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Kult
Année : 1989
Système : Amiga, Atari ST, Windows
Développeur : Exxos
Éditeur : Ere Informatique
Genre : Aventure / Point'n click
[voir détails]
Par JPB (10 mai 2010)

" Dans la Montagne vivait le Peuple. Du ciel vint Zorq et son familier Qriich, à bord de leur engin volant. Et Zorq parla au peuple : « Je vous ai choisis, vous qui êtes moins que rien. Demain vous serez les Géniteurs de la nouvelle race et la terre sera vôtre, et tous les peuples seront écrabouillés sous votre botte. » Et le peuple fut heureux. « Que l'on m'apporte une femelle », ordonna Zorq, et ce fut vite fait. Une femelle du Peuple, la plus pulpeuse, fut apportée à Zorq qui l'ensemença en disant : « Femelle, tu seras le Génitrice du nouveau Peuple. Ainsi ma race et la tienne ne feront qu'une, et les autres peuples seront écrabouillés, car ce sont des Offas ! » Et la Génitrice fut placée dans la Frayère de Zorq selon les ordres de Zorq. En trois heures elle mit bas, pondant une multitude d'œufs qui vinrent à éclore. "

La boîte du jeu (merci au site Hall of Light !)

" Et les enfants de la Génitrice se nourrirent de leur mère qui fut ainsi consommée par ses enfants afin que la nouvelle race soit forte entre toutes. Et les enfants se mangèrent chacun l'un l'autre, jusqu'au dernier d'entre eux. Et Zorq dit : « Cette race ne fera pas l'affaire. » Et le Peuple de la Montagne fut triste car la nouvelle race avait comporté un défaut. Et Zorq parla : « Je repars chercher le Komposant. Quand je reviendrai, nous recommencerons. Gardez la Frayère comme signe. Mais n'y touchez surtout point. Choisissez un chef qui sera Protizim du Peuple des Protozorqs et qui gardera la foi en moi jusqu'à mon retour. » Et Zorq et son familier Qriich retournèrent au ciel à bord de leur engin volant. "

Ce passage provient du Livre des Origines. Il est suivi du Livre de la Honte, qui explique ce qui s'est passé depuis le départ de Zorq et a conduit à la situation actuelle. Vous trouverez cette petite nouvelle dans la section Bonus en fin d'article.

Dans ce monde, suite à la Grande Brûlure, vivent trois races : les humains normaux sur terre, les humains mutants psychiques (Tuners) qui se cachent des autres, et les mutants physiques (Protozorqs) dans leur temple.
Juste avant que le jeu ne commence, les Protozorqs sont heureux : leur Dieu Zorq est revenu, et demande qu'on élimine tous les femmes et enfants Offas (humains) et qu'on lui amène tous les hommes Offas. Des raids sanglants sont alors effectués sur les villages humains. Vous, Raven, et votre fiancée Saï Faï assistez à un de ces raids, et en tant que Tuners vous décidez d'intervenir - contre l'avis du Rezo, la conscience collective qui relie les Tuners entre eux. Vous arrivez à vous en sortir, mais Saï Faï est faite prisonnière et emmenée au Temple des Protozorqs. Désobéissant une fois de plus au Rezo, vous vous laissez capturer lors d'un autre raid, et vous êtes à votre tour emmené au cœur du Temple...

L'écran d'intro.
Le choix de la langue.

Les auteurs du manuel se sont vraiment lâchés. Je n'ai pas souvenir d'avoir lu une documentation aussi dingue ! Enfin si, la seule qui soit encore plus farfelue, c'est celle de Purple Saturn Day des mêmes auteurs (j'espère vous en parler un jour). Je vous conseille vivement de lire tout ça, surtout que les fichiers ne sont pas énormes : encore une fois, vous trouverez tous les documents en section Bonus, en fin d'article. Pour info, ils proviennent du site Alone in the Past, merci à eux !

Petite parenthèse : Kult fut édité en 1990 aux états-Unis, sous le titre Chamber of the Sci-Mutant Priestess.

Les cinq épreuves

Dès le commencement du jeu, on vous présente quelques-uns des personnages que vous allez rencontrer.

Quelques personnages que vous rencontrerez au cours de vos pérégrinations.

Vous incarnez donc Raven, un mutant psychique - ou Tuner. Votre but est de retrouver votre compagne Saï Faï (appelée Sci Fi dans la version anglaise !), qui a été emmenée dans le Temple des Protozorqs. Vous vous retrouvez donc dans l'Orbite du Maître, au cœur du Temple, devant le Maître des Épreuves qui vous donne un objet (aléatoire) dont vous aurez besoin pour réussir la première des cinq épreuves. N'oubliez pas que personne n'aime les Tuners, il faudra éviter d'utiliser vos pouvoirs psi dans la mesure du possible.

Une des cinq épreuves du début, le Maître vous donne l'objet nécessaire à son accomplissement.

Les pièces du temple sont disposées comme les rayons d'une roue. Au centre : l'Oeil du Maître, petite pièce entourée de l'Orbite du Maître (lieu de départ). Tout autour, les cinq salles d'épreuves, et celle permettant l'accès au temple. Autour de ces salles disposées en rayon : l'Anno, grand couloir circulaire.

Le plan du Temple. L'image complète (avec les correspondances) est dans le manuel du jeu.

Vous devrez réussir toutes les épreuves afin d'obtenir les cinq crânes de Vorts en récompense. Ainsi, pour triompher de la salle :

  • De Profundis, il faut une corde ;
  • Le Pendu, il faut la lanterne ;
  • Le Mur, il faut le poignard ;
  • En présence du Scorpion, il faut la mouche en pierre ;
  • Les Jumeaux, il faut le gobelet.
Quelques écrans des salles des épreuves :
Le Pendu, De Profundis, En Présence du Scorpion, Les Jumeaux.

À part pour la salle Le Pendu (où vous pouvez remplacer la lanterne par votre pouvoir Psi Hypervision), il faut impérativement l'objet correspondant à la salle pour espérer obtenir le crâne - ce qui n'est tout de même pas gagné, à vous de faire fonctionner vos méninges. Mais si, au début de chaque partie, le Maître des épreuves vous donne un objet au hasard, ensuite il faudra arriver à trouver les autres. Pour cela, on peut fouiller un adversaire qu'on a étourdi ou tué... On peut aussi faire des échanges avec les aspirants qui sont d'accord... On peut enfin passer par l'échangeur pour obtenir un nouvel objet en échange d'un crâne : il se trouve dans la salle de départ, l'Orbite du Maître. C'est un simple jeu de bonneteau, mais ça va vite, très vite, et on perd souvent.

Au final, vous devez donner les cinq cinq crânes au Protozorq qui garde l'Échangeur avant une heure de temps, pour devenir Divo. Chaque crâne placé pour faire un échange compte, donc vous pouvez les déposer quand bon vous semble, il n'y aura pas de tricherie. Une fois que le Protozorq de garde se rend compte que vous lui avez bien donné cinq crânes, il appelle le Maître des Épreuves qui se réjouit de la venue d'un nouveau Divo.

Divo : le rêve de tout aspirant...

Il vous donne alors un œuf de pierre, "symbole du vrai savoir", et vous ordonne de vous rendre au Parvis pour rêver. C'est justement l'œuf qui vous sert de passe pour arriver jusqu'à cet endroit. Et là, après vous être endormi, l'image ci-dessous résume parfaitement la situation :

... mais est-ce vraiment le vôtre ?

Et voilà, fin du jeu !

Euh... Pardon ?

Je vois à votre air dubitatif que quelque chose vous étonne. Après votre glorieux sacrifice, votre corps est balancé dans la salle Les Puissances de l'Abîme, où Deilos, le Dieu intérimaire, pourra le mâchouiller tout à son aise. Qu'y a-t-il de mieux ?
Bon, c'est vrai que tout le monde ne partage pas forcément le point de vue des Protozorqs... Et puis vous n'avez pas rencontré tous les personnages qu'on vous a présentés au début... Et surtout, Saï Faï, que va-t-elle devenir ?

Cet aspirant veut me tuer et m'envoyer chez Exxos !
Là, j'ai volé l'arme d'un Protozorq... Mauvaise idée !

Je vais vous mettre sur la voie. En fait, dans la salle Le Pendu, se trouve un passage secret. Si vous furetez et tentez bien les différentes actions possibles avec chaque objet, vous le découvrirez forcément. Vous vous retrouverez dans un tunnel, et la véritable aventure peut alors commencer. Vous comprendrez à ce moment-là que les épreuves des crânes sont en fait un bel attrape-nigauds, destiné à exterminer toute trace des Offas ! Avec le recul, il s'avère qu'il est totalement inutile de faire les épreuves : autant filer tout de suite par le passage secret.

Ash et sa fille Normajeen, deux Tuners dissonants qui se cachent dans les cavernes.

Mais ça, en théorie, vous êtes censés le découvrir par vous-mêmes... Et pour la suite, sachez que vous retrouverez effectivement Saï Faï. Si vous avez déniché les bons objets, peut-être pourrez-vous même la sauver...

La réalisation

Tout d'abord, rendons grâce au Dieu Exxos. Après tout, toute l'équipe (avec Philippe Ulrich à sa tête) a bien fait un sacrifice au Dieu lors d'une conférence de presse quelques mois plus tôt, en expliquant que c'était grâce à Exxos que ces gens arrivaient à créer de tels jeux. Et franchement, on ne peut que le remercier... Vous aurez l'extrait de la conférence de presse dans l'article sur la série Captain Blood. Et, de la même manière que lors de la sortie de Purple Saturn Day, toute l'équipe remet ça, comme l'écrit Daniel Ichbiah dans sa Saga des jeux Vidéo :

' Le 13 avril, à l'occasion de la sortie du jeu Kult, Ulrich armé d'une hache, "immole" un extraterrestre de latex à la gloire du dieu Exxos dans le sous-sol de Ere informatique, sous les cris des programmeurs. Les journalistes, à qui l'on a remis des lunettes "pour les protéger des hallucinations collectives", repartent avec un morceau de l'entité. La tête de l'alien décapité est placée dans le bureau d'Ulrich au-dessus d'une armoire d'où elle dévisage les visiteurs égarés. '
Un Holo-Holo qui annonce les messages du Protizim
Harssk (chef actuel des Ptorozorqs).
Désolé Madame... Je vous préférais de dos !

Les gens qui ont réalisé Kult n'en sont pas à leur premier coup d'essai.

Le scénario - complètement déjanté - est l'œuvre de Johan Robson (connu sous le nom d'Arbeit von Spacekraft) : il a réalisé celui de Crash Garrett, et plus tard de KGB... L'histoire de Kult est bien conçue, le fait que les épreuves ne soient qu'une sinistre farce est fort bien trouvé, et encore une fois la documentation est complètement loufoque. Du grand art !
Et puis cette idée excellente d'avoir un fœtus Gauss, toujours présent, toujours prêt à aider... mais tellement nul en orthographe que pour comprendre ce qu'il dit, il faut lire la phrase à voix haute ! Regardez certaines des captures écran pour vous en rendre compte...

Un élément important du temple : le Ciel Étoilé.
Saï Faï est retrouvée, le fœtus s'en réjouit.

Au niveau programmation, Patrick Dublanchet a déjà "commis" Crash Garrett, Dune, et sera ensuite aux commandes d'Extase et de KGB...

L'interface du jeu est sympa. Quand on passe la souris sur un élément avec lequel on peut interagir, le curseur change de forme et passe au rouge. En cliquant, une sorte de tablette à l'aspect organique (des côtes ?) apparaît, et propose des boutons dont le nombre varie en fonction des circonstances. Les différents verbes proposés peuvent être standard (inspecter, parler, attaquer...) mais aussi originaux (lécher, adorer, embrasser...), et dans la plupart des cas, on se retrouve en face d'un petit commentaire farfelu. Ça ressemble à l'interface des point'n click de l'époque (notamment les jeux Lucasfilm), mais cette tablette apparaît près de l'endroit où on clique, ce qui évite de couper une portion de l'écran pour laisser en permanence les verbes d'action. De plus, comme je le disais un peu plus haut, les verbes sont fonction de l'objet et des circonstances au moment du clic... On a ainsi bien plus de possibilités, même si certaines ne sont là que pour s'amuser !

Les graphismes sont de Michel Rho, qui a déjà réalisé ceux de Macadam Bumper, Crafton & Xunk, Captain Blood, Extase... Ils sont très fouillés, les couleurs sont bien trouvées. L'aspect organique du fœtus, de l'interface, des décors est très particulière, aujourd'hui ça ferait penser à un mix entre Alien et Existenz... Il y a de nombreux petits détails qui font sourire : ainsi, tous les Protozorqs ont le logo d'Exxos sur leur tenue. Le jeu a un cachet visuel qui lui est propre et qui a contribué à son succès.

Je ne vous ai pas présenté Deilos ?
C'est le machin plein de dents au fond.
Le Livre des Origines et le Livre de la Honte...
Vous aussi pouvez les lire (voir liens).

L'animation est très peu développée. Il y a quelques sprites qui bougent à l'écran, mais la plupart du temps on se retrouve en face d'images fixes. Par contre, les personnages avec lesquels on peut agir apparaissent dans des vignettes : l'affichage et la fermeture de chacune d'elles se fait par une transition agréable (comme dans les diapositives de Powerpoint, si ça vous dit quelque chose). On retrouve ici le même habillage visuel du jeu qu'on a pu voir quelques mois plus tôt dans Crash Garrett.

Stéphane Picq est l'homme des musiques et bruitages de Crash Garrett, Dune, Extase, Full Metal Planète... Un excellent musicien aux réalisations variées et originales (ne manquez pas les musiques interactives d'Extase, mais il faut y jouer pour les écouter !). Dans Kult, il n'y a de musique qu'à l'écran d'introduction, elle est d'ailleurs surprenante ; par contre un effort énorme a été fait sur les voix des différentes races. Quand on clique sur un personnage, quel qu'il soit, et que celui-ci s'adresse au joueur, des borborygmes de toutes sortes jaillissent des haut-parleurs (en plus des bulles à l'écran, il faut quand même savoir ce qu'ils disent !). Les voix sont facilement reconnaissables, on associe immédiatement un son à une race. Certains d'entre eux me font toujours sourire quand je les entends...

Le combat final... L'ennemi n'est pas forcément celui qu'on croit.

Le jeu n'est pas long. En le connaissant par cœur ou avec la solution, on peut le finir en moins d'une demi-heure. Bien entendu, si vous voulez vous lancer là-dedans sans aide, il vous faudra quand même un peu plus de temps... Quoi qu'il en soit, vous passerez un bon moment, ça je vous le garantis.

En conclusion

Kult est un excellent jeu d'aventure point'n click, une valeur sûre de l'époque de l'Amiga. En prenant un peu de recul, on a l'impression que Crash Garrett était destiné à "tâter le terrain" pour permettre la sortie de Kult par la suite (ce qui n'enlève rien aux qualités de Crash Garrett justement). L'histoire, la documentation, les graphismes et l'interface façon BD, font que Kult a de nombreuses qualités qui lui ont d'ailleurs valu des récompenses (il fut supplanté par Les Voyageurs du Temps de Delphine).

Kult fut testé :
- dans le Tilt n°67 de Juin 1989 (SOSHits, 16/20) ;
- dans le Gen4 n°12 d'été 1989 (Gen d'Or, 91%).

Kult reçut les prix suivants :
- le Tilt d'Argent 1989 du Meilleur jeu d'aventure en français ;
- le 4 d'Argent 1989 du Meilleur jeu d'aventure français.

Bonus !

Voici les 3 documentations, à lire d'urgence :
- les origines ;
- l'histoire ;
- le manuel.

JPB
(10 mai 2010)
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(9 réactions)