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Wario Land 3
Année : 2000
Système : GBC
Développeur : Nintendo
Éditeur : Nintendo
Genre : Plate-forme / Action

Wario Land 3
Game Boy Color - Nintendo (2000)

Il n'aura pas fallu longtemps pour voir apparaître Wario Land 3, cette fois-ci exclusivement sur Game Boy Color. Est-ce à cause de la sortie, l'année suivante, de la Game Boy Advance ou d'un désintérêt ponctuel pour le personnage, il me semble dans tous les cas que ce jeu est relativement méconnu dans la vidéographie de la console. J'avoue avoir découvert son existence par hasard en fouillant dans mon magasin préféré, alors qu'aucun des magazines que j'achetais encore à l'époque n'en avait parlé. Ce « silence » gênant autour de la suite de ce que je considère comme l'un des plus grands jeux de la Game Boy me faisait peur à vrai dire : le jeu était-il si terrible que ça ? Je prends néanmoins le risque en grand admirateur de Wario Land II, et l'enfourne dans ma console. Après l'avoir fini de fond en comble, je puis l'affirmer : nous avons là un jeu d'une grande richesse, non exempt de défauts bien entendu, mais qui parvient le tour de force de reprendre les principales idées du jeu précédent tout en l'améliorant, ou plutôt en le modifiant suffisamment pour que la pompe passe parfaitement inaperçue.
L'histoire de Wario Land 3 est très particulière pour qui connaît les deux premiers Wario Land car ne mettant pas en scène la joyeuse bande de pirates Syrup. Wario, étant sur la piste d'un plantureux trésor, découvre dans une grotte perdue un coffre contenant une étrange boîte à musique. Lorsqu'il essaye de l'actionner, le voilà aspiré à l'intérieur de celle-ci, dans un monde étrange tournant autour d'une grande tour. Là, un esprit mystérieux lui raconte une triste histoire : ce serait un génie possédant un immense trésor - comme cela est pratique ! - et qui aurait été enfermé dans ce monde miniature par une puissance démoniaque au moyen de cinq boîtes à musique qu'il aurait ensuite réparties de par ce monde. Ah ! Si seulement une âme généreuse voulait bien m'aider ! (Tu parles, Charles...) Je lui donnerais l'intégralité de mon immense trésor ! (WARIO, à la rescousse !)

La carte du monde, vraiment belle ! À droite, le trésor du niveau a été trouvé, le niveau est terminé.

Le passage à la Game Boy Color, pour ainsi dire, le premier passage « étudié » pour cette variation de la portable la plus populaire de tous les temps, a eu d'ores et déjà beaucoup d'influences sur la patte graphique de ce Wario Land 3. Si la version GBC de Wario Land II est des plus agréables à observer et à jouer, l'on ne peut s'empêcher de penser que quelque chose sonne faux. Wario Land 3, d'un autre côté, est clairement taillé pour la console. Celle qui ne pouvait afficher, nous dit-on dans l'oreillette, que 56 couleurs simultanément à l'écran, semble cracher ses tripes dans ce titre haut en couleurs. Il suffit de regarder la carte du monde pour croire que l'on se trouve sur Nes. Un tour de force que je n'aurai jamais revu ailleurs sur la portable de Nintendo. Malheureusement, toute médaille a son revers, et comme de coutume sur console portable, du moins pour les énièmes versions de la Game Boy, c'est la partie sonore qui n'est ici clairement pas à la hauteur. Déjà sur le plan de la qualité, que je juge bien en deçà de la version DX de Wario Land II mais également sur celui des compositions à proprement parler : si je me souviens, plus de dix ans plus tard, de nombre de mélodies des deux premiers Wario Land, je reste incapable de fredonner un air de ce troisième opus. Mais cela n'est finalement que peu important, car le jeu est d'une intelligence et d'un intérêt sans cesse renouvelés. Si Wario Land 3 reprend le principe d'immortalité de l'épisode précédent, il ajoute à cela une grande partie RPG, ou plutôt un système « à la Zelda » pas piqué des hannetons.
Afin de libérer le génie dont il est question dans le synopsis que j'ai livré ici, il va donc falloir retrouver, dans cet univers, cinq boîtes à musique. Ces boîtes sont dissimulées dans des coffres au sein de niveaux spécifiques du jeu. Le monde du génie est en effet découpé en quatre zones (Nord, Sud, Est et Ouest) dans lesquelles on trouve un certain nombre de niveaux (entre quatre et six). Un seul niveau par zone possède un coffre où se situe cette fameuse boîte à musique (la dernière étant dissimulée... et bien dissimulée.) ; mais pour y accéder, il va falloir finir certains niveaux selon un ordre plus ou moins fixé. En effet, dans chaque niveau se situent quatre coffres de quatre couleurs différentes. Le fait de trouver un coffre met fin au niveau en cours. Dans ces coffres, il y a trois catégories d'objet : l'une des quatre boîtes à musique, un objet qui va permettre d'ouvrir un autre niveau ou un autre passage dans un niveau précédent (ouverture d'une porte, apparitions de blocs permettant d'atteindre une plate-forme en hauteur etc.) ou, et c'est ce qui m'avait le plus étonné à l'époque, un objet donnant à Wario un nouveau pouvoir. De la même façon que Link ou Samus au début de leurs aventures, Wario débute son jeu « nu comme un ver » : il ne peut pas faire de « saut rodéo », soulever certains types d'ennemis, nager... Au fur et à mesure qu'il trouvera des trésors, son panel d'actions réalisables augmente, ce qui lui permet d'accéder à de nouveaux niveaux et de découvrir de nouveaux passages dissimulés. Avant d'ouvrir un coffre du reste, il va falloir auparavant trouver la clé de la couleur correspondante. L'aspect « labyrinthe » du jeu précédent se trouve être amplifié, pour notre plus grand bonheur.

Sans les palmes, Wario ne peut que flotter dans l'eau... À droite, Wario est ivre... encore.

Nécessité d'obtenir de nouveaux pouvoirs, obligation de revenir dans les niveaux précédents pour explorer des passages débloqués suite à l'acquisition d'un objet en particulier, tout ceci ne peut manquer de faire penser au système de jeu d'un Metroid. Cela ne devrait finalement pas surprendre, car nombre de têtes pensantes de cette série s'occupent également à temps plein de la série des Wario Land, à commencer par Takehiko Hosokawa, directeur de la série depuis ses débuts. Si je devais y aller franchement, je dirais presque que l'absence sur nos écrans de Samus pendant près de 8 ans (durée séparant Super Metroid de Metroid Fusion) n'était en fait dû qu'à l'élaboration des nombreux épisodes de la saga Wario Land, terreau d'expérimentations pour Nintendo jusqu'à aujourd'hui.
Si je rajoute encore que le jeu gère l'alternance jour/nuit (le temps s'écoule après avoir fini un niveau), ce qui débloque de nouveaux passages, que certains objets influent de façon permanente sur les environnements traversés et que les boss demandent un peu de jugeotte pour être battus, vous conviendrez que ce Wario Land 3, compilant et explorant toutes les virtualités de ses prédécesseurs, a bien plus à offrir qu'une simple variation de Wario Land II. Malgré sa saveur et son goût très similaires, il dégage à nouveau une très forte personnalité ; et quand bien même serait-il bien moins mémorable que le précédent, l'effet de surprise étant passé, je m'engage ici à le réhabiliter pour tous ceux qui s'intéressent un tant soit peu au personnage.

Les niveaux s'arpentent de jour comme de nuit. À droite, le golf, mini-jeu de cette aventure qui débloque de petits bonus. Attention, il est d'une difficulté redoutable.

Si je devais revenir à des considérations moins militantes, je dirai que ce système de quêtes confère au jeu une dynamique et un intérêt bien différents du titre précédent qui, malgré tout, péchait par une certaine linéarité. Car à plusieurs moments au cours de l'aventure, ce n'est pas un seul mais deux voire trois niveaux qui se débloquent d'un seul coup : libre alors de papillonner comme on le désire, de se balader dans des univers parfaitement fous : une tour qui s'élève jusqu'au ciel, des villes abandonnées, des forêts habitées par des fantômes... Chaque niveau est rigoureusement distinct du précédent, avec une charte graphique qui lui est propre et une ambiance particulière. Ainsi, chaque niveau se parcourt à quatre reprises mais chacun de ces voyages est fondamentalement différent du précédent, ce qui donne réellement l'impression de jouer à des variations spécifiques sur un thème donné : rien que l'exemple du manoir hanté est prodigieux, car l'on va circuler au sein de sombres corridors, dans des caves, dans un laboratoire scientifique et dans une sorte de chapiteau qui fera sourire tous les fans de Killer Klowns.
Wario Land 3 est un jeu qui se dissimule et qui se déguste petit à petit, et qui est on ne peut plus truffé de bonnes idées, qu'il s'agisse de gameplay, d'environnements ou d'énigmes tout simplement. Le personnage est toujours invincible, les transformations sont encore de la partie avec de nouveaux pouvoirs comme la boule de neige qui permet de traverser de longues distances sans effort, le vampire qui lui permet de voleter à condition qu'il ne croise pas la lumière du jour, la pelote de laine qui le fait rebondir dans tous les sens ou l'invisibilité qui lui permet de passer certaines portes surveillées par un œil gardien.

À gauche, la pelote de laine permet de se passer des blocs correspondants. À droite, la fiole lancée par le scientifique permet de devenir invisible, et donc de passer la porte. Attention cependant à l'ennemi à la gauche de Wario qui est comme un drap et qui peut se poser sur lui. Et si ça arrive, l'œil le verra à nouveau...

En fait, l'abandon de l'univers somme toute assez « narratif » (pour de la plateforme) des deux premiers Wario Land, au bénéfice du monde abstrait de la boîte à musique de Wario Land 3 est assez représentatif du jeu. Wario Land 3 est en effet une mécanique extrêmement complexe, remarquablement intelligente et incroyablement dense, avec une accumulation de tellement de couches de gameplay différentes qu'on en a le tournis : on a les mécaniques de plateformes/action de Wario Land (en partie tirées de Mario), l'exploration/puzzle de Wario Land II, mais aussi l'acquisition de capacités progressive typique de Metroid, un univers à explorer « librement » avec des objets, clefs, coffres et fragments à trouver rappelant Zelda, un usage intensif des multiples transformations et un level design rempli de portes évoquant irrésistiblement Kirby...
Wario Land 3 a un côté « monstre expérimental », cas d'école, comme si Nintendo avait voulu fusionner toutes ses séries-phares en un seul jeu. On peut trouver cette curieuse chimère absolument brillante (il n'est pas interdit de considérer que c'est le meilleur jeu de la série, voire un des meilleurs jeux Nintendo) tant sa richesse est grande, avec une variété immense, mais d'un autre côté, on peut trouver un côté factice et un peu torturé à l'exercice, comme s'il était contraint. Alors que dans Wario Land 2 on fonçait dans un élan jouissif en passant à travers les murs, dans Wario Land 3, on fait des aller-retours dans des décors très resserrés dans lesquels la progression se fait pouce par pouce : comme chaque niveau est un casse-tête complexe et que l'on est indestructible (et que donc la seule façon de retarder notre avancée est de nous ramener en arrière), on peut passer beaucoup de temps au même endroit, et donc se sentir frustré : l'impression d'ensemble est plus proche d'un puzzle game comme Fire'n Ice (sur Nes) que des deux premiers Wario Land. L'aspect « monde ouvert » est aussi un peu démonté par le manque d'immersion de l'ensemble : tout fait un peu « construction kit », extrêmement intelligent mais un peu arbitraire finalement, et les Wario Land suivants mettront aussi en scène des mondes abstraits, mais avec bien plus de personnalité et de cohérence.

Le jeu reprend occasionnellement des éléments du précédent, comme le boss basketteur ou les ennemis pâtissiers.

En conclusion, si l'enrobage de Wario Land 3 peut faire croire à une version améliorée de Wario Land II, c'est bel et bien un jeu entièrement différent auquel on fait face. L'aspect « rpg », de bon aloi et construit de façon très agréable, c'est-à-dire sans que cela devienne pesant ou allonge le jeu de façon artificielle, apporte une respiration improbable à cet épisode de Wario, Nintendo poursuivant dans sa lancée de la refonte complète du principe de jeu à chaque opus, un gage d'ingéniosité - à défaut d'être toujours une réussite, comme on verra plus tard - que l'on aimerait voir un peu partout.
Longtemps oublié des fans car pris en sandwich entre deux excellents épisodes comme nous le verrons pour sa suite, Wario Land 3 reste un petit bijou, en bonne place pour figurer, au moins, parmi les meilleurs jeux de la console.

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