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Oddworld : Munch's Oddysee
Année : 2001
Système : GBA, Mac OS X, Windows, Playstation 3, PS Vita, Xbox
Développeur : Oddworld Inhabitants
Éditeur : Microsoft
Genre : Action / Plate-forme / Réflexion
Par Laurent (21 janvier 2004)

(janvier 2004) : ce jeu fait partie de la série Oddworld, créée par Lorne Lanning et sa compagne Sherry McKenna, qui dirigent une équipe de développement nommée Oddworld Inhabitants. Cette série doit comporter à terme 5 chapitres comprenant chacun un ou deux jeux. Le premier est formé par Oddworld: Abe's Oddysee (1997) et Oddworld: Abe's Exodus, sortis sur Playstation et PC, édités par GT Interactive, qui ont connu un succès modéré auprès du public malgré de très bonnes critiques. Par la suite, Microsoft a racheté les droits de la série, et le troisième jeu (qui introduit le deuxième épisode), Oddworld: Munch's Oddysee, est le premier à proposer un gameplay en 3D. Il s'agit d'une exclusivité Xbox (la version GBA éditée par THQ est très différente, avec un gameplay en 2D), sortie pratiquement en même temps que la console (une version PS2 était prévue mais n'a bien entendu jamais vu le jour). Microsoft en a même fait un de ses jeux phares et tenté d'imposer le personnage de Munch comme mascotte de la console, mais les chiffres de vente catastrophiques de la Xbox dans ses premiers mois d'exploitation ont transformé Munch's Oddysee en bide commercial. Au moment où cet article est mis en ligne, un nouvel Oddworld, toujours sur Xbox, est en cours de développement, et Munch's Oddysee est vendu neuf pour une poignée d'euros.

Voir également l'article de MTF sur Abe's Oddysee et Abe's Exodus.

Introduction

Lorne Lanning et Sherry Mc Kenna

Les critères qui nous font apprécier un jeu vidéo sont de plus en plus nombreux, allant de sa valeur ludique à sa richesse thématique, en passant par sa conformité à l’évolution technologique du média. Aussi, rares sont les titres qui font l’unanimité sur toute la ligne. Munch’s Oddysee n’est pas de ceux-là, mais constitue une vraie réussite artistique, capable de prouver même aux esprits les plus réfractaires que le genre aventure/plates-formes n’est pas seulement porteur d’un plaisir ludique viscéral dépourvu de toute signifiance.

Parabole

Munch
Abe

Au cours de l'Histoire, toutes les formes de régime politique imaginables ont été mises en pratique à l’échelle d’une nation, et toutes ont échoué à traiter deux problèmes majeurs : les inégalités sociales et le non-respect de l’environnement. Voir ces deux thèmes illustrés par un jeu vidéo est déjà intéressant, mais quand on sait qu’il s’agit en plus d’un jeu de plates-formes aussi ludique et jovial que le genre l’exige, voilà qui a de quoi attiser la curiosité. Ainsi, le fait que la série Oddworld ne connaisse depuis ses débuts qu’un succès relatif ne fait-il rien pour convaincre ceux qui estiment que le grand public est le pire ennemi des jeux vidéo qu’ils se trompent. Les deux premiers épisodes conciliaient intelligemment des phases de jeu en 2D (plutôt old-school, elles s’inspiraient de Prince of Persia) et une narration soignée, ponctuée de cinématiques somptueuses, qui donnait au jeu son identité. Munch’s Oddysee tente de transposer cet équilibre dans le cadre particulièrement risqué du jeu de plates-formes en 3D.

On retrouve donc Abe, le Mudokon considéré par ses pairs comme le Messie après ses succès rencontrés dans les deux premières aventures, mais le jeu introduit un nouveau personnage : Munch, Gabbit de son état. Les Gabbits formaient autrefois un peuple aquatique paisible. Munis d’une seule patte, palmée, ils sont remarquablement agiles sous l’eau, mais patauds et lents sur terre, incapables de sauter sans trébucher et tomber. Mais de toute façon tout le monde se fiche des Gabbits, puisque l’espèce à pratiquement disparu, Munch étant son dernier représentant vivant. Le problème est que les Glukkons raffolent de leurs oeufs, le « Gabbiar », à tel point que la pénurie de ce précieux amuse-gueule fait rage. Il ne reste plus qu’une boîte, que Munch s’est mis en tête de dérober pour faire éclore les oeufs et sauver son espèce. Abe, de son côté, est toujours aussi enclin à libérer le plus possible de ses congénères esclaves, d’autant qu’il a découvert par hasard que la chair de Mudokon est sur le point de remplacer le Gabbiar en tant que nourriture de base des Glukkons !

Après avoir nettoyé une salle en pilotant un robot à distance, Munch prend la fuite.
Abe ressuscite Munch, l'aventure continue.

On retrouve le système concentrationnaire décrit dans les deux premiers épisodes : les Glukkons constituent le pire des modèles capitalistes, exploitant les plus faibles qu’eux sans se soucier des conséquences écologiques de leurs actes. Ils puisent dans les ressources de leur planète sans aucune restriction, ne s’en inquiétant que trop tard, en l'occurrence lorsque l’espèce qui leur sert de nourriture est sur le point de s’éteindre. Abe et Munch, de leur côté, représentent le seul espoir d'un univers que le comportement irresponsable de son espèce dominante menace. Ces deux personnages, des anti-héros a priori mal armés pour sauver le monde, devront compter l’un sur l’autre, pousser leurs semblables à se soulever, faire preuve de malice et de courage, mais jamais ils ne seront autre chose que des parias.

On le voit, tout cela est particulièrement pessimiste et contient une métaphore politique facile à discerner. Heureusement, le jeu baigne dans un humour rafraîchissant, naïf et dénué de toute vulgarité qui fait office de ballon d’oxygène sans pour autant effacer une certaine mélancolie : Abe et Munch, malgré l’horreur de leur condition, s’expriment sur un ton léger et badin, mais d’une voix fatiguée, légèrement désabusée.

Abe envoie toute une troupe de Mudokons à l'assault de sentinelles Glukkons.
Les phases où l'on dirige des robots sont jouissives et magnifiquement animées, hélas elles sont peu nombreuses.

Entr'aide

Lorsque le jeu démarre, Munch est prisonnier dans les laboratoires Vykkers (les scientifiques des Glukkons), et on lui a implanté un émetteur d’ultra-sons pour lui faire capturer des Fuzzles, petites boules de poil utilisées comme cobayes pour diverses expériences. Munch découvre qu’à l’aide de son émetteur il peut ouvrir les cages des Fuzzles, et ceux-ci l’aident à se libérer de ses liens. Il devra s’évader des laboratoires et retrouver Abe, allié précieux grâce à ses capacités physiques supérieures en milieu terrestre et le soutien inconditionnel qu’il reçoit des autres Mudokons, prêts à risquer leur vie pour lui.

Le jeu comporte 25 niveaux, et en dehors des deux ou trois premiers, qui précèdent la rencontre entre Abe et Munch, le joueur sera tout le temps amené à diriger en alternance les deux personnages et exploiter leurs pouvoirs respectifs.

- Munch est très agile sous l’eau (dans laquelle il peut effectuer des bonds impressionnants), il peut diriger un troupeau de Fuzzles et les lancer à l’attaque contre toute ennemi rencontré, et son émetteur peut lui servir d’arme. Il peut aussi piloter certaines machines construites par les Glukkons (principalement des grues et des robots).
- Abe craint l’eau qui le tue très rapidement, mais il peut sauter et courir, transporter ses amis et les projeter. Sa capacité à prendre le contrôle des ennemis par télépathie sera fort utile (le joueur dirige alors la créature envoûtée, que ce soit pour activer un mécanisme inaccessible à Abe, tuer un autre ennemi ou simplement se suicider pour ne plus constituer un obstacle).

Sous l'effet d'une boisson magique, Munch dispose temporairement d'un tir qui peut anéantir les Glukkons.
Dans les décors extérieurs, les textures ne sont pas très détaillées mais la distance d'affichage est satisfaisante.

Il s’agira donc d’utiliser intelligemment ces deux personnages pour ouvrir des portes, franchir des barrières, transporter des esclaves jusqu’à des téléporteurs et échapper aux nombreux ennemis. Le jeu mêle la plate-forme pure au puzzle-game coopératif à la Lemmings, avec en bonus quelques petites phases d’infiltration (Abe a la possibilité de se déplacer très lentement, sur la pointe des pieds, grâce au stick analogique). On retrouve le game speak des deux premiers épisodes de la série Oddworld, qui permet aux deux héros de donner des instructions aux troupes qu’ils dirigent, sauf qu’à présent celles-ci peuvent atteindre un grand nombre d’individus. Il n’est ainsi pas rare de diriger une vingtaine de personnages, à savoir Abe et Munch accompagnés de Mudokons et de Fuzzles. Ces derniers ne sont pas seulement là pour qu’on les protège : les Mudokons peuvent êtres armés de gourdins ou de pistolets laser, et les Fuzzles, malgré leur apparence adorable, ont des mâchoires très puissantes et des dents acérées. On exploitera donc ces capacités belliqueuses pour se débarrasser des ennemis contre lesquels Abe et Munch ne peuvent, individuellement, presque rien.

Les niveaux sont beaucoup moins étendus que dans Abe's Oddysee et Abe's Exodus. Dans certains cas, on peut même apercevoir la sortie dès le commencement. Bien entendu, il y a des Mudokons et des Fuzzles cachés un peu partout, et il convient d’en libérer le plus possible pour améliorer son « Quarma », chiffre qui évalue la valeur héroïque des deux principaux protagonistes, et permet de débloquer plusieurs fins du jeu. Au premier abord on pourrait penser que le gameplay ne diffère pas vraiment de celui des deux premiers épisodes, mais la conception des niveaux exploite toutes les combinaisons d’actions possibles. De plus la présence de Munch et ses pouvoirs propres constitue au final un apport déterminant : on se sert de lui pour débloquer un passage, que Abe va emprunter pour ouvrir une porte que seul Munch pourra franchir, etc. Les phases ou Munch utilise des grues pour transporter ses amis et ennemis dans des endroits stratégiques sont nombreuses et souvent très ludiques (le jeu passe alors en vue aérienne au dessus de la grue), et il pourra occasionnellement (trop, hélas) diriger des robots surpuissants et très maniables, toutes ces phases annexes contribuant à donner au gameplay la variété souhaitée.

Une zone inondée : Munch entre en scène. Sa capacité à nager rapidement et sauter comme un dauphin sera déterminante.
Au début de chaque niveau, un chaman Mudokon explique le but de la mission sur un ton ironique (il ne donne pas cher des chances de Abe et Munch).

Les objectifs des niveaux sont par contre très répétitifs, mais c'est pour la bonne cause : ils ne sortent jamais de la thématique écologiste et libertaire du jeu. Il s’agira donc en général de libérer un maximum d’esclaves et de saboter au passage une machinerie Glukkon qui génère du profit au détriment de l'environnement. Heureusement la quête principale, à savoir la sauvegarde de la dernière boîte de Gabbiar, permet en cours de jeu un revirement intéressant du scénario : Abe et Munch vont devoir aider Lulu, un financier Glukkon particulièrement crétin que Abe est en mesure de contrôler par télépathie, à s’enrichir et acquérir la précieuse boîte dans une vente aux enchères. Ceci fait, il leur sera facile de lui dérober. Une partie des missions aura donc pour but de pousser des patrons Glukkon à reverser leur fortune sur le compte de Lulu.

Munch découvre que tous ses congénères ont été pris par les filets Glukkons, et il devient le cobaye des Vikkers. Génocide, vivisection... Au-delà du simple prétexte scénaristique, la cinématique d'intro est terrible si on se penche sur les thèmes qu'elle aborde. Tout le jeu est à l'avenant.

Approximations

Si on s’attarde sur les aspects vidéo-ludiques courants, Munch’s Oddysee révèle ses plus gros défauts. Concernant le passage à la 3D, on peut dire que les développeurs sont tombés à peu près dans tous les pièges : la caméra n’en fait qu’à sa tête et se cogne contre toutes les parois, les sauts de Abe, dont la longueur dépend de sa vitesse de course au moment de l’impulsion, occasionnent de nombreuses chutes et des passages de plate-forme en plate-forme qui sont si agaçants qu’on croirait que c’est un fait exprès, et la manœuvrabilité réduite de Munch sur terre, bien que normale à la vue des caractéristiques du personnage, finit par être si gênante qu’on en vient à se servir de lui le moins possible alors qu’il est supposé être le personnage principal... Embarrassant quand on connaît le perfectionnisme des Oddworld Inhabitants !

Un autre défaut du jeu est ce que les spécialistes éclairés appellent le « backtracking », à savoir le fait de prolonger artificiellement certaines phases de jeu par la répétition obligatoire d'une série d'actions ou de déplacements. On placera dans cette catégorie ces groupes de Mudokons qu’il faut libérer en les portant un à un d’un bout à l’autre d’une grande salle bourrée d’embûches, ou ces endroits pleins d’ennemis à éliminer, sans en oublier un seul, au moyen d'une arme qu'on doit aller réactiver au bout d'un long couloir toutes les 30 ou 40 secondes.

Abe collecte du spooce qui lui servira à ouvrir certaines portes. C'est l'occasion d'une phase 100% plates-formes.
Les exploits de nos deux héros font la une des journaux Glukkons, qui apparaissent dans des cut-scenes hilarantes.

Contrairement aux deux premiers Oddworld, Munch’s Oddysee est d’une difficulté très modérée, voire même inexistante sur les 10 premiers niveaux. Les développeurs ont certainement voulu ainsi le rendre accessible à un large public (à moins que la consigne n'ait été donnée par Microsoft ?). Ainsi, Abe et Munch peuvent-ils avaler plusieurs types de potion, dont on n’est jamais à court, qui leur donnent des pouvoirs supplémentaires : vitesse de déplacement accrue, tir au laser pour l’émetteur de Munch, capacité de sauter très haut etc. Les énigmes proposées exploitent bien les possibilités induites, mais se résolvent très facilement. Par ailleurs, les deux personnages peuvent se résusciter mutuellement à peu près n’importe quand dans des « autels de résurrection », et la sauvegarde est possible à tout instant. Autant dire que la progression est constante et que le jeu se termine rapidement, en une quinzaine d’heures tout au plus à moins qu’on repasse les niveaux au peigne fin pour dénicher les derniers esclaves emprisonnés, mais même sur ce point le jeu est bien moins vicieux et retors que ses deux prédécesseurs. La petite taille des niveaux empêche de se perdre et le contact avec les ennemis est beaucoup moins vite mortel que dans les deux jeux précédents. En définitive, lorsque le joueur échoue et doit recommencer, c'est le plus souvent à cause des problèmes de maniabilité, ce qui fait plutôt mauvais effet...

Les décors intérieurs sont en général trop sombres, mais il y a quelques exceptions.
Abe démarre cette mission seul.

Munch’s Oddysee, si on le considère en tant que simple jeu de plates-formes, possède donc des défauts gênants que les critiques n’ont pas manqué de soulever à sa sortie. Le professionalisme des développeurs empêche la présence de véritables bugs (les troupeaux de Mudokons et de Fuzzles suivent Abe et Munch sans se retrouver bloqués et les commandes répondent parfaitement même si on peut contester la façon dont elles sont étalonnées), mais dans la mesure où les deux premiers Oddworld se plaçaient au sommet de ce qui est possible en matière de jeu de plates-formes 2D parfaitement réalisé à la maniabilité irréprochable, on peut avoir l’impression d’une régression. En tout cas, ce n’est pas ce jeu qui parviendra à établir définitivement que la 3D est un bienfait pour le genre plates-formes.

La laideur en beauté

Dans la grande tradition Oddworld, Munch’s Oddysee commence, se conclut et se voit ponctué tous les trois ou quatre niveaux par des cinématiques incroyablement belles et efficaces, tantôt hilarantes (la vente aux enchères finale) ou émouvantes (l’introduction lors de laquelle Munch raconte l’extermination de son espèce met réellement mal à l'aise), dont la principale qualité est de s’intégrer à merveille au visuel des phases de jeu proprement dit sans pour autant renoncer à des images de synthèse de haut niveau. C'est même mieux que cela : lorsque les cinématiques se terminent et laissent la place au moteur graphique du jeu, on a l’impression de toujours y être. Ces mini-films font partie intégrante du jeu et servent d’articulation au scénario. Comme si ça ne suffisait pas, le menu principal permet également de visionner les cinématiques des deux épisodes sur Playstation.

Le Glukkon : abruti, cruel et irresponsable. Ça ne vous rappelle pas quelqu'un ? Ou plutôt 6 milliards de quelques uns ?
Les Fuzzles peuvent être de précieux alliés.

En ce qui concerne les graphismes du jeu proprement dit, c’est une réussite qui a les défauts de ses qualités : les décors sont beaux, mais peu variés dans leur ambiance et surtout très sombres (avec un câble RGB le jeu est même carrément fatigant pour les yeux). Les personnages, qui ont toujours été en 3D (sauf que sur Playstation ils étaient convertis en sprite à la manière de Donkey Kong Country), ont à peu près conservé leur apparence à la fois hideuse et attachante, et leur animation est irréprochable. Sur Xbox on pouvait probablement exiger des textures plus fines et une animation à 60 images/secondes (là on serait plutôt dans le domaine des 30 fps), mais peu importe, le jeu possède une véritable cohérence visuelle, dont le seul défaut est de l'éloigner totalement de l'atmosphère lumineuse et bigarée qu’on trouve en général dans un jeu de plates-formes.

Du côté de la bande sonore, en revanche, c’est un sans-faute : la musique (si on peut parler de musique, car il s’agit plutôt d’une sorte d’ambiance sonore à base de percussions diverses) est très discrète, à tel point qu’il n’est pas gênant qu’elle ne change jamais. Les effets sonores sont hilarants et contribuent à donner aux passages purement plate-forme le dynamisme qu’on peut en attendre. Mais la plus belle réussite sonore de Munch’s Oddysee, ce sont les voix : en version française, les personnages s’expriment dans un langage argotique désuet : « Salut les pelotes de laine », « Ça boume ! », « Un peu d’huile de coude, les gars »... On est loin des « mais qu’es'tu fous ? » de Rayman 3... L’effet comique dû aux voix dans Munch’s Oddysee, comme toutes les émotions que procure le jeu, est diffus, subtil et remporte l’adhésion sur la durée (mention spéciale pour les Mudokons, dont la voix est diffusée en léger accéléré). L'exemple d'un Toe Jam & Earl 3, autre représentant du genre action/plates-formes sur Xbox, est la meilleure preuve que des gags vocaux peuvent, à force de répétitions incessantes, rendre l'humour d'un jeu insupportable alors qu'initialement il était très efficace (et le fait que TJE3 soit interminable n'arrange rien !). Munch's Oddyssey échappe à ce travers par un travail tout en finesse et en parcimonie sur ses dialogues.

Munch guide des Fuzzles vers la liberté. Accessoirement, il leur demandera de grignoter quelques ennemis.
Abe doit regrouper ces adorables moutons-cyclopes dans un enclos : ce passage est emprunté à Zelda 64, mais prend une signification très particulière dans le cadre d'Oddworld.

Dans la version originale les voix sont enregistrées par Lorne Lanning, l'initiateur du projet Oddworld en personne. On ne peut que saluer la VF, remarquable, qui ne trahit aucunement ses intentions. Par contre, les effets humoristiques d’ordre scatologique (en pressant un bouton du pad, Abe pète et Munch rote), n’apportent pas grand chose, et semblent ne servir strictement à rien dans le cadre du jeu.

Attendrissement

On l’a vu, Munch’s Oddysee n’est pas une réussite ludique totale. Le jeu souffre de tares qui montrent que ses auteurs n’ont pas totalement su s’adapter à la 3eme dimension. Pourtant, il laisse un souvenir très agréable, et mérite vraiment d’être découvert et mené à son terme, car rares sont les jeux de plates-formes qui provoquent une telle implication émotionnelle. Le travail remarquable sur le design des personnages et le scénario fait qu’on se sent concerné par ce qui se passe, comme si l'on formait avec Abe et Munch un trio de copains qui se soutiennent mutuellement. On prend un plaisir revanchard à libérer les esclaves et faire payer à ces ordures de Glukkons le mal qu’ils ont fait à leur planète comme aux espèces pacifiques qui y vivent. Pourquoi une telle identification ? Tout simplement parce que la planète d'Abe nous rappelle en permanence la nôtre, et les Glukkons nous renvoient à des dérives bien réelles du comportement humain.

Une courte phase d'infiltration : Abe ne doit pas se faire repérer par cet ennemi, mais s'il le franchit, il trouvera des armes permettant de s'en débarrasser.
Munch va faire le plein de pouvoirs spéciaux dans des distributeurs à contenance infinie dont le présence en grand nombre à tendance à rendre le jeu trop facile.

En le transposant dans un univers délirant, les auteurs du jeu évitent de véhiculer un message trop tranché : les Glukkons sont des ennemis caricaturaux, stupides et inintéressants, qu’il semble vain d’essayer de comprendre. Même si leur appât du gain en fait une représentation lapidaire du capitalisme, il ne faut pas oublier qu’ils sont aussi capables de parquer leurs esclaves dans des camps de concentration, ce qui achève de leur conférer toute la corruption par le pouvoir dont l’âme humaine est capable, sans distinction de couleur politique. En conséquence les raisons qui les motivent s'effacent logiquement, et seules comptent les actions à entreprendre pour les contrer.

En revanche, les héros ont une personnalité complexe et attachante. Ils inspirent des sentiments contradictoires, paraissent à la fois laids et mignons, énervent ou attendrissent selon les situations. Au premier abord, on les trouve maladroits et plutôt simples d’esprit, mais les nombreux dialogues réussissent à leur donner vie et les font paraître dignes. Mieux : les actions que le joueur les aide à réussir leur font retrouver cette dignité. C’est bien à ce niveau que réside la lueur d’optimisme qui illumine le jeu : les méchants ont tort et sont perdants sur toute la ligne, car non seulement ils dilapident leur capital en croyant l’augmenter mais en plus ils sont complètement transparents et insignifiants, ne peuvent exercer aucune fascination. Par leur humilité et leur capacité à s'unir, les héros vont non seulement les stopper, mais en partie rattraper les dégâts qu’ils ont commis, comme en témoignent ces scènes magnifiques où, après la destruction d’un dispositif Glukkon, des rivières se remplissent de nouveau et la verdure réapparaît.

Même si globalement le jeu n'est pas un sommet graphique, certains décors sont très réussis.
Les Glukkons sont d'horribles pollueurs. Heureusement, cette usine sera sabotée à la fin du niveau.

Grâce à cette galerie de personnages pittoresques qui savent tout naturellement rallier le joueur à leur cause, le jeu fait sans problème pardonner ses quelques failles de conception. Les deux épisodes d’Oddworld qui sont prévus par la suite n’auront pas de mal à corriger tout ça.

Conclusion

Munch’s Oddysee est une expérience vidéo-ludique qu’il serait dommage d'ignorer totalement. En venir à bout n’est vraiment pas une gageure, ce qui permet de profiter tranquillement des éléments narratifs développés. À l’heure où ces lignes sont écrites, la Xbox est encore assez peu fournie dans le domaine du jeu de plates-formes : raison de plus pour se laisser tenter.

Laurent
(21 janvier 2004)
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