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Phoenix Wright - La série
Année : 2001
Système : DS, GBA
Développeur : Capcom
Éditeur : Capcom
Genre : Réflexion / Aventure

Apollo Justice: Ace Attorney (Gyakuten Saiban 4)
(2008 / DS) Capcom

Enfin. Après trois itérations relativement similaires de Ace Attorney, Capcom se décide d'écouter les fans et de proposer un tout nouvel épisode spécialement dédié à la Nintendo DS. Se plaçant chronologiquement près de sept années après les derniers événements de Trials and Tribulations, le jeu nous met dans la peau cette fois-ci non plus de Phoenix Wright, mais d'Apollo Justice, un tout jeune avocat qui va travailler temporairement à « L'agence artistique Wright & co. ». Car en effet, quand le jeu commence, votre premier client n'est autre que Phoenix Wright, reconverti comme pianiste dans un bar louche après avoir été limogé du barreau pour avoir présenté de fausses preuves.
Je ne révélerai pas grand chose de plus, mais sachez que bien que Phoenix Wright ne soit pas le protagoniste son histoire joue un rôle très important dans ce jeu ; et l'on peut même considérer que l'ensemble du titre consiste à effacer les soupçons qui continuent de peser sur cet avocat de génie et clôt définitivement l'histoire de Wright, les quatre jeux nous présentant toute sa carrière, de ses débuts au barreau (Ace Attorney) à son innocence avérée.

Phoenix a bien changé, hein ? À droite, Vérité, votre nouvelle comparse.

Qui dit Nintendo DS dit alors nouveaux contrôles, nouvelles interactions, nouveaux graphismes, n'est-ce pas ? Hé bien, j'ai le devoir de vous dire...

Sincèrement, les différences entre ce jeu et le précédent sont des plus minimes, voire parfaitement inexistantes. L'on sent bien qu'un petit effort graphique a été concédé - les décors sont plus fournis, les personnages moins pixelisés - mais il n'y a strictement rien que la Game Boy Advance n'aurait pu sincèrement prendre en charge, ou plutôt si : les éléments déjà introduits jadis dans le cinquième cas ajouté de Ace Attorney premier du nom. L'on retrouvera donc des choses aussi palpitantes que relever des empreintes, vaporiser du luminol pour découvrir des résidus de sang sur des objets divers et utiliser des molettes pour zoomer et dézoomer sur les objets du dossier... Non seulement c'est tout, mais du reste cela n'est utilisé que pour une enquête spécifique à chaque fois, et rien de plus. Ah, si, l'on a également droit à des reconstitutions en trois-dimensions des scènes du crime et à une vidéo d'un concert, toutes étant particulièrement ratées et moches, et seraient bien mieux passés en deux dimensions selon mon humble avis.
Reste cependant une dernière nouveauté. Tout comme Wright avait le Magatama, Apollo a quant à lui un bracelet magique qui lui permet de repérer au cours d'un témoignage lors d'une session au tribunal les signes de nervosité de celui qui parle. Si jamais Apollo pressent quelque chose, une icône bracelet se met à briller sur l'écran tactile ; une fois sélectionnée, un « zoom » du témoin apparaît alors tandis que sa phrase défile lentement. À vous alors de repérer les petits tics qui se manifestent quand un certain bout de son témoignage est prononcée : une veine qui grossit, une sudation étrange, une envie de se gratter au cou... Cela permet à Apollo d'effectuer une « pression supplémentaire » sur le témoin et, de là, à y voir plus clair dans son jeu.

Un tic a été remarqué... Il est temps d'utiliser le bracelet !

L'idée, en soi, est sympathique. Son application, en revanche, est sujette à défaut : car non seulement l'on vous indique quand il faut l'utiliser, mais en elle-même je ne vois rien qui n'aurait pu être pris en charge par la commande « Attaquer », toujours présente du reste. Enfin, les deux grandes qualités des Ace Attorney, à savoir l'écriture et les procureurs souffrent également de grandes inconstances pour qui a été habitué au génie des épisodes précédents. Commençons par les scénarios des quatre épisodes : ils ne brillent ni par leur originalité, ni par leur intelligence ou, du moins, j'y ai été relativement insensible. Le fait qu'ils soient tous plus ou moins connectés, comme je l'ai dit plus haut, afin de réhabiliter Phoenix Wright amène à des circonvolutions étranges pour tout faire rentrer dans le tableau, et j'avoue que j'ai eu du mal à me passionner à résoudre les différents cas. Du reste, le jeu est bien trop facile pour un initié tout comme pour un débutant, et se termine sans mal.
Arrivent alors les personnages. Et là, j'avoue que le constat est tout autant mitigé me concernant. Non seulement je trouve leur design, pour la première fois, particulièrement raté - en particulier le personnage d'Eddy Taurial, insupportable de bout en bout - mais le procureur lui-même est une aberration. Non que son histoire personnelle ne soit pas intéressante, même si rien ne peut atteindre le génie de Godot, mais il souffre d'un profond défaut : il est sympathique. Souriant. Pas plus confiant que vous ou moi. Agréable. On ne peut pas le détester, au contraire, on le considérerait presque comme une victime. Cela est bien dommage car Apollo Justice, quant à lui, est bien moins tête-à-claques que Phoenix Wright et l'on a beaucoup de plaisir à l'écouter. La même remarque peut se faire pour sa partenaire, Vérité qui vient donc remplacer Maya Fey même si elles sont très proches l'une de l'autre, c'est-à-dire enjouées, naïves et sincères.

On utilisera une table de mixage, la bonne idée du jeu. À droite, le nouveau procureur, rock-star dans la vie de tous les jours.

Apollo Justice est pour moi une grande déception ; je ne doute pourtant pas que certains y trouveront leur compte, et peut-être cet épisode était-il pour moi celui de trop, et que je commençais à me lasser du principe. Peut-être. Je n'ai pas été le seul cependant à renâcler : le jeu a subi des critiques assassines de la part de certains magazines, et les ventes furent bien moins nombreuses que les épisodes précédents, en Europe tout du moins car le jeu a joui d'un beau succès au Japon. Son manque de renouvellement dans son gameplay, à présent archaïque, son écriture largement en-dessous des standards auxquels la série nous avait habitué ainsi que l'absence de personnages et d'événements marquants en font un semi-échec, toujours agréable à parcourir certes mais sans enthousiasme ni complaisance. Un couac qui aurait pu définitivement sonner le glas de la série des Ace Attorney et qui, quelque part, a effectivement réussi à la tuer, avant de la voir renaître de ses cendres, tel un phoenix... ou, le cas échéant, un Benjamin Hunter.

Ace Attorney Investigations: Miles Edgeworth (Gyakuten Kenji)
(2010 / DS) Capcom

Capcom, c'est un éditeur qui a de la bouteille. On ne les entourloupe pas. Alors, quand ils apprennent qu'Apollo Justice n'a pas si bien marché que cela en Europe, ils décident de ne plus prendre la peine de traduire les nouveaux épisodes, ça leur apprendra à ces pourceaux d'Européens. Lassés également peut-être d'entendre les critiques leur reprochant de ne pas se renouveler suffisamment, ils choisissent de changer radicalement leur gameplay et d'insuffler du sang neuf dans leur série.
Ils sont forts chez Capcom. Ils trouvent le moyen de se faire aimer et de se faire haïr dans le même élan. Malheureusement pour eux, l'absence de traduction n'est pas le seul ennui que l'on pourrait leur reprocher. Ace Attorney Investigations: Miles Edgeworth est un jeu bancal, et je suis d'autant plus sévère avec ce dernier que je suis grand admirateur de la série dans son ensemble.
D'ores et déjà, Capcom s'éloigne avec cet épisode d'un « simulateur de procès » pour revenir sur la structure d'un jeu d'enquêtes bien plus traditionnel. En effet, les cinq épisodes de ce récit ne prennent nullement place dans un tribunal au sens classique du terme, c'est-à-dire qu'il n'y aura jamais de lutte entre un avocat, un procureur et un témoin sous l'œil concupiscent du juge à la barbe grise. Ici, vous mènerez l'enquête préliminaire, c'est-à-dire ce qui se déroule avant le procès à proprement parler : vous ferez équipe avec la police afin de collecter des preuves et des mobiles afin de désigner le coupable, le reste se déroulant « hors caméra » pourrait-on dire. Chronologiquement causant, cet épisode se déroule entre Trials and Tribulations et Apollo Justice même si cela n'a guère vraiment d'influence sur le jeu, la série se plaçant clairement en-dehors des chemins balisés et ce bien qu'elle reprenne à son compte univers et personnages, en premier lieu Dick Gumshoe (Dick Tektiv en français) qui sera votre partenaire attitré. Le jeu en profite surtout pour introduire le personnage de Key Faraday, acolyte par la force des choses qui peut être considérée comme une « Maya bis » tant dans son comportement que dans ses attitudes. Cependant, et malgré la présence de phases d'enquêtes et de contre-interrogatoire, rien n'est plus éloigné dans l'esprit d'un Phoenix Wright, ne serait-ce que parce qu'on ne cherche plus la vérité, on l'établit en se mettant dans la position du procureur. Toute l'ambiguïté pourrait-on dire de l'exercice de la justice disparaît ici pour un message à sens unique qui pourra déranger ceux qui, comme moi, aimaient le demi-mot des épisodes précédents.

Monsieur Hunter n'a rien perdu de sa superbe, il faut l'avouer.

Ensuite, le jeu sort du pur gameplay « roman interactif » pour s'approcher davantage d'un point'n click : Miles Edgeworth est clairement visible comme personnage à l'écran, de la même façon que les protagonistes, et vous le déplacez avec le stylet pour lui faire rencontrer les témoins ou l'attirer sur un centre d'intérêt. Pour mener l'enquête, vous devrez en effet à la fois parler avec les protagonistes, mais également examiner les différentes zones afin de collecter les pièces à conviction et, plus important, des indices.
L'on rentre ici dans la première particularité du titre qui n'est pas sans rappeler le système d'un Discworld Noir, dont j'avais parlé ici-même. Miles Edgeworth est un procureur d'exception, et toujours possède-t-il sa fameuse sagacité à résoudre les nombreuses contradictions et autres problèmes qui se posent à lui. Aussi, en examinant certains endroits ou en discutant avec les personnages, Miles va-t-il se poser de nombreuses questions qui viendront alimenter un menu « Logic » où elles apparaîtront comme des éléments manipulables. Il devient alors possible de les combiner deux à deux afin de faire surgir une réponse qui permettra d'y voir plus clair sur la scène du crime. Exemple simple pour illustrer le système : une clé est trouvée dans un hangar sans que l'on sache à quoi elle corresponde, puis une trappe verrouillée. On associe les deux idées et pouf ! Miles, avec son formidable quotient intellectuel, comprend que la première ouvre la seconde. Chez Capcom, on aime compliquer les choses simples. Ce système de « logique » pèche par un côté ouvertement artificiel et, du reste, ne permet pas assez de possibilités pour qu'il soit intéressant. Le fait de ne pouvoir qu'associer que deux idées en même temps limite nécessairement la plastique du mécanisme, et du reste on ne se cassera guère longtemps la cervelle pour savoir quoi associer avec quoi, cela étant nécessairement demandé pour finir un chapitre.

Une phase de recherche, et une autre d'association.

L'autre nouveauté de taille dans le système d'enquête réside dans la possibilité de « Déduire » (Deduce) quelque chose d'une scène de crime. Lorsque Miles en sait assez, il lui est possible d'associer une preuve de son dossier avec un élément précis de la scène en question pour faire surgir une nouvelle idée. Nouvel exemple : on a trouvé un revolver dont une seule balle a été tirée, on l'associe avec deux impacts de balle sur le mur et pouf ! on en déduit qu'il y a eu une autre arme sur le lieu du crime. Encore une fois, le système est d'une simplicité désarmante, et l'on est loin, très loin, du machiavélisme des verrous-psychos des épisodes précédents.
Comme auparavant, les phases d'enquêtes alternent avec les dialogues et, surtout, les contre-interrogatoires qui cette fois-ci peuvent porter autant sur des témoignages que sur des « arguments ». Miles enquêtera en effet régulièrement avec d'autres procureurs et membres des forces de l'ordre qui lui exposeront leur version des faits, bien entendu fausse ou contradictoire avec les preuves récoltées et ce sera au joueur de mettre en lumière les incohérences, nombreuses bien entendu. Les commandes pour ce faire ne changent pas d'un iota : attaquer une phrase en particulier, ou présenter une preuve. Chaque enquête est découpée, encore une fois, en plusieurs chapitres qui alternent phases d'investigations et interrogatoires et prennent place dans des univers très différents les uns des autres : un tribunal, un avion, un parc d'attractions... Cependant, aussi sincère que puisse être la démarche de Capcom sur ce jeu, j'ai toute une batterie de défauts concernant cet épisode qui ne prévaut dans le cœur des fans que pour la sympathie que l'on peut avoir pour la série depuis ses débuts. Sans le nom de Miles Edgeworth dans le titre et la reprise de l'univers délicieux des Phoenix Wright, je gage que les grands magazines auraient été bien plus sévères avec ce jeu qui, du reste, n'a pas spécialement marqué la critique et a collecté de par le monde des notes très, très moyennes.

Je trouve cette image très drôle... À droite, qu'est-ce qui cloche ?

Premier défaut et non des moindres, l'écriture des différents scénarios peine à convaincre. Aucune situation déjà entrevue précédemment, malgré un vaillant effort de mise en scène : la deuxième histoire commence avec un Edgeworth ligoté et accusé de meurtre, et l'on devra avant toutes choses prouver son innocence à une hôtesse de l'air par trop zélée. Il reste cependant que l'on ne sera jamais étonné par les rebondissements proposés par les auteurs qui, pour le coup, donnent vraiment l'impression de se reposer sur leurs lauriers. Deuxièmement, une sensation de liberté au rabais qui fait mal au cœur. Dans les autres Phoenix Wright, on ne pouvait vraiment leur en vouloir compte tenu qu'il n'y avait, justement, aucune volonté de nous faire croire que nous étions libres : l'on se contentait de sélectionner une destination et l'on s'y rendait immédiatement, sans transition. Ici au contraire, l'on déplace notre personnage physiquement sur le terrain de jeu, et l'on passe alors d'une zone à l'autre sans coupure. Cependant, ne croyez pas pour autant pouvoir faire des aller-retours afin de collecter des informations comme dans n'importe quel autre point'n click qui se respecte : ici, le jeu vous bloque dans une salle donnée, affiche en grand « DÉBUT DE L'ENQUÊTE », vous faites votre petit besoin sans que l'on vous autorise à sortir de la salle, et une fois tout trouvé, on vous annonce « FIN DE L'ENQUÊTE » et zou, on enchaîne avec un contre-interrogatoire... Inutile, frustrant et, pour ainsi dire, totalement absurde. Au moins, dans Phoenix Wright, il nous arrivait souvent d'errer de zones en zones en espérant dénicher l'information qui nous manquait sans savoir précisément où la chercher.
Troisièmement et non des moindres, la difficulté est inexistante. Je n'irai pas jusqu'à dire que les autres Ace Attorney étaient difficiles, bien loin s'en faut. Mais il leur arrivait souvent de nous demander quelques génuflexions pour arriver à nos fins et nous de nous demander que faire pour progresser. Ici, étant donné que toute partie de l'enquête est strictement cloîtrée et séquencée comme du papier à musique, il n'y a aucune place au flottement. Il est tout de même paradoxal de voir qu'un épisode qui nous promet d'avoir une plus grande liberté d'action nous enferme plus que jamais dans un moule prédéfini et bien plus coercitif que n'importe quelle phase des quatre autres épisodes. De plus, le jeu nous indique constamment que faire, quel objet montrer à qui, là où il faut observer davantage... Décourageant, et éliminant par là même toute notion de réflexion. L'on pourrait également citer dans les défauts du jeu une propension au « fan-service » en faisant apparaître les personnages marquants des jeux précédents de façon continue, traduisant peut-être un manque d'inspiration... mais je me suis déjà acharné sur ce jeu, donc je tairai cela.

Le juge en pied, et une jeune Franziska. À droite, fin de l'enquête... Circulez, y'a plus rien à voir !

Tout ceci associé, en bon chauvin que je suis, à l'absence de traduction française ce qui l'empêchera d'être joué par toute une tranche de la population puisqu'un certain niveau de langue écrite est requis pour l'apprécier donne en définitive un jeu plutôt incertain, tatillon voire frileux sur ses mécanismes. Pour un peu, l'on pourrait presque parler « d'erreurs de jeunesse », mais compte tenu du génie des autres épisodes, l'on ne peut que hurler...

...et finalement attendre le deuxième épisode, sorti récemment au Japon mais pas encore disponible aux États-Unis. Espérons que les choses s'amélioreront alors avec cette suite car ce n'est décemment pas une fin digne pour l'une des séries les plus marquantes du début du 21ème siècle. Au fait, j'ai oublié de vous dire comment s'était terminé le cas de Sextus Roscius. Le fils du défunt a été acquitté grâce à Cicéron, mais la victoire a été morale avant toutes choses. Aucune preuve décisive n'a en effet été montrée, si bien que c'est grâce à ses beaux discours que l'avocat de la défense a pu remporter son procès. L'on ne sera jamais si Capiton était réellement la tête pensante du projet même si tout porte à le croire.
La série des Ace Attorney arrive alors à la même conclusion générale : même en l'absence de preuves, le bon sens est apte à donner un jugement même si, la justice étant aveugle, il se peut qu'elle ne sache pas toujours sur qui s'abat son marteau.

Accusé MTF, vous êtes acquitté !
MTF
(14 mai 2012)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
- Certaines images proviennent du site jeuxvideo.com.
- Le site court-records.net qui est une mine d'informations, d'images et d'animations sur la série.


Je remercie Sebinjapan d'avoir relu la première version de cet article, et de m'avoir donné son avis.
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