ukrainien, plus que tout autre, s'en est fait une spécialité avec la série des Adventures of Sherlock Holmes que cet article passe en revue. Un tour d'horizon des innombrables adaptations de Holmes autres que littéraires est aussi au programme.

Sherlock Holmes : la nuit des sacrifiés (2006, PC)

Avant tout, il convient de préciser que le jeu possède 2 versions, la classique et la remastérisée. C’est cette dernière qui sert de base à ma critique.

Le début du développement de La nuit des sacrifiés ne se fait pas dans le calme absolu. En effet, en 2004-2005 l’Ukraine connaît la Révolution Orange et si les développeurs soutiennent le Parti Orange en arborant des habits de cette couleur, ce n’est pas le cas des propriétaires des locaux dans lesquels ils travaillent, qui eux soutiennent le parti au pouvoir et, craignant d’avoir affaire à des révolutionnaires (à leurs yeux des terroristes pilotés depuis l'étranger), vont jusqu’à appeler la police afin de les empêcher d’accéder à leur lieu de travail. Heureusement, tout ceci n’empêchera pas la production de se faire dans les temps.

Parlons du jeu : après la sortie de La boucle d’Argent, l’équipe de Frogwares s’interroge sur le devenir de la série. L’une des grandes inquiétudes est que les joueurs se lassent au fil des épisodes. Hors de question de reprendre la même formule ad aeternam. Est donc prise la décision de faire trois épisodes de Sherlock Holmes avec des thématiques fortes et différentes d’un titre à l’autre. C’est dans cette optique qu'est développé La Nuit des Sacrifiés (appelé The Awakened pour la version américaine).

Le jeu nous place dans la chambre de Watson qui, en plein cauchemar, se réveille en sursaut puis tâche de se remémorer les causes de ses nuits blanches. Saut dans le passé : deux ans plus tôt, en 1894. Tandis que Watson se montre tout guilleret, Holmes, lui, s’ennuie. Notre docteur ayant un rendez-vous, il suggère à son ami d’aller faire un tour et s'acheter de nouveaux livres pour se changer les idées. A son retour, passant devant la maison du client de Watson, Holmes découvre que le domestique de ce dernier a disparu. Très vite, Holmes et Watson apprennent que c’est loin d’être un cas isolé.

Vous ne croyez pas si bien dire, Watson.

Le début de partie de La nuit des sacrifiés laisse interrogatif : on se demande bien quelle est la particularité de ce Sherlock Holmes. Tout est assez classique, on ramasse des objets et indices, on fait des déductions, bref on mène l’enquête, ce qui nous amène à un entrepôt. On y ouvre les portes du sous-sol et là...

...Tout change. On n’est plus dans le monde de Conan Doyle, on est désormais dans un autres univers, bien plus sombre et malsain, où la folie n’est jamais loin et les menaces anciennes et invisibles. Bref, on a pénétré le monde de Lovecraft. "Holmes et les Grands Anciens" est donc la thématique de cet épisode. Il y a de quoi s'inquiéter quand on se souvient comment les choses s’étaient passées la dernière fois que Frogwares avait tenté d’inclure du fantastique dans un de leurs Sherlock Holmes. Heureusement, La nuit des sacrifiés se révèle l’exact opposé du Mystère de la momie.

En effet, le jeu, dans son écriture, se montre très respectueux de l’esprit de HP Lovecraft et l’intègre correctement à l’univers de Conan Doyle. À aucun moment on ne tombe dans le surnaturel pur et dur mais le doute plane, les codes du mythe sont là et si c’est le rationnel qui fait chaque fois avancer l’enquête, le fantastique n’est jamais bien loin. De ce fait on est bien dans un jeu Sherlock Holmes, sans jamais quitter Lovecraft. Les deux univers avaient tout pour être réunis mais il n’est pas évident du tout de les faire cohabiter sans que l’un prédomine, ce que Frogwares à pourtant réussi.

Il faudra parfois écrire une réponse. Rassurez-vous, les synonyme sont possibles.

De par sa thématique, la nuit des sacrifiés est un épisode à part dans la saga de Frogwares mais également dans l’univers du détective. Tout d’abord et c’est une évidence, il crée une atmosphère sombre que l’on ne retrouve pas dans ses autres aventures. Mais c’est aussi, sans doute, l’épisode le plus dépaysant, au sens littéral, car l’histoire amènera nos deux compères à mener l’enquête à divers endroits du monde.

Le jeu offre des espaces bien plus ouverts qu'avant et avec une certaine atmosphère. Mais un peu vides.

Pour ce qui est de l’enquête, on se retrouve avec un point & click plutôt conventionnel et les interrogatoires de suspects sont délaissés au profit de dialogues classiques. Rassurez-vous, on garde l’esprit de la série via la récolte et l’étude d’éléments. Le jeu délaisse le système de quiz avec documents à mettre en réponse pour des questions demandant une réponse écrite, et continue d’alterner les récoltes d’indices et les énigmes/casse-têtes. Leur difficulté est, même si dans l’ensemble la plupart sont faisables, assez élevée pour que j'aie été forcé de chercher la réponse ailleurs.

les énigmes sont toujours là.

Le jeu souffre malheureusement de défauts qui viennent ternir l’expérience. Son aspect graphique, déjà vieillot et dépassé à l’époque, a parfois tendance à le desservir, surtout au plan de la mise en scène. De même si Bruno Magne, qui interprète Watson dans cet épisode et les prochains, fait un bon duo avec Benoît Allemane, il en va autrement pour le reste du casting qui ne met pas en valeur les dialogues. Par ailleurs, on se demande ce qui a pris à Frogwares de mettre de la musique country à un moment du jeu. Ce n’est pas que ça ne colle pas au passage en question (une course poursuite), mais dans un jeu qui mise sur une ambiance et une histoire pesantes, ça fait plutôt tâche.

Il n'y a pas que des environnement sombres.

Tout ceci est regrettable, mais au final cela n’empêche pas La nuit des sacrifiés d’être, à mon goût, un des épisodes les plus intéressants de la saga, d’une part du fait qu’il réussisse à réunir deux univers que j’affectionne, d’autre part car il montre une volonté d’aller au-delà de la simple adaptation de Sherlock Holmes et s'approprier le mythe, sans pour autant le trahir.

Certains lieux arrivent à poser une ambiance malgré les graphismes datés.

Comme je l’ai dit au début de la page, il existe 2 versions du jeu. La remasterisée propose, par rapport à la version classique :
- Des graphismes un peu plus travaillés, même si ça reste vieillot.
- Un choix entre une vue à la troisième personne, comme dans les autres point & click 3d, et une vue à la première personne (la version originale ne propose que la seconde option).
- La possibilité de faire apparaître, en appuyant sur "espace", les éléments que l’on peut examiner. Idéal pour ceux qui détestent fouiller chaque recoin d’un écran à la souris.
- Un système d’aide qui donne des indices de plus en plus précis sur la marche à suivre.
- Une correction de la plupart des bugs et une optimisation des rendus et options graphiques.

Bref, il est préférable de jouer à la version remasterisée pour une expérience plus confortable. C’est d’ailleurs celle-ci qui est présente sur les plateformes de vente comme Steam.

La possibilité de faire apparaitre les point interactifs est une bénédiction.

Premier jeu de la trilogie thématique voulue par Frogwares, Sherlock Holmes et la nuit des sacrifiés, bien que non sans défaut, se montre donc tout à fait convaincant, que ce soit en tant que jeu "holmesie" ou "lovecraftien". Après cet univers flirtant avec le surnaturel, reste à savoir quelle sera la thématique du prochain jeu. Là encore, je me fonderai sur la version remastérisée.

Sherlock Holmes contre Arsène Lupin (2007, PC)

Cette fois, plutôt que d'intégrer Holmes à un univers particulier, Frogwares a décidé de le confronter à un adversaire de taille. Et face au plus grand des détectives, pourquoi ne pas mettre le plus grand des voleurs alias Arsène Lupin ? En effet, comme Holmes, Lupin est doté d’une grande intelligence à laquelle il ajoute un don pour le déguisement et une tendance à n'utiliser la violence qu'en dernier recours, malgré ses capacités martiales. Ce crossover est, de plus, loin d’être anodin car Maurice Leblanc, créateur de Lupin, a toujours rêvé de confronter son héros à Holmes, mais ne le put faute de droits, inventant du coup un détective au nom anagramme de celui de Conan Doyle : Herlock Sholmès (d’ailleurs à ce qu’on dit, Doyle n’apprécia pas trop le clin d'oeil).

Bref, tout souligne à quel point les deux protagonistes devaient un jour s'affronter. Frogwares ne perd pas de temps pour le développement puisque le jeu sort à peine un an après La nuit des sacrifiés. Notons que Lupin étant totalement inconnu aux U.S, au Royaume Uni et en Australie, le jeu y est renommé Sherlock Holmes: Nemesis (ce qui est trompeur vu qu'en principe, la nemesis de Holmes est Moriarty) et dans les pays hispaniques Sherlock Holmes y el Rey de los Ladrones (Sherlock Holmes et le Roi des voleurs). Voyons maintenant si le pari est réussi.

Un an après leur aventure dans La nuit des sacrifiés, Holmes et Watson reçoivent une lettre d’Arsène Lupin. Ce dernier leur annonce qu’il compte s’emparer de cinq objets importants à Londres, dans le but d’humilier la Grande Bretagne. Et comme il veut aller jusqu’au bout de cette idée, il défie le plus grand détective du monde de l’en empêcher, et lui laisse même quelques indices. Commence alors un jeu du chat et de la souris ou plutôt, en l’occurrence, du gendarme et du voleur.

On visitera divers endroit de Londres. Notons que c'est également le seul jeu où l'on incarne l'inspecteur Lestrade (pour une très courte phase).

Après l’ambiance sombre et fantastique de La nuit des sacrifiés, cet épisode se veut bien plus léger et bon enfant. Trop bon enfant, dirais-je même. Comme vous avez pu le constater, l'intrigue est simple et sans ambiguïté et nous tenons là, à mes yeux, un des premiers défauts du jeu par rapport aux autres épisodes. D’une part le scénario est très prévisible puisque chaque objet va permettre d’aller dans un nouveau lieu pour tenter de contrer Lupin, où le même enchaînement de phases se produira.

D'autre part, l’ensemble est trop gentillet. Lupin étant un pacifiste, il ne faudra pas vous attendre à de grandes scènes de suspens ou de tension. Au contraire, on tombe plutôt dans le Grand-Guignol. Ajoutez à cela qu’au final l'objectif se résume à sauver l’honneur et la réputation d'un pays, et si comme moi ce genre de notion vous passe au-dessus de la tête, vous aurez du mal à vous investir dans cette aventure. "Y a pas mort d’homme", comme on dit, et c’est justement ça le problème.

Ha ha, quel rigolo ce Lupin... Pour info le directeur de Frogwares a dit s'être inspiré du film Ocean Eleven pour les cambriolages que commet notre Arsène national.

Lupin devant être un adversaire digne de Sherlock Holmes, les développeurs se sont retroussé les manches en ce qui concerne les énigmes et casse-têtes, et ils n’y sont pas allés de main morte, les bougres. Sherlock Holmes contre Arsène Lupin est sans doute l‘épisode le plus difficile de la saga sur ce plan. Trop dur d’ailleurs : on risque de rester bloqué au point, assez souvent, d'en arriver à consulter une solution. Le jeu est clairement déséquilibré, ce qui lui a d’ailleurs valu pas mal de critiques.

Et en plus c'est pas forcément fun, comme avec cette énigme qui prend des plombes même si on l'a comprise...

Il n’y a pas grand-chose à dire sur l’aspect technique ou le gameplay vu qu'on retrouve exactement le même moteur graphique que dans La nuit des sacrifiés, ce qui explique comment le jeu a pu sortir aussi rapidement. On peut tout de même lui concéder le plaisir de visiter plusieurs endroits symboliques de Londres, plutôt bien rendus. Par ailleurs il n’y a pas de musique originale, simplement des thèmes classiques. J’en profite d'ailleurs, pour ceux qui se le demanderaient : la musique qui introduit les aventures de Sherlock Holmes dans cette trilogie est Souvenir d'un lieu cher de Tchaïkovski. Comme pour La nuit des sacrifiés, le jeu existe sous deux éditions et il convient évdemment de privilégier la remasterisée.

Oui, bien sûr, quand on dit Holmes et Lupin il faut qu'il y ait une caricature d'homosexuel chantant des chansons paillardes...

Il n’y a pas grand-chose à ajouter : Sherlock Holmes contre Arsène Lupin se montre très décevant, peu ambitieux dans sa narration, trop retors dans ses énigmes... Deux personnages mythiques placés dans un récit sans consistance... Si le titre respecte l’idée d’une thématique unique pour chaque jeu, il est loin de combler les espérances. Pas forcément mauvais, mais à réserver aux fans les plus acharnés de la saga. Avec le prochain titre s'achèvera la trilogie thématique, et après avoir fait face à l'indicible puis au plus grand des voleurs, Sherlock Holmes rencontrera l’Histoire.

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