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Virtual Boy Wario Land
Année : 1995
Système :
Développeur : Nintendo
Éditeur : Nintendo
Genre : Plate-forme / Action

Virtual Boy Wario Land
Virtual Boy - Nintendo (1995)

Note : Pour des raisons évidentes de visibilité, les images ont été prises en noir et blanc, ce qui offre un confort de lecture supérieur par rapport aux couleurs d'origine.

Tout un chacun connaît à présent l'histoire du Virtual Boy : projet audacieux de Gunpei Yokoi qui devait nous permettre de connaître les joies de la 3D, la console sombra dans un oubli retentissant, faute à une conception bancale (la console n'était vraiment pas une portable) et à un choix esthétique discutable puisque les jeux n'étaient exclusivement qu'en noir et en rouge. Force cependant est de constater que l'effet de relief était particulièrement bien rendu pour l'époque.
On dit de Virtual Boy Wario Land (présenté à ses débuts sous le nom de Wario Cruise) qu'il est, au choix, le meilleur jeu du Virtual Boy ou bien le seul jeu « potable » du Virtual Boy. Je serai volontairement contre cette dernière acception, car sur les 22 jeux sortis sur le système, Mario's Tennis, 3D Tetris ou encore Teleroboxer font figure de jeux des plus intéressants. Cependant, il faut bien reconnaître que cette itération de la saga Wario se démarque largement du lot.

3D Tetris et Mario's Tennis. Quand je vous disais que le noir et blanc passait mieux !

Virtual Boy Wario Land est en effet un des cas particuliers dans le monde du jeu vidéo dans la mesure où on le connaît sans vraiment le connaître ; généralement, l'on sait qu'il existe et on le cite souvent. Dans les faits cependant, rares sont les personnes qui y ont réellement joué. On s'aperçoit alors que cet épisode, loin d'être une simple variation du tout premier Wario Land auquel il ressemble beaucoup néanmoins, constitue un épisode charnière et introduit des éléments qui seront par la suite repris et systématisés dans Wario Land II et ses suites.
L'histoire de cet épisode diffère finalement peu de celle des autres : tandis que Wario se repose au bord d'un lac, il entrevoit passer trois drôles de petits bonhommes transportant des sacs d'argent. Il se décide à les suivre, cela le conduisant dans une sombre grotte. Après s'être débarrassé des trois sbires, il se retrouve face à une immense porte fermant ce qui se doit d'être une caverne d'Ali Baba, vomissant des diamants et des rubis. Cependant, tandis qu'il cherche à l'ouvrir, il déclenche ce qui s'avère être un mécanisme de défense : les dix objets de valeur qui servaient à accéder au passage se perdent dans la nature, et un gouffre béant le conduit au trente-sixième dessous. Bien loin d'être décontenancé, Wario se décide à explorer les mines afin de remonter à la surface, et de récupérer ce qu'il considère être son dû (oui, vous l'avez saisi maintenant, mais Wario a un sens de la propriété des plus personnels).

Les dix trésors en question. Entre chaque niveau, on peut participer à des minis-jeux.

Le jeu, contrairement aux autres épisodes, se déroule de façon linéaire : l'on explore un niveau après l'autre, avec toutefois la possibilité de revenir dans les niveaux précédemment complétés. Il y a en tout et pour tout dix niveaux, entrecoupés de quatre boss (on a trois niveaux - boss - trois niveaux - boss - trois niveaux - boss - un niveau - boss de fin), ce qui peut paraître court, et ce qui l'est sans doute car le jeu peut se finir en moins de cinq heures lors d'une première partie. Wario possède, du reste, des pouvoirs pour ainsi dire similaires à ceux du tout premier Wario Land : il débute l'aventure en « grand Wario » et devient « petit Wario » s'il se fait toucher. Il possède plusieurs casques qui lui permettent d'obtenir des pouvoirs, et l'on retrouve encore une fois le casque de Taureau (qui lui donne un coup d'épaule plus fort et la possibilité de faire des « sauts-rodéos »), le casque de Dragon (qui lui permet de tirer des flammes) et le casque de l'Aigle, qui vient remplacer le casque de l'Avion du premier épisode (Wario peut voler sur de courtes distances, et son coup d'épaule va plus loin).
Première nouveauté de taille cependant, les casques peuvent se combiner entre eux, ce qui permet au joueur d'utiliser à loisir tous leurs pouvoirs. Une fois les trois casques collectés, l'on se retrouve avec le « Casque du Roi Dragon », pouvoir ultime, qui permet d'avoir le saut-rodéo, le pouvoir de voler et celui de cracher des flammes ; cette fois-ci cependant, il ne s'agit plus de petites flammèches mais d'un véritable geyser qui poursuit sa course, détruisant tous les blocs sur son passage et ce jusqu'au contact d'un ennemi ou d'un mur indestructible... Inutile de dire qu'avec ce casque, et en prenant son temps, les niveaux se parcourent de façon très paisible, le jeu étant peut-être même le plus facile de tous, ex-æquo avec Wario Land 4.

Le casque du Roi Dragon dans toute sa splendeur. À droite, entre chaque niveau, le jeu vous fait un récapitulatif de votre progression avec temps global, argent collecté et trésors obtenus. Je trouve d'ailleurs que sa pose de victoire est la meilleure, tout épisode confondu.

Il y a cependant trois nouveaux éléments qui permettent d'y voir une anticipation du fameux Wario Land II. Tout d'abord c'est l'inclusion de blocs « flammes », qui ne peuvent être détruits que par le pouvoir du Dragon et qui bloquent certains passages secrets. Ce sont les seuls blocs « spécialisés » du jeu, mais c'est déjà un plus appréciable par rapport au premier épisode, qui n'avait bizarrement point repris cette innovation de Super Mario Land 2. Ensuite, dans chaque niveau, deux objets spécifiques sont à trouver : tout d'abord l'un des dix objets de valeur dont je parlais plus haut qui repose dans une salle savamment dissimulée, et surtout une clé (posée dans le décor ou cachée dans un bloc) qui devra être absolument trouvée pour ouvrir la voie vers le niveau suivant... Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Enfin, quand bien même Wario ne serait pas immortel (un choc alors qu'il est « petit Wario » l'envoie ad patres), il faut savoir qu'il n'y a, dans cet épisode, aucun gouffre sans fond... C'est-à-dire que chaque trou rencontré est potentiellement un accès à une salle secrète. Doit-on y voir là l'inclusion d'un principe qui sera exploité on ne peut mieux dans Wario Land II ?
Virtual Boy oblige, les niveaux exploitent on ne peut plus le relief et ce de plusieurs façons. Souvent, il s'agit de faire surgir un élément de l'arrière-plan vers le premier plan et réciproquement, comme des boules de pics ou différents projectiles. Mais surtout, les niveaux exploitent ce système en proposant à Wario d'explorer un premier plan et un arrière-plan (un peu à la manière de Mario Clash, toujours sur Virtual Boy). Régulièrement, l'on trouve au sol des « flèches » : une pression sur « haut » quand on passe dessus, et nous voilà propulsés sur l'autre plan. Ce système, présent jusqu'à la toute fin du jeu, tend à doubler la taille effective des niveaux et à proposer autant de labyrinthes à parcourir. Il devient même nécessaire pour les trois derniers niveaux de faire un semblant de carte sur papier, tant les choses se compliquent ! Et autant l'on dispose à chaque fois de vingt minutes pour finir un niveau, ce qui peut apparaître énorme, autant l'on se rend compte qu'en réalité ce n'est pas si « large » que ça pour certains stages.

À gauche, ces boules de pics vont et viennent pour faucher Wario sur leurs passages. À droite, Wario explore le second plan, l'air confiant (et plus petit).

Reste cependant que le titre se termine très, très rapidement et l'on a l'impression en y jouant, de plus en plus, d'avoir là les ébauches de Wario Land 4. Et malgré ce que j'ai dit précédemment, c'est un très joli compliment que j'adresse à ce titre sacrifié sur l'autel du jeu vidéo ; car bien que le titre se fasse facile et court, il reste plus que jamais d'une grande intelligence. Ce ne sont pas vraiment des « niveaux » que l'on traverse, mais bel et bien plutôt des « micro-mondes » (plus tard, Wario fera bien des « micro-jeux ») : chaque niveau du puits sans fond tourne autour d'un thème en particulier, encore une fois : une jungle, une usine, un temple perdu... Mais comme ils sont découpés en sections, chacune d'entre elle fait l'office d'une variation sur le thème en particulier, ou introduit un nouveau mécanisme.
Vous l'aurez compris, là où d'autres jeux choisissent de segmenter leurs bonnes idées en leur faisant occuper un stage à part entière à chaque fois, Virtual Boy Wario Land choisit de les condenser en un niveau en particulier. C'est également la raison pour laquelle le temps imparti pour leur complétion est aussi large, car il faut instantanément apprendre à faire face à une nouvelle situation voire, dans les cas extrêmes, à résoudre des « micro-énigmes » du meilleur aloi. Cet épisode inaugure également les passages secrets à outrance car quasiment tous les murs (j'exagère à peine...) peuvent être détruits et vont mener alors à de l'argent et des cœurs, nécessaires pour gagner des vies, système repris et amplifié dans Wario Land II (où un stage est quasiment dédié à ce système !). Enfin, les quatre boss exploitent on ne peut plus ce système des « deux plans » pour des affrontements dynamiques au combien.

Le premier boss du jeu sur la gauche. À droite, le plus beau niveau du titre, avec un arrière-plan on ne peut plus détaillé... Il faut voir tout ça en mouvement !

Concernant les parties sonores et graphiques, le jugement se fait bien plus délicat en réalité car l'on manque singulièrement de référence quant aux possibilités réelles du Virtual Boy qui était présenté, on le rappelle, comme une 32 bits. Je ne me perdrai pas dans des considérations techniques qui me dépassent, aussi je ne dirai que ceci : une fois l'émulateur paramétré en « noir et blanc », l'on se retrouve avec une qualité graphique bien supérieure à la Game Boy, que ce soit du point de vue des animations ou des détails, tout simplement. Il suffit de regarder Wario se mouvoir pour comprendre immédiatement ce dont il est question, même au plan des moindres détails comme ses yeux qui suivent ce qui se passe à l'écran et les trajectoires des ennemis. De ce point de vue-là, donc, Virtual Boy Wario Land détonne véritablement, l'on a l'impression d'avoir entre les mains une Game Boy améliorée mais aux graphismes étonnamment rétro, paradoxalement : autant Virtual Boy Wario Land est un épisode de transition dans la série, autant la console elle-même semble être une transition dans l'histoire des portables de Nintendo et crée un pont là où il ne semblait pas y en avoir.
Concernant les musiques, à nouveau, rien à redire sinon le même propos qu'à l'instant : globalement aussi réussies que les précédentes, elles ne sont cependant pas l'œuvre de Ryoji Yoshitomi, compositeur attitré de la saga, mais bien de Kazumi Totaka (The Legend of Zelda: Link's Awakening, Animal Crossing...), l'occasion de l'écouter dans un autre style que celui qu'il pratique d'ordinaire avec des mélodies plus sombres et moins enjouées qui conviennent on ne peut mieux à l'univers exigu et cloîtré du jeu.

La clé est trouvée, au niveau suivant. À droite, les ventilateurs ont une fâcheuse tendance à vous propulser sur les flammes...

Au final, bien que peu connu des joueurs à cause, encore une fois, de la destinée désastreuse de son support, Virtual Boy Wario Land est un titre d'une grande qualité auquel l'on ne pourra sans doute reprocher que sa durée de vie médiocre (à moins que ça ne soit une volonté des développeurs pour éviter de rendre aveugles les joueurs ?) et cette sensation, encore une fois, que les créateurs sont passés à côté de quelque chose de réellement formidable. Son aspect « intermédiaire » dans la saga des Wario Land du reste permet de mieux appréhender les choix drastiques de gameplay mis à l'œuvre dans Wario Land II.
Et quand bien même l'on ne serait pas, comme je le suis, fanatique de cette série, Virtual Boy Wario Land reste un jeu exceptionnel qui pourrait très bien être, comme le prévoyait l'adage populaire, le meilleur jeu du Virtual Boy.

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