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Dragon Quest I, II, III - La Trilogie d'Erdrick
Année : 1987
Système : MSX, NES ...
Développeur : Chunsoft
Éditeur : Enix
Genre : RPG / Aventure / Stratégie
[voir détails]

Dragon Quest II: Luminaries of the Legendary Line (Doragon Kuesuto Tsu: Akuryo no Kamigami)
Famicom (1987) / Super Famicom (1993) / Game Boy Color (1999) / Android, iOS (2014)

À peine un an après le premier épisode, et porté par l’immense succès de celui-ci, Enix et Chunsoft remettent le couvert avec un second jeu qui confirme, à qui voulait en douter, que le précédent n’était pas un coup de chance ; et l’on ne peut qu’être impressionné par les nouveautés colossales de cet épisode. Considérons l’histoire dans un premier temps : après la défaite du Dragonlord, le héros et la princesse Gwaelin explorèrent le monde, créèrent de nombreux royaumes et eurent de nombreux enfants. Un siècle après leur départ, le sorcier Hargon envahit le château de Moonbrooke, tue ses habitants, et même son roi, qui parvient in extremis à mettre sa fille à l’abri, meurt sous les coups des séides démoniaques. Un garde parvient cependant à s’échapper et à rejoindre le royaume de Midenhall, qui est alors averti du danger. Le roi de Midenhall demande ainsi à son fils le prince, descendant comme lui du héros légendaire Erdrick, de mettre fin aux agissements de Hargon.
Dès le début de l’aventure, les personnages nous apprennent que le sorcier est puissant, et qu’il serait alors folie de l’affronter seul : on vous enjoint alors de quérir l’aide des autres descendants d’Erdrick, le prince de Cannock et la princesse de Moonbrooke, rescapée du massacre. Chose intéressante, en passant : leurs noms sont choisis aléatoirement, en fonction de la façon dont vous nommez votre héros... je ne peux donc ici les préciser ! Quoi qu’il en soit, vous rencontrerez rapidement ces descendants et descendantes légendaires, qui rejoindront votre équipe et combattront à vos côtés.

Les ambitions narratives sont bien plus marquées que dans le jeu précédent : le jeu commence par un prologue, à la fois conté et montré. On assistera ainsi à l'attaque du château de Moonbrooke et à la mort du roi dans une sorte de cinématique... Sublime !

Je n’ose imaginer, en toute sincérité, le choc, la surprise, l’étonnement de l’époque. Alors que le premier épisode était une quête solipsiste, le second jeu vous propose de diriger un trio de guerriers, plus ou moins cousins éloignés du héros d’alors, chacun spécialisé dans un style de combat et ne pouvant s’équiper que de certaines armes et de certaines armures. Le héros, prince de Midenhall, est un combattant pur et dur, à l’immense force mais incapable de se servir de la magie ; le prince de Cannock est un mage-guerrier, spécialisé dans les sorts offensifs ; la princesse de Moonbrooke est une sorcière, ayant à sa disposition de nombreux sorts de soin mais pouvant également augmenter la défense de ses compagnons ou endormir les ennemis.
Il faudra bien cela : car les adversaires, également, peuvent à présent vous attaquer en groupe. C’est dans cet épisode qu’est inauguré un principe de jeu fondamental, que l’on retrouvera constamment par la suite : les ennemis sont généralement organisés par types sur l’aire de combat. Ainsi, il est souvent plus intéressant de rencontrer plusieurs fois le même genre d’ennemis qu’une sélection d’entre eux, les sorts et les attaques trouvant alors à faire des dégâts collectivement, ce qui accélère notablement les affrontements.

Généralement, quand on lance un sort ciblant tout un genre d'ennemis, ceux situés le plus à gauche reçoivent plus de dégâts que les autres. On notera aussi que si on choisit de les attaquer physiquement, on ne peut choisir l'ennemi précis que l'on cible...
L'équipe d'aventuriers marche à la queue-leu-leu, ce qui augmente cette impression de coopération qui caractérise cet épisode.

Je ne peux, une fois encore, qu’insister sur ce point : en proposant de gérer toute une équipe, et d’affronter plusieurs monstres à la fois, les possibilités de jeu s’en retrouvent démultipliées. On approfondit magistralement notre relation à l’univers, qui en devient bien plus complexe : les ennemis travaillent ensemble, certains soignant les autres ou améliorant leur défense, de la même façon que notre sorcière soutient les efforts de ses compagnons ; et il faut souvent éliminer en priorité tel adversaire de peur de se compliquer la vie.
Cette amélioration va de pair avec l’ensemble du monde : à présent, c’est toute une galaxie de royaumes, une belle poignée de châteaux et de villes, de tours et de cavernes, de sanctuaires, qu’il faut explorer. Rapidement dans l’aventure, on obtient un navire, qui nous permet d’explorer ce monde en toute liberté ; enfin, la quête se fait bien moins linéaire que précédemment, et laisse le joueur aborder les problèmes comme il le désire. Pour vous donner une idée, le monde entier du premier épisode n’est plus qu’un petit continent parmi d’autres sur la carte générale du jeu, et il est offert dans son intégralité : c’est donc un univers deux à trois fois plus grand qu’il faut explorer, pour une durée de vie qui s’en retrouve quasiment doublée.

La carte du jeu. Si vous la comparez avec la précédente, vous reconnaîtrez le continent du premier jeu au nord-ouest... et celui-ci fait la même taille que précédemment ! Ah, et pour les Marco Polo en herbe : oui, la terre est ronde...

Les nouveautés ne s’arrêtent pas ici. Le premier épisode de Dragon Quest proposait une aventure assez plane, du moins, régulièrement organisée : on explorait un village, on nous disait d’aller dans telle cave ou d’aller dans telle autre ville, et on suivait ces consignes pour finir le jeu. Il était toujours possible d’en faire à sa tête et de brûler les étapes, tout comme il était possible, dans le premier The Legend of Zelda, de ne pas respecter la numérotation des donjons et de progresser selon ses propres règles : mais on était cependant invité, pour avoir l’expérience la plus agréable, à respecter ces consignes. De prime abord, Dragon Quest II semble opérer de même : on nous indique au commencement où se trouve le prince de Cannock, puis on se met en route pour retrouver la princesse, qui fut changée en chien par Hargon. Une fois que celle-ci a retrouvé forme humaine, le trio explore le continent jusqu’à trouver une ville portuaire et obtient un navire : et à partir de là, au joueur de se débrouiller. On sait qu’il nous faut trouver le château d’Hargon, mais il est entouré de montagnes impénétrables : à nous alors de trouver le moyen de lancer l’assaut.
Rassurons-nous : il suffit, dès que l’on a le navire, d’accoster sur le continent le plus proche et de parler au premier quidam du premier village rencontré pour savoir ce qu’il faut faire. Mais il y a néanmoins ce petit moment de flottement, cette petite détresse qui me prit alors lorsque je me rendis compte, une fois parti à l’assaut de la haute mer, que l’on ne m’avait pas donné de directive claire sur mon prochain objectif. Les indices sont toujours accessibles dans le jeu, et on les collecte assez facilement : mais ils sont plus clairsemés, grandeur du monde oblige. On est donc embarqué dans une sorte de jeu de pistes et je notais régulièrement, sur des feuilles volantes, les indices qu’on me donnait à propos d’un talisman perdu sur une île lointaine, ou d’un monstre qui garderait une arme secrète. Si l’on nous enjoint toujours de parcourir tel donjon avant tel autre sous peine de passer un mauvais quart d’heure, la rudesse des ennemis rencontrés étant fixée à l'avance, rien ne nous empêche de faire autrement : et même, sans solution explicite, il est amusant de débarquer sur une île ou un nouveau continent, d’affronter des ennemis inédits et d’évaluer leur force, afin de savoir si on a raison de s’obstiner dans cette direction ou si, au contraire, il nous faut trouver un autre pays à accoster.

On peut même revisiter tous les lieux du premier jeu, comme le château du Dragonlord, qui semble être de retour... à moins que ?
Et vogue la galère ! Dommage que personne n'ait pensé à prendre une boussole... ou une carte.

On appréciera également la grande variété des situations proposées. Pour affronter Hargon, il nous faut obtenir cinq sceaux sacrés, éparpillés aux quatre vents. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il ne s’agit pas seulement d’explorer des donjons et de tuer des monstres pour les obtenir : il faudra aussi remporter un combat organisé pour le bon plaisir d’un roi fainéant ; explorer un sanctuaire et savoir où creuser pour en trouver un autre ; récolter des indices pour faire apparaître une île secrète des eaux et parler à une déesse ancienne, libérée jadis par le héros légendaire Erdrick. Autrement dit, il ne suffit pas d’arpenter les lieux, d’aviser les tours et les cavernes et de les explorer à fond : il faut aussi être sagace et résoudre des énigmes, le jeu étant bien une « quête », dans tous les sens du terme.
Sa renommée, d’ailleurs, dépasse ses simples innovations ludiques : et les connaisseurs se souviennent, dans un mélange confus de nostalgie et d’agacement, de Malroth, l’ultime boss du jeu d’une difficulté impressionnante, ou de la labyrinthique « Caverne de Rhone », un donjon particulièrement complexe fait de trous apparaissant brutalement sous nos pieds et de couloirs bouclant sur eux-mêmes. Sans solution, il m’apparaît même pour ainsi dire impossible d’en sortir vivant la première fois : et même si les essais répétés augmentent conséquemment nos niveaux et nos compétences, récompensant toujours notre persévérance, il n’est pas rare de sortir agacé de sa partie.

Les détails sont de plus en plus nombreux : ici, ce roi fainéant est entouré de courtisanes qui dansent pour son bon vouloir.
La Caverne de Rhone est un des donjons, si ce n'est le donjon le plus pénible que je puis connaître.

Avec le confort des années, et avec l’œil nouveau qui est le mien, je dirais en effet que Dragon Quest II, indépendamment de sa stature historique et de l’évolution monstrueuse qu’il représente à l’aune et de sa série, et du J-RPG dans sa totalité, est l’épisode qui a le plus mal vieilli de cette trilogie des origines. En toute franchise, je ne lui reproche que peu de choses : mais ses tares, qui ont été transportées comme telles dans les remakes, rendent sa relecture particulièrement fastidieuse et ce malgré ma bienveillance. D’une part, la gestion de l’inventaire est une horreur. Chaque personnage possède son propre sac et on ne peut, en combat notamment, que puiser dans le sien propre : on passe alors un temps fou dans les menus à arranger ses objets et son équipement. D’autre part, il n’y a dans le jeu aucune carte : et contrairement au premier épisode où le continent était suffisamment petit pour que l'on puisse se rappeler de l’emplacement des villes et des donjons, ici, on se perd rapidement dans l’océan infini si on ne se sert pas d’un plan. Il y a bien un système de téléportation permettant de relier rapidement les continents mais une fois encore, en l’absence d’indications en jeu, on ne peut que difficilement comprendre le chemin que nous prenons.
Enfin, et non des moindres, la gestion des points de magie est encore un problème majeur. On notera des concessions et des améliorations agréables : le fait que deux personnages puissent soigner les compagnons évite d’avoir à revenir trop régulièrement en ville pour se reposer, et on trouvera même parfois des « Wizard’s Ring » qui permettent de récupérer des ressources, bien qu’ils finissent par se briser au bout de quelques utilisations. Comme, cependant, on n’en trouve que cinq ou six en tout et pour tout dans l’intégralité du jeu, malheur à celui ou celle qui les dilapiderait avant la fin du dernier donjon ! Il en sera quitte pour refaire un bon bout de chemin et notamment cette scrogneugneu de Caverne de Rhone dont je parlais plus haut, sans même la garantie de pouvoir survivre aux deux boss finaux qui épuiseront jusqu’à votre dernier souffle.

Malroth, ultime démon si grand qu'il déborde sur l'interface de combat ! Essayez de l'endormir, cela ira bien mieux pour vous...
Ces tourbillons sont des téléporteurs. Mais, encore une fois et sans carte, il est pour ainsi dire impossible de s'en servir efficacement.

Une fois encore, tout est toujours question de perspective. On ne saurait, je pense et en toute sincérité, saisir pleinement la dimension des Dragon Quest sans parcourir ce deuxième épisode : mais même le plus consciencieux des joueurs pourra sans scrupules l’ignorer pour se diriger vers le troisième opus, infiniment plus agréable. Si vous désirez cependant l’expérimenter, je reprendrai mes conseils précédents, et vous inviterai à jouer soit à la version NES (« Dragon Warrior II »), soit à la version Super Famicom, soit à la version Game Boy Color. Comptez entre quinze et vingt heures de jeu, sans doute un peu moins avec une solution (vous devriez être vers le niveau 30 pour vaincre le dernier boss). Plus que jamais, ayez avec vous, au moins et dès que vous avez obtenu le navire, une carte de l’univers, et n’oubliez pas de prendre d’abondantes notes : sans cela, il y a de très fortes chances que vous tourniez en rond indéfiniment.
Une autre chose : dans la version Super Famicom que j’ai traversée, traduite par une équipe de fans, j’ai eu plusieurs bugs bloquants qui auraient pu m’obliger à reprendre l’aventure depuis le début si je n’avais pas fait plusieurs sauvegardes. Notamment, je vous recommande de faire une copie de votre partie avant d’explorer la caverne volcanique et de ne pas dormir dans l’auberge de Beran, au sud-ouest du monde (c’est une ville sur l’eau, porte d’accès à la Caverne de Rhone). La première fois que vous y dormirez effectivement, une malédiction frappera le Prince de Cannock, et vous devrez partir en quête d’une plante magique pour le soigner et le récupérer dans votre équipe. La résolution de cette quête bugguait dans mon jeu : lorsque je soignais le prince, le dialogue célébrant sa guérison faisait planter ma partie. Je ne doute pas que des « superplayers » puissent finir le jeu sans le prince, mais c’est un challenge hors de ma portée... Attention à vous, donc !

Nintendo of America continua sur la lancée du premier épisode pour le matériel promotionnel, et alla même jusqu'à dessiner un autre écran titre... particulièrement moche à mon goût.