Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Les souvenirs de... Slowriot (Tristan)LE VOISINAGE DE CONWAYNous vivons avec un fantôme. La chaudière est sur le point de lâcher, le robinet de la cuisine saigne constamment. Un clavier a rendu l’âme hier soir. Rien n’est aux normes ici. Deux lourdes grilles de fer forgé séparent la chambre d’une cour au sol troué de dalles d’ivoire. La galerie ronronne sous nos pieds. Les soirs de vernissage, de faibles halos de lumière surgissent pour engloutir la pénombre. Les conversations des invités s’emmêlent et se tissent pour tapisser nos vies de leur bourdonnement. Et j’entends les coupes qui s’entrechoquent mais je n’arrive plus à écrire. Vers trois heures de l’après-midi le soleil abandonne la fosse où nous vivons et l’appartement s’affaisse sous un gris uniforme. En fumant, assis sur le rebord de la fenêtre, on peut épier le bleu du ciel. Bien sûr il faut se tordre le cou jusqu’à manquer de tomber mais le ciel est toujours là. C’est rassurant, tu ne trouves pas ? La pluie ne tombe jamais. La pluie n’arrive pas jusqu’en bas. Je conserve les rides d’une vieillarde assise près d’une fontaine dans la carte mémoire périmée d’une console à l’abandon. J’ai détrôné des rois, égrené des royaumes entre mes doigts et personne ne s’en souviendra. J’ai patiemment dressé le plan d’espaces sauvages dont l’existence reste à débattre. Au dernier hoquet de l’histoire, lorsque celle-ci basculait dans le réel et que les flammes des tours vacillaient pour dessiner un peu de sens, je partais en tête à queue au volant d’une voiture hors de prix. Et puis le réel a basculé dans l’histoire. Alors la seule question valable, la seule qui mérite d’être posé, c’est finalement de savoir s’ils continuent d’exister lorsque nous partons, lorsque nous ne sommes plus là ? Le destin a ses largeurs qu’il nous refuse souvent. On joue parfois pour oublier qu’on perd. Désormais je joue pour vivre, comme toute forme d’accoutumance vous pousse chaque jour un peu plus loin du bonheur. A mesure qu’on avance on garde le souvenir de temps plus simples tout en occultant la sensation et c’est cette absence de sensation qui finira par nous tuer. Il y a vingt ans, l’été était tout entier contenu dans les cents mètres qui me séparait de la salle. Je m’en souviens, je m’en souviens mais plus rien ne me traverse. Et je porte un sweat-shirt E.T., la queue de la soucoupe miroite de mille paillettes, il lève un doigt rougi et sourit à 1985. Je glisse deux pièces de 1 dans Dig Dug et commence à creuser en direction des ballons rouges parce que les dragons sont trop dangereux. La terre change de couleur et je m’émerveille sans raison. Mais en 1985, j’en suis certain, je savais pourquoi les contours du labyrinthe marron de Pac Man étaient plus beaux que ceux du premier niveau. Les contours marron sont plus beaux que ceux du premier niveau. Je perds trop rapidement et la salle est déserte. Mes poches sont pleines de peluches. Un cortège d’estivants sans visage défile à l’extérieur et je me tient à la frontière de la salle, m’accroche aux parois vitrées et vacille sur mon pied de pivot mais je ne veux pas sortir. Malgré l’ennui je ne veux pas sortir. Je n’ai plus d’argent mais je ne veux pas sortir. Je veux voir plus loin... Plus loin l’espace est redessiné par une grille où le temps n’existe pas encore. Je n’y survivrai pas seul. Une fois la machine lancée, je m’éteindrai en un mouvement pour rendre au monde sa perfection. Je suis la seule case pleine d’un maillage vierge et ma singularité n’a rien de réconfortant. Une main étrangère descend des cieux et efface les contours du quotidien. Je cherche une porte de sortie. Nous vivons à trois. La chaudière ronronne doucement, le débit irrégulier du robinet de la cuisine a quelque chose de rassurant. Mon clavier a rendu l’âme mais ça peut attendre demain. Deux lourdes grilles de fer forgé nous protègent d’une cour au sol troué de dalles d’ivoire. La galerie ronronne sous nos pieds et c’est ce ronronnement qui te berce lorsque tu te réveilles à trois heures persuadée qu’il fait déjà jour. Les soirs de vernissage, de faibles halos de lumière s’élèvent doucement pour engloutir la pénombre et illuminer ton berceau. Les conversations des invités s’emmêlent et se tissent et flottent comme des ballons emportant nos vies loin du bourdonnement. Et j’entends les coupes qui s’entrechoquent mais je n’ai plus besoin d’écrire. Vers trois heures de l’après-midi le soleil abandonne la fosse où nous vivons et nous sortons pour le poursuivre. Assis sur le rebord de la fenêtre, là où j’avais l’habitude de fumer, on peut épier le bleu du ciel. Bien sûr il faut se tordre le cou jusqu’à manquer de tomber mais le ciel est toujours là. C’est rassurant, tu ne trouves pas ? Tu t’en fous. La pluie ne tombe jamais. La pluie ne nous atteint pas. Slowriot (Tristan)
(27 octobre 2005) Internautes ayant participé au concours (cliquez sur un nom pour accéder au texte correspondant) :Envie de réagir ? Cliquez ici pour accéder au forum |