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Warren Robinett et la genèse d'Adventure
Comment Warren Robinett parvint à créer le premier jeu d'aventure au milieu de la crise que traversa Atari au moment de son rachat par Warner et de la sortie de la VCS.
Par François (05 octobre 2020)

Avant-propos : dans cet article fleuve sur le développement d'Adventure, il sera fait mention de Nolan Bushnell, Al Miller, Ray Kassar, et d'une quantité d'autres personnalités et sociétés ayant gravité autour de l'astre Atari. Il sera même question de Chuck E. Cheese ! Le rapport avec le sujet traité peut paraître incertain, mais au fil des recherches menées sur Adventure, je me suis aperçu que ce titre, et le parcours de Warren Robinett d'une façon générale, coïncidaient avec une série d'événements clefs ayant mené Atari vers les plus hauts sommets, avant une première descente aux enfers. Séparer les deux était tout simplement impossible, tant leurs histoires sont intriquées.

Lorsque l'on se penche sur l'Histoire du jeu d'action-aventure, le premier héros qui vient spontanément à l'esprit est celui-ci :

C'est oublier que huit ans auparavant, il y a eu celui-là :

En 1978, donc, la vie paisible d'un (très) gros pixel allait être bouleversée. Ce petit, cet obscur, ce sans-grade du jeu vidéo était sur le point d'embrasser les plus hautes destinées et ouvrir la route à maints héros de jeux d'aventure. Mais avant d'en arriver là, penchons nous donc, pour commencer, sur le parcours de son créateur, Warren Robinett.

Warren Robinett en 1984 (Cette image provient de l'excellent site The Dot Eaters).

1966-1976 : des premiers pas en informatique à l'université de Berkeley

Voici comment Warren a fait la connaissance de son premier ordinateur :

"Je suis né en 1951, dans le Missouri, et c'est seulement en allant au lycée que j'ai vu un ordinateur pour la première fois. Mon prof de maths m'a montré comment m'en servir et écrire un programme élémentaire. Mon travail a été envoyé à une université du Missouri pour y être corrigé et j'ai reçu les résultats une semaine plus tard.

Pour être franc, sur le moment, ma découverte de l'informatique ne m'a pas fait l'effet d'une révélation. Ce manque d'intérêt n'a pas duré. L'année suivante, j'ai passé l'été dans un camp scientifique, sponsorisé par une fondation, le Service National Américain, avec douze autres étudiants. J'étudiais les maths jusqu'à quatre ou six heures par jour et je vivais avec mes condisciples dans un dortoir. On se sentait comme des étudiants d'université. C'est là, au contact des autres, que j'ai compris pour de bon que les ordinateurs et les maths auraient une importance déterminante pour mon avenir. La pensée logique faisait naturellement s'accorder les deux. J'ai toujours pensé que pour une approche optimale de l'informatique il valait mieux être doué en maths, même si les voix pour proclamer le contraire ne manquent pas."

À ce stade du récit, le jeune Warren Robinett présente le profil type du "petit génie / tête de turc". Espérons pour lui que ses études se soient mieux passées que pour le spécimen Martin Prince.

Après le lycée, direction l'université Rice, à Houston. La contestation contre la guerre du Viet-Nam bat alors son plein, suite au meurtre, le 4 mai 1970, de quatre étudiants par la garde nationale de l'Ohio, lors d'une manifestation sur le campus de l'université D’État de Kent. Que Warren se soit impliqué ou non dans la contestation (un trou d'une année dans sa scolarité laisse envisager cette possibilité), il n'en n'a pas oublié pour autant d'étudier :

"Il n'y avait pas à l'époque de véritable département informatique dans ces établissements, mais les ordinateurs étaient là, donc j'ai suivi quantité de cours de programmation. et suis ressorti de Rice avec une licence en informatique appliquée."

L'université Rice en 1970, côté pile... et côté face.

Entre-temps, Warren fait une découverte dont il est loin de mesurer l'impact qu'elle aura sur son avenir professionnel :

"Ma première rencontre avec un jeu vidéo s'est déroulée dans un aéroport. C'était au début des années 70. Je faisais régulièrement des allers-retours, entre ma maison natale dans le Missouri et l'université située dans L’État du Texas. En attendant l'avion, j'ai découvert cette borne d'arcade qui trônait dans un coin. C'était un jeu de labyrinthe dont j'ai malheureusement oublié le nom [NdA : peut-être Cat and Mouse ou Gotcha] mais ce que je ne risquais pas d'oublier en revanche, c'est le choc de cette première rencontre. C'était quelque chose de tout nouveau qui est resté gravé dans ma mémoire."

Gotcha : un titre et un visuel sujets à controverse dès la sortie du jeu. Avec les trackballs de la borne figurant une paire de seins, Atari ne donnait pas dans la finesse ! Le jeu en lui-même, uniquement jouable à deux, oppose un poursuivant à un fuyard dans un labyrinthe aux parois mobiles.

À l'automne 1975, avec sa licence en poche, Warren fait son entrée dans la vie professionnelle. Il rejoint un labo de géophysique, Western Geophysicals, pour lequel il programme en FORTRAN. L'établissement est spécialisé dans la détection des gisements de pétrole sous-marin, et le moins que l'on puisse dire, c'est que la franche rigolade n'y est pas au rendez-vous :

"Je travaillais dans le département Navigation, en charge de la prospection sismique. Des navires sondaient les fonds marins à l'aide de canons à air qui émettaient une onde à des cadences élevées, et je dressai le tracé de ces bateaux qui faisaient des BOOM, BOOM, BOOM continuels au fond des océans."

Ce premier pas dans la vie active s'avère peu concluant, tant le travail y est rébarbatif et mal rémunéré.

"Je n'étais pas satisfait de la vie que je menais là-bas et, au bout d'une année, j'ai décidé de reprendre mes études, en décrochant cette fois un diplôme dans une université prestigieuse."

Direction l'université Berkeley, en Californie, où Warren obtient une maîtrise de science, avec spécialisation en informatique appliquée au langage et à l'art. Il y fait également une rencontre déterminante.

Le campus de Berkeley, à la fin des années 70. À côté de Rice, il ferait presque village de vacances.

"À Berkeley, je me suis pris des heures sans compter de programmation. J'avais appris encore différents langages à cette époque en commençant par le PL/1 développé par IBM. Le PL/1 se voulait universel et à même de remplacer des langages plus scientifiques, comme le FORTRAN que j'avais employé au labo de géophysique. J'avais également appris le langage APL. Et puis il y avait le langage C. Lorsque j'étais à Rice, il n'était pas du tout enseigné, et il n'était pas encore très répandu à Berkeley. J'aurais pu passer à côté, et Adventure n'aurait peut-être alors jamais vu le jour, mais le hasard a mis sur ma route Ken Thompson."

En effet, Ken Thompson, co-inventeur du fameux langage C et du système d'exploitation UNIX, enseigne exceptionnellement à Berkeley pour une année. Il s'est mis en retrait des Laboratoires Bell et donne un cours sur les systèmes d'exploitation. C'est à son contact que Warren va apprendre le C.

"En fait, tout le monde était obligé d'apprendre le C pour son cours ! Ken avait un petit quelque chose d'unique, un regard différent de celui des autres professeurs. Outre le langage C et Unix, il nous faisait partager sa fameuse obsession pour le jeu d'échecs. Son grand projet en la matière, le Belle [NdA : nom recouvrant aussi bien un programme d'échecs que l'ordinateur dédié sur lequel il tournait] était toujours en cours de développement et dès que nous avions un peu de temps libre, nous étions sollicités sur la mise au point du programme."

Ken Thompson devant sa grande passion. À droite, nous le voyons travailler avec Dennis Ritchie sur un PDP-11

Mais laissons donc un moment Warren à ses chères études à Berkeley, pour nous rendre à une cinquantaine de kilomètres plus au Sud, à Sunnyvale. Là, poussons jusqu'au siège social d'Atari, pour y rencontrer quelqu'un en fâcheuse posture. Ce quelqu'un, c'est Nolan Bushnell.

Bienvenue chez Atari, un vrai panier de crabes et un univers impitoyable à la Dallas...

Novembre 1976 : la cession d'Atari à Warner Communications

La trajectoire jusqu'ici ascendante de Nolan Bushnell se heurte en effet à un mur nommé Stella, appellation du prototype de la future VCS. Alors que le projet est au point mort, en raison d'un manque de cash chronique, Nolan est aux abois. Le marché de l'arcade est en plein tassement, et les revenus formidables des systèmes Home Pong s'essoufflent eux aussi. Lessivé par le lancement problématique de la Stella, la crainte de Bushnell est de se faire doubler par la concurrence sur le marché des nouvelles consoles domestiques.

Le besoin d'argent est tel que Nolan tient en urgence une réunion du conseil d'administration pour décider de la conduite à tenir. Deux options se présentent : soit entrer en bourse, soit vendre Atari au plus offrant. La première option est vite écartée : depuis le premier choc pétrolier, le marché boursier américain présente une tendance chronique à l'instabilité et la jeune société pourrait en faire les frais. Un mini-krach survenu au même moment tient lieu d'avertissement supplémentaire. Le conseil décide au final de mettre en vente Atari.

Dans les semaines qui suivent, Bushnell approche MCA, une compagnie parente d'Universal Studio, ainsi que Disney. Aucune d'entre elles n'est intéressée. Nolan raconte :

"Auprès de chaque acheteur potentiel que j'allais démarcher, j'avais droit à la même réponse : tout le monde se désintéresse des montres digitales et des calculettes de poche, et ce n'est qu'une question de temps avant que les jeux vidéo ne suivent la même trajectoire."

Cependant, une compagnie se démarque du lot. Il s'agit de Warner Communications, qui est alors un conglomérat très présent sur le marché du cinéma, de la musique et de la publication de magazines. Le patron de Warner, Steve Ross, est un self made man tout ce qu'il y a de plus classique : un homme brusque, rude à la négociation, adepte du résultat immédiat et dépourvu de toute patience vis-à-vis de ses subordonnés. Soucieux d'étendre les activités de Warner, il va faire appel à Manny Gerard, jeune loup de Wall Street, pour se livrer à une série d'acquisitions. La première compagnie que Gerard va sélectionner est Atari.

Nolan Bushnell (en 1975, sans la barbe), Steve Ross et Manny Gerard (la photo de ce dernier date des années 2010 : le jeune loup a perdu quelques dents). Le Bon, la Brute et le Truand, ou quelque chose d'approchant.

Alors que les tractations démarrent sous les meilleures auspices, elles prennent un tour compliqué, du fait du divorce difficile de Bushnell au même moment. Depuis que son ex-épouse, Paula, l'a aperçu dans les magazines en train de faire son poseur dans un jacuzzi en compagnie de sa dernière conquête, elle tente de remettre en cause la procédure de divorce en cours pour faire valoir ses droits sur les parts d'Atari.

Le deal est cependant mené à son terme et Warner Communications verse 28 millions de dollars pour s'offrir Atari. Bushnell reste PDG de l'entreprise, assisté de Joe Keenan comme vice-président. La plupart des différents départements et services conservent leur indépendance, qu'il s'agisse de la vente, du marketing, de l'ingénierie, ou de la recherche et développement. En fait, le deal semble laisser l'entreprise historique gagnante à 100%, avec des fonds substantiels et des crédits presque illimités pour mener à son terme le projet Stella. Du cash à ne plus savoir quoi en faire (Warner investira au total 100 millions de dollars dans Atari) et des conditions de travail inchangées : cela parait trop beau pour être vrai.

Sur le moment, Bushnell ne cache pas sa joie. Des années plus tard, il confessera que vendre Atari était une erreur, mais, qu'au bout de quatre années passées à la diriger, il était épuisé par le seul fonctionnement quotidien de la société. Le projet Stella l'avait mis à genoux : la simple idée d'avoir à rechercher le capital, pour produire la nouvelle console, lui était devenue insupportable.

"J'ai souvent pensé que si j'avais pris deux vraies semaines de vacances, loin de la boîte et des soucis, je n'aurais jamais été jusqu'à vendre."

Autre son de cloche de la part de Manny Gerard :

"Le jour où nous avons signé les papiers pour clore la vente, Nolan nous a dit : depuis des années que je dis aux gens que je suis millionnaire, enfin j'en suis devenu un !"

Automne 1977 : le lancement de la VCS et l'entrée de Warren Robinett chez Atari

Alors que le projet Stella est remis sur les rails, la concurrence dégaine en premier avec le lancement de la Fairchild Channel F, alors plus connue sous le nom de Video Entertainment System (VES). Ce premier coup de semonce retentit comme un coup de tonnerre chez Atari. En réponse, le projet Stella est hâtivement renommé VCS (pour Video Computer System), et la compagnie met les bouchées doubles pour en accélérer le développement.

Présentée au CES de juin 1977, la VCS est officiellement lancée en octobre de la même année, avec un line-up de neuf cartouches, dont l'incontournable Combat, Street Racer, Air Sea Battle, Basic Maths ou bien encore Video Olympics, titre composé de variations de Pong et uniquement jouable à plusieurs.

Voici de quoi sont faits les rêves : tout plein de gros pixels ! (Combat, Air Sea Battle et Street Racer)

Vendue 199$, en bundle avec la cartouche de Combat, la marge de profit sur la console même est très basse. Cependant, les exécutifs d'Atari ont prévu de se refaire sur le software. Une cartouche de jeu coûtant moins de 10$ à fabriquer est ainsi vendue entre 25 et 30$, le jackpot. Cet astucieux business plan, qui a marqué toute l'industrie du jeu vidéo, et dont Bushnell s'est longtemps attribué le mérite, a en fait été emprunté à la firme Gillette, dont le slogan marketing interne était "bradez le rasoir afin que vous puissiez vendre les lames."

Stratégie audacieuse ou pas, c'est un lancement en demi-teinte pour la console, en attendant la période décisive de Noël. Mais revenons à Warren Robinett qui, au même moment, désormais armé de sa maîtrise, hésite sur son avenir.

"J'en avais fini une fois pour toutes avec les études. Le passage par la case Western Geophysicals m'avait appris ce que c'est que de s'ennuyer à son travail, et voilà que je recevais une offre d'emploi de la part de Hewlett-Packard. La promesse d'une rémunération substantielle n'occultait en rien le côté absolument pas sexy du job : concevoir des programmes de traitement de données. C'est alors que j'ai entendu parler d'Atari. J'ai décidé de rejoindre la compagnie, alors que je n'en savais pas grand chose, parce que le travail y paraissait intéressant, cool, et qu'il y avait des possibilités. J'avais une bonne connaissance de l'infographie, aussi écrire des programmes de jeux vidéo allait de soi."

Les méthodes de recrutement chez Atari, à cette époque, sont pour le moins surprenantes, pour ne pas dire hasardeuses. Pas le moindre démarchage, ni même la moindre annonce dans les écoles d'ingénieurs et universités scientifiques. La compagnie se contente de placer des petites annonces dans les journaux locaux, en escomptant la curiosité naturelle des candidats potentiels.

Warren raconte comment il a obtenu le job :

"Personne en particulier ne m'a orienté ou ouvert les portes chez Atari. J'avais de vagues renseignements, selon lesquels la compagnie recherchait des programmeurs pour sa nouvelle machine, l'Atari VCS. Et je me suis dit, pourquoi pas ? Je me suis tout simplement présenté au siège social de Sunnyvale et y ai déposé une candidature spontanée. J'ai rempli un formulaire à cet effet et j'ai rédigé un petit essai, tenant lieu de lettre de motivation, en expliquant pourquoi j'avais le bon profil pour être engagé. Je m'étais spécialisé en infographie et programmation, j'avais une maîtrise en sciences de l'ordinateur, bref, j'avais le profil requis. Ils ont acheté. Avec le recul, je me suis aperçu que ma maîtrise avec spécialisation faisait de moi l'ingénieur le plus qualifié de la boîte.

Je suis passé par un entretien d'embauche et ils m'ont engagé, en dépit de l'affreux costume à motifs écossais que je portais ce jour-là, vêtu que j'étais en VRP du pauvre. Il faut savoir que c'était mon tout premier costume et que ma sœur m'avait mis au défi d'acheter celui-là plutôt qu'un autre. Vous savez comment sont les fratries : c'est naturellement ce que j'ai fait. Je peux vous dire que ce costume a depuis servi uniquement pour Halloween !"

Warren rejoint un vivier de talents déjà bien fourni :

"En plus du groupe initial de quatre programmeurs, engagés au début de l'année 77 pour développer le line-up de la console VCS, Atari avait engagé au cours de l'année quatre autres programmeurs. Après quelques mois encore, l'équipe a grandi jusqu'à douze programmeurs, votre serviteur y compris. Larry Wagner dirigeait la division VCS mais notre manager direct s'appelait Larry Kaplan, l'un des futurs cofondateurs d'Activision, connu pour son hit Kaboom.

Deux Larry pour le prix d'un : Larry Wagner et Larry Kaplan

À mon arrivée, Nolan Bushnell avait déjà des rapports houleux avec Warner, mais il est malgré tout resté à la barre du navire pendant le lancement de la console. Vous aurez tout un tas de types de chez Warner qui vous diront le contraire, qu'il était déjà tourné vers son business immobilier et ses Chuck E. Cheese, mais je peux vous assurer que nous l'avons vu impliqué."

Fidèle à lui-même, Bushnell fait tout pour favoriser une atmosphère décontractée parmi ses nouveaux employés. Il ne se formalise pas de leurs retards, estimant qu'ils savent ce qu'ils ont à faire. Sa devise à l'époque est "work smart, not hard" (travaillez intelligemment, pas comme des besogneux), et il n'a aucun problème à faire la fête avec ses employés après le boulot - et parfois même pendant....

Warren poursuit :

"Larry Kaplan m'a dit tout de go "ton boulot c'est de créer des jeux, alors vas-y !" et là-dessus, il a balancé sur mon bureau le listing du code source de Combat. Avec ce jeu, n'importe quel apprenti développeur avait un bon aperçu de ce qu'il pouvait faire. Des années plus tard, les limites de la console ont été repoussées avec des jeux comme Pitfall ou H.E.R.O., mais à l'époque où je suis entré chez Atari, c'était Combat la référence, le mètre étalon de la console.

Il régnait à ce moment une effervescence incroyable dans la maison : vous aviez d'un côté Dave Plane qui travaillait sur un jeu de tir intitulé Outlaw, qui mettait en scène des duels de cowboy, avec des éléments de décor derrière lesquels les joueurs pouvaient s'abriter. Larry Kaplan venait juste d'achever Air Sea Battle, avec ses petits avions sillonnant l'écran, et Al Miller planchait sur un jeu de basketball qui n'était certes pas très flamboyant graphiquement, mais comportait un très intéressant algorithme d'IA pour le jeu solo.

Contrairement aux ingénieurs d'arcade qui écrivaient leur code et le confiaient, sous forme de listing, à d'autres gens pour l'entrer sur ordinateur, les programmeurs sur VCS entraient eux-mêmes leurs propres codes. Larry Kaplan leur assignait leur premier jeu — une adaptation bateau d'un jeu d'arcade le plus souvent — puis une fois qu'ils avaient fait leurs preuves, ils étaient autorisés à faire valoir leurs propres concepts.

Al Miller accompagné de quelques unes de ses premières créations : Surround, Basketball et Hangman. Et non, n'insistez pas : hors de question d'insinuer, sur un site grand public, que le pendu de Hangman en a une en forme de robinet.

L'expérience de Warren Robinett se rapproche assez de celle relatée par Al Miller

"Cela prenait environ trois ou quatre mois pour créer un jeu et c'était un processus à marche soutenue. La plupart des premiers jeux de la VCS étaient fondés sur des bornes d'arcade préexistantes, ou même des jeux de société. Lorsque je me suis embarqué sur le navire Atari, on m'a affecté à un jeu qui s'appelait Surround, qui n'était qu'une énième variation de Blockade. Au moins, je n'avais pas à apporter mon propre concept, ce qui avait le mérite d'accélérer les choses. Dans les premiers temps, les programmeurs étaient responsables de chaque élément de leur jeu : la même personne à l'origine du concept, était responsable de la programmation, des graphismes et même des effets sonores."

Warren renchérit :

"Je me suis tout d'abord attelé à Slot Racers qui a constitué en quelque sorte mon ticket d'entrée sur Atari VCS. C'était un jeu de petites voitures qui se poursuivent et se tirent dessus dans un labyrinthe. Ce n'était pas du grand art, mais pour un premier jeu, ce n'était pas mal. Dès Slot Racers, j'ai pu expérimenter la philosophie maison du processus de fabrication d'un jeu, qui était marqué du sceau de la liberté et de l'autodiscipline."

Slot Racers : uniquement jouable à deux, le titre est un honnête succédané de Combat. Cependant, les amateurs préféreront toujours l'original à la copie.

Larry Kaplan m'a expliqué que quand vous étiez programmeur chez Atari, vous choisissiez vous-même quel serait le thème du jeu, vous en écriviez le programme, puis en réalisiez les graphismes et les sons. Vous peaufiniez le gameplay. Est-ce que c'était terminé ? Loin de là ! Vous deviez tester le produit fini sur vos enfants, quand vous en aviez, ou sur ceux des amis ou du voisinage. C'était à vous et à vous seul de décider quand le jeu était terminé et s'il était suffisamment bon pour être sorti. En somme, vous deviez tout faire, et c'est seulement à la toute fin du processus que le service marketing jetait un coup d'oeil à votre jeu, pour vous dire s'il était commercialisable en l'état ou que la copie était à revoir.

Cette liberté était telle que vous étiez à même de fixer votre propre planning. La règle était simple : tant que vous faisiez de bon jeux, la direction vous fichait une paix royale. Evidemment, si vous étiez mauvais, cela finissait par se remarquer, et là on vous demandait gentiment d'aller voir ailleurs. Mais si vous étiez bon, c'était encore à vous de jouer en solo et de penser au prochain jeu que vous alliez mettre sur pied, une fois celui en cours terminé."

Si Warren se fond rapidement dans le moule, il est un domaine où il est moins à l'aise : celui des relations avec les autres programmeurs maison.

"Alors que les programmeurs de la division arcade adoptaient un esprit de meute et fonctionnaient en groupe, s'entraidant les uns les autres, le développement sur VCS était nettement plus individualiste, ce qui se traduisait par la formation de petites coteries. Il y avait ainsi deux bandes rivales. Le groupe principal était composé de Al Miller, Bob Whitehead, Dave Crane et Larry Kaplan. Nous formions une deuxième plus petite bande, moi et mes deux amis, Tom Reutherdal et Jim Huether."

Le quatuor gagnant du futur Activision : Bob Whitehead, David Crane, Larry Kaplan et Alan Miller.
... Et à ma droite, le trio auto-proclamé des losers de chez Atari : Robinett, Reutherdal et Huether.

Owen Rubin, un ingénieur d'arcade qui a contribué à créer les kits de développement sur VCS, décrira l'environnement de la division domestique comme un vrai coupe-gorge. L'ambiance souvent tendue qui y règne n'est pas sans conséquences : alors que les ingénieurs de la division Arcade ont le sentiment de faire partie d'une grande famille, et restent en général chez Atari pendant des années, ceux officiant sur VCS tiennent difficilement en place et lèvent le camp à la première occasion.

Décembre 1977 : le Noël raté de la VCS

Pour reprendre le slogan marketing de chez Gillette, ce Noël là, il y a bien peu d'acheteurs de rasoirs comme de lames. Le gros problème d'Atari, plus que la concurrence de la Fairchild, concerne l'approvisionnement des grandes surfaces en temps et en heure. Les 400.000 consoles du lancement ont beau être prêtes, leur expédition vers les surfaces de vente enchaîne les imprévus. Résultat, le rush de Noël est en grande partie loupé et Atari perd plus d'argent qu'elle n'en gagne sur la VCS.

Seul lot de consolation : la console est parvenue à distancer sa principale concurrente, la Fairchild Channel F. Ce n'est pas suffisant pour Steve Ross. Déçu du chiffre d'affaires de la compagnie, le patron de Warner se demande si cela n'a pas été une erreur de l'acheter et remonte les bretelles à Manny Gerard qui, de son côté, se défausse sur Nolan Bushnell. La nouvelle année qui s'annonce sera houleuse, à n'en pas douter.

Un packaging soigné et une campagne publicitaire offensive n'auront pas suffi à convaincre le public de sortir 199$, somme considérable pour l'époque, malgré les efforts d'Atari pour "brader" la VCS.

Janvier 1978 : tensions accrues entre Bushnell et Warner

En début d'année, les ventes de VCS se poursuivent à un rythme stable. Croissance il y a, mais toujours pas assez aux yeux de Ross. Sujet épineux depuis la vente d'Atari, le décalage de culture entrepreneuriale opposant Bushnell aux cadres de Warner se fait de plus en plus apparent. Ross et Gerard sont des businessmen de la côte Est, habitués à un tout autre style de vie que le mode californien décontracté prôné par Bushnell. Mais ce qui exacerbe les tensions, c'est le manque d'attention croissant de Bushnell au business. Nolan semble se désintéresser de la marche quotidienne des opérations et ne passe plus qu'occasionnellement au siège de Sunnyvale. Il est désormais entièrement tourné vers ses investissements immobiliers, dont l'acquisition d'un énorme manoir à Woodside, et profite de son temps libre pour se remarier.

Manny Gerard fait à ce sujet le commentaire suivant :

"L'une des choses auxquelles je n'étais absolument pas préparé après le rachat d'Atari, c'est le désengagement de Bushnell et Keenan, dès qu'ils ont eu leur argent, pour se lancer dans des opérations immobilières. Je n'avais pas anticipé à ce point qu'ils se reconcentreraient sur tout autre chose."

Parmi les investissements immobiliers auxquels Bushnell s'est livré, le plus mémorable reste celui des Pizza Time Theater, avec sa mascotte Chuck E. Cheese. Moitié pizzeria, moitié salle de jeu, c'est un concept bien rodé, inspiré de la ligne de restaurants Cavalier.

Bushnell parlera, lui, de vacances bien méritées après la vente de son entreprise, sans qu'il soit aucunement question de laisser tomber Atari. Toujours obsédé par les manoeuvres des concurrents, qu'il surnomme affectueusement "les chacals", Nolan est convaincu qu'il faut introduire un nouveau produit et qu'il est temps de stopper la VCS. Se fiant à la courbe des ventes de Home Pong, il estime que la VCS ne fera guère mieux et qu'il est temps de passer à autre chose. Atari doit se tourner vers de nouvelles technologies, plutôt que perdre du temps à se reposer sur de vieilles idées. À cette époque, sa philosophie du business se résume à la maxime suivante : "dévorez vos propres enfants, avant que ce ne soit eux qui ne vous dévorent.". En somme, Atari doit conserver une longueur d'avance sur la concurrence sous peine de finir engloutie par cette dernière.

Quoiqu'il en soit, la personnalité versatile de Bushnell divise de plus en plus, au sein même d'Atari. La diversité de points de vue et de portraits contradictoires, dressés par les acteurs de l'époque à son sujet, est telle que pour un peu, on se croirait en plein Citizen Kane ! C'est ainsi qu'Al Miller - que l'on ne pourrait soupçonner d'être un anti-Bushnell - dit :

"Nolan rendait visite aux développeurs sur VCS, environ une fois toutes les deux semaines, pour vérifier l'avancement des programmes. Il faisait des commentaires très pertinents sur chaque jeu en cours de développement. Et puis il revenait deux ou trois semaines plus tard, et il vous faisait des remarques prenant l'exact contre-pied de ce qu'il avait dit auparavant. Nous avions fini par ne plus les prendre au pied de la lettre, puis nous nous sommes mis à les ignorer complètement, comme le même manège se répétait toutes les deux semaines."

Manny Gerard en rajoute une couche :

"Ça poussait et ça bousculait dans tous les sens au plan des idées chez Atari, sur la suite des évènements et la stratégie à adopter. On multipliait les meetings pour tout et pour rien, avec Nolan absent durant des semaines, voire des mois, avant de réapparaître brusquement pour dire "voilà ce qu'on va faire" et d'asséner des plans qui changeaient du tout au tout, n'étaient jamais les mêmes d'une réunion à l'autre, et ne prenaient aucunement en considération les autres exécutifs. Je lui avais dit une fois : Nolan, tu ne peux pas diriger la compagnie comme un roi de droit divin. Tu dois être là plus souvent, faire plus attention, tu ne peux pas continuer comme ça."

Et comme pour prouver à Nolan qu'il "ne pouvait pas continuer comme ça", Dieu créa Ray Kassar...

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