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Par Jean-Christian Verdez (26 août 2024)
White Birds est (ou plutôt était) un studio de développement français fondé en 2003 par quatre anciens de chez Microïds, Benoît Sokal, Jean-Philippe Messian, Olivier Fontenay et Michel Bams. Fait amusant, leurs jeux ont quasiment tous comme particularité d'avoir un lien avec la bande-dessinée. Passons rapidement sur les adaptations pour Nintendo DS de Martine à la Ferme et Martine à la Montagne, et citons plutôt le premier jeu de la société, Paradise (2006) : En parallèle de sa sortie, Benoît Sokal a produit 4 bandes-dessinées racontant la même histoire que celle du jeu, mais d'une façon différente, adaptée à cet autre média. L'idée était de toucher à la fois les fans de BD qui ne pratiquaient pas le jeu vidéo, et les amateurs de jeux ne lisant pas de BD. Avec la grosse production suivante de White Birds, L'Île Noyée (2007), on est cette fois en présence d'une libre adaptation d'une BD de Sokal, le tome 7 de l'Inspecteur Canardo. (L'auteur nous avait d'ailleurs déjà fait le coup avec son tout premier jeu en 1999, L'Amerzone, inspiré du tome 5). Un an après l'Île Noyée, le jeu qui nous intéresse aujourd'hui sort et confirme à son tour les liens entre Jeu Vidéo et BD dans les oeuvres estampillées White Birds. Il s'agit de Nikopol : La Foire aux Immortels (2008), alias "Secrets of the Immortals" pour les anglophones. De la Bande-Dessinée au Jeu VidéoBien avant d'être un jeu vidéo d'aventure, Nikopol est un classique de la littérature de science-fiction sorti en trois volumes : La Foire aux Immortels (1980), La Femme Piège (1986) et Froid Équateur (1993). Cette trilogie signée Enki Bilal dépeint un univers étrange, où le tragique se confond avec l'absurde. Ce que l'on baptisera à postériori "la Trilogie Nikopol" est réputé pour avoir révolutionné le genre, ni plus ni moins. Mais focalisons-nous sur le premier tome. L'histoire débute en 2023. Paris est devenue une ville autonome, dirigée par un régime fasciste avec à sa tête le dictateur Choublanc. La capitale se sépare désormais en deux arrondissements : l'un est réservé aux privilégiés qui soutiennent le régime, l'autre regroupe le reste de la population (essentiellement humaine mais avec aussi quelques créatures extra-terrestres), dégénérée et abandonnée à son sort... En pleine période électorale (avec Choublanc comme candidat unique), un vaisseau spatial en forme de pyramide s'arrête au-dessus de la capitale. Ses occupants, les dieux égyptiens, ont besoin de carburant pour continuer leur voyage. Tandis que des négociations commencent avec Choublanc, qui y voit l'occasion d'acquérir l'immortalité, le dieu Horus en profite pour déserter. Relégué au second plan par son rival Anubis, il espère trouver un moyen de se venger. En parallèle, Alcide Nikopol, un prisonnier maintenu depuis 30 ans en hibernation dans l'espace à bord d'une capsule cryogénique pénitentiaire, s'écrase sur Terre à la suite d'une panne de sa capsule. Horus décide d'utiliser Nikopol pour s'emparer du pouvoir politique à Paris et, ainsi, prendre sa revanche sur Anubis. Il fusionne avec le corps de Nikopol pour passer inaperçu parmi la population... Accessoirement, Nikopol a un fils, lui aussi nommé Alcide Nikopol. Ce dernier n'a jamais connu son père condamné à la cryogénisation avant sa naissance, et n'apparaît que peu dans la bande-dessinée malgré un rôle déterminant à la fin de l'histoire (je ne spoile rien). Il a en revanche une place de choix dans l'adaptation en jeu vidéo. En effet, si le père est le personnage principal de la BD, le jeu vidéo choisit de raconter la même histoire, mais du point de vue du fiston. On vit donc une aventure en parallèle, différente bien que se concluant de la même manière. Ce n'est pas obligatoire, mais lire la bande-dessinée avant de se lancer dans cette version vidéo-ludique est tout de même fortement conseillé histoire de bien percevoir tous les enjeux, ainsi que plusieurs événements ellipsés par le jeu. Je pense notamment au personnage XB2, qui semble sorti d'un chapeau à la fin du jeu alors qu'il est au premier plan dans la BD. La Foire aux Immortels, le jeu, a été supervisé par l'auteur Enki Bilal lui-même, ce qui est d'emblée rassurant quant à l'utilisation de ses personnages, son univers, et ses dessins. Par ailleurs, il est important de signaler qu'il s'agit bien de l'adaptation de la BD, et pas du film Immortel, ad vitam de 2004, (lui aussi signé Bilal et inspiré à la fois de La Foire aux Immortels et La Femme Piège). Quelques libertés et modifications ont tout de même été prises, histoire de moderniser un récit déjà vieux de près de trente ans. Bref, dans ce jeu vous incarnez Alcide Nikopol (junior), vivant dans un appartement délabré de l'arrondissement réservé à la population de basse extraction. Ignorant tout des événements concernant son père, notamment son retour sur Terre, ce brave Nikopol cherche de son côté à rejoindre la résistance contre le dictateur en place. Passée une petite mise en situation faisant office de didacticiel, notre héros voit son appartement détruit par une créature cherchant à le tuer. Il se rend dans ce qui passe désormais pour un cimetière (une ancienne boucherie) pour y trouver son employeur, chef d'un ordre religieux pouvant lui permettre de contacter la résistance. Au terme de plusieurs énigmes et péripéties, Nikopol rencontre Anubis. Il découvre que son père est toujours en vie et cohabite avec le malveillant Horus. Ayant des intérêt communs, Nikopol et Anubis passent un accord pour mettre Horus hors d'état de nuire et sauver Nikopol senior... Paris sera toujours ParisNous voilà donc plongé dans un jeu d'aventure dont le gameplay s'inscrit dans la continuité d'autres productions françaises comme L'Amerzone, Dracula Résurrection et ses suites, ou encore Post Mortem : proposant une vue subjective en écrans fixes pré-calculés, vous pouvez tourner à 360° tandis que le curseur, lui, est toujours fixé au centre de l'écran. Pour avancer dans l'histoire, il va falloir jongler entre la recherche et l'utilisation d'objets divers, et la résolution d'énigmes un peu plus complexes. Des cinématiques stylisées à la manière de cases de bandes-dessinées viennent ponctuer votre progression. Une formule efficace et qui a fait ses preuves. Les graphismes sont très corrects pour un jeu de 2008, et mettent bien en valeur l'excellente direction artistique ! Les décors, sales et misérables, expriment à leur manière l'histoire passée et chaotique de la ville, ainsi que l'énorme clivage entre les deux arrondissements. Cependant on regrettera peut-être, comme souvent avec les dystopies futuristes, que la plupart des lieux soient aussi sombres ou peu contrastés. Un conseil, jouez avec les volets fermés ! Dommage aussi qu'on ne croise pas plus de personnages différents, ne serait-ce qu'en arrière-plan. La ville paraît vide, et tandis que la BD fourmillait de vie, le casting se résume ici à quelques gardes, et deux-trois personnages-clefs qu'on ne rencontre parfois qu'une seule fois. Du côté des énigmes, White Bird fait là-aussi dans le puzzle traditionnel, efficace quoiqu'un peu rigide. Quelques clics hasardeux le temps par exemple d'assimiler le fonctionnement de la machine sur laquelle on est en train d'agir, puis on résout le puzzle. Même si ces énigmes sont globalement simples, leur résolution fait parfois preuve d'une difficulté inégale. Par exemple, à un moment de l'histoire, il y a une machine qui permet de coder des cartes d'accès pour ouvrir certaines portes, et la solution n'est franchement pas évidente à mettre en oeuvre. On finit par cliquer un peu n'importe comment sur les boutons avec agacement, en espérant que ça passe. Et comme ça ne passe évidemment pas, on recommence. Heureusement, la plupart des autres énigmes se résolvent plus simplement ou/et très logiquement. On notera aussi quelques passages exigeant d'effectuer une série d'actions/déplacements en un temps limité (non affiché), comme lorsque, infiltré dans un lieu farouchement gardé, il faudra prendre soin d'éviter les patrouilles ou/et trouver le moyen de les neutraliser. Dans l'absolu, aucun de ces passages n'est vraiment difficile, surtout qu'en cas d'échec, le dernier checkpoint automatique n'est jamais bien loin. Néanmoins, être obligé de recommencer plusieurs fois la même chose jusqu'à comprendre précisément ce qu'il faut faire peut devenir frustrant. De toute façon, le temps limité dans un jeu d'aventure, ça a toujours été (et ce sera toujours) une mauvaise idée ! Qu'on se le dise. De manière générale, le rythme est plutôt soutenu. L'intrigue se divise en cinq actes, correspondant à cinq zones (l'appartement du héros, le cimetière, le métro parisien, la tour Montparnasse, et l'Élysée), et on n'y reste jamais très longtemps. Contrairement à beaucoup de point'n click dans lesquels il est fréquent de faire des allers-retours entre des lieux de plus en plus nombreux au fil du scénario, la progression est ici un peu plus linéaire : une fois ramassés quelques objets essentiels et après avoir échappé à une créature belliqueuse, vous ne remettrez plus jamais les pieds dans l'appartement. Idem pour chaque endroit visité. Loin d'être un défaut, cette linéarité octroie au scénario un maximum d'efficacité ! En contrepartie, La Foire aux Immortels est plutôt court ; comptez environ 5 heures pour en venir à bout si vous êtes un habitué du jeu d'aventure. À mon humble avis, ça reste raisonnable, surtout qu'il vaut mieux un jeu d'aventure un peu trop court plutôt qu'un jeu trop long qu'on abandonnerait par lassitude en cours de route. BilanSans être le plus grand chef-d'oeuvre du genre, La Foire aux Immortels s'en sort bien ! Amateur de la BD originelle, j'ai apprécié cette nouvelle perspective sur l'histoire d'Alcide Nikopol, et ludiquement parlant j'ai aussi été satisfait par cette formule classique dans la lignée des jeux d'aventure à la française des années 2000. Du même coup, on peut regretter que les deux autres tomes de la trilogie Nikopol n'aient jamais eu droit à leur tour à une adaptation vidéo-ludique. Rassurez-vous, scénaristiquement ça ne pose aucun souci, car l'histoire de La Foire aux Immortels se suffit à elle-même et vous ne subirez pas un twist irrésolu en fin de partie comme ça a pu être le cas pour d'autres oeuvres par le passé (coucou Shenmue). Mais pour ma part je n'aurais pas rechigné à passer plus de temps dans l'univers étrange de la trilogie Nikopol, avec sa culture atypique et ses personnages insolites sur lesquels on aimerait bien en apprendre davantage... Malheureusement le sort en a décidé autrement pour la société White Birds qui, après des difficultés financières l'ayant contrainte à développer des jeux moins ambitieux sur DS, a fermé ses portes en 2011. Il nous en reste quelques bons jeux d'aventure, parmi lesquels Nikopol : La Foire aux Immortels. Il n'est peut-être pas aussi connu ou réputé que pourrait l'être, par exemple, Paradise sorti deux ans plus tôt. Mais ça ne l'empêche pas d'être à la hauteur de ses ambitions. Et puis un jeu adapté d'une bande-dessinée de science-fiction mérite forcément votre attention ! D'ailleurs, j'en profite au cas où un éditeur de jeux habitué aux adaptations transmedia passerait par-là : ça ne vous dirait pas d'adapter Valérian & Laureline, un de ces jours ? Envie de réagir ? Cliquez ici pour accéder au forum |