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F-zero, la série - L'analyse
Plus qu'une simple série, F-zero est devenu un genre à part entière et a inspiré de nombreux clones. Michael a analysé longuement l'essence du jeu de course futuriste ultime dans un dossier remarquablement documenté de 16 pages.
Par Michael (14 janvier 2005)

Introduction : Avant 1990 - En route vers F-Zero...

Fin des eighties, dans le marché des consoles, la Famicom/Nintendo/NES paraît indétrônable. Et l'histoire prouve que n'est pas avec une autre 8-bits, la Master System par exemple, qu'on inquiète le mastodonte. Alors, très vite, dès 1988, Sega sort au japon la carte 16-bits. Avec des campagnes de lancement extrêmement agressives, Sega se targue, à juste titre, d'avoir la seule 16-bits du marché (attaquant du même coup N.E.C et sa 8/16-bits, la PC Engine). Cette stratégie paie : la Megadrive se vend très bien, surtout sur le marché américain (où elle se nomme Genesis).

"Genesis does what Nintendon't" est, par exemple, un des slogans américains

Big N a un peu trop misé sur la fidélité des joueurs. La firme pensait, naïvement, que le gros du public, tout acquis à sa cause, l'attendrait patiemment quelle que soit la surenchère technologique des adversaires. Elle s'est trompé - les très bons scores de Sega le prouve - mais rien n'est perdu : la NES résiste très bien malgré son âge et, surtout, une réponse est en préparation depuis 1989 : la Super Nintendo. Seule ombre au tableau, les différentes annonces qui précèdent la sortie laissent les observateurs très dubitatifs : techniquement, la 16-bits ne serait pas à la hauteur. Qu'à cela ne tienne, pour montrer aux plus septiques que la console en a quand même dans les tripes, il n'y a qu'une seule voie possible : il faut des 'grands' jeux, et le plus vite possible. F-Zero sera de ceux-ci, un des principaux et surtout un des tous premiers, un des quatre jeux qui accompagneront le lancement de la machine au Japon.

Shigeru Miyamoto et Kazunobu Shimizu.

Très important pour Nintendo, le projet F-Zero a été confié à des mains expertes et très habituées au succès : l'inénarrable Miyamoto produit ; Kazunobu Shimizu, déjà à la tête du design de Zelda 2 sur NES, dirige ; le grand Yasunari Nishida, ancien 'programmeur principal' des deux premiers Zelda et de Super Mario Bros (rien que ça !) est nommé 'chef programmeur' du jeu de course ; et l'équipe de développement dans son ensemble est tout aussi talentueuse... Pas de doute, F-Zero a été créé par le "noyau dur" de Big N. C'est à dire, le principal studio japonais de la firme, celui qui a accumulé les succès sur NES alors que cette console vivait ses derniers instants de gloire : cette division, nommée Nintendo Research & Development 4, est une véritable machine à rêve dirigée par Miyamoto. C'est d'ailleurs à cette époque, pendant la préparation de la Super Nintendo, que ce studio (R&D4) va vivre une sacrée promotion. Il va grandir, se voir renommer E.A.D. (pour Entertainment Analysis & Development), et englober d'un même mouvement une bonne partie des trois autres studios "Research & Development" de Nintendo. Avec F-Zero, ce nouveau 'grand' studio n'a jamais aussi bien porté son nom : la course d'hovercraft que nos amis concoctent est directement née de la recherche, en l'occurrence des recherches en matière de trois dimensions. F-Zero sert carrément de principale démo à la mise au point d'une technique Made in Maison : le Mode 7. Dernière ce nom barbare se cache un moteur graphique qui à la particularité de créer une impression de relief très nette en coordonnant la déformation de différents sprites à l'écran. Véritablement taillé sur mesure, F-Zero s'annonce alors comme une formidable vitrine technologique pour la 16-bits de la firme. Et d'ailleurs, Nintendo ne le présente pas autrement :

"Attachez vos ceintures" : Une publicité française pour la Super Nintendo. F-Zero dépasse de la console.

Par cette ambiance, plus sombre qu'à l'accoutumée, et par un slogan évocateur, la firme communique sur les valeurs suivantes : uneplus grande maturité, unetechnologie hyper développée et une vitesse ébouriffante. Et sur cette publicité, ce n'est pas un hasard si c'est cette cartouche, et pas un autre titre de la Line Up (Super Mario World par exemple), qui est insérée dans la console. L'esprit de F-Zero c'est justement tout ça à la fois. Ce jeu est le symbole parfait, l'ambassadeur idéal de la nouvelle image que veut se donner Nintendo. Mais tient-il toutes ces promesses ? Est-il si novateur ? Et puis, comment évoluera la saga ?

Quelques paragraphes pour tenter d'analyser le coup de maître et ses dérivés...

1990 - F-Zero (Super Nintendo)

Une BD bonus, toute une ambiance contenue en quelques pages. A droite, l'écran titre.

F-Zero, c'est d'abord une histoire de pilotes passionnés par la vitesse. Dans le livret, une bande dessinée nous plonge directement dans l'ambiance. Ce sont les jeunes Takaya Imamura et Masanao Arimoto, très respectés aujourd'hui, qui se partagèrent la direction artistique et la création des personnages de ce jeu. Vraiment inspirés par leur "premier" grand projet, grâce à eux, c'est tout un petit monde qui prend vie, ou plutôt, toute une époque : le futur. Inutile de dire que la formule 1 est complètement dépassée : le plus célèbre Grand Prix du 26e siècle, nommé F-Zero, tient en haleine les téléspectateurs du monde entier. Tout est là pour le spectacle : la rapidité est effarante, les circuits tortueux et parsemés de pièges, la conduite est agressive... Et même les extraterrestres peuvent s'inscrire, c'est un tournoi interplanétaire ! Alors, quelle que soit votre planète d'origine, allez-y, participez !

Vous n'avez le choix qu'entre 4 véhicules. C'est peu, mais au moins ici les quatre sont-ils très différents. Une courbe représente d'ailleurs les rapports accélération/vitesse de pointe - de quoi choisir le vaisseau, et son pilote, en toute connaissance de cause. On découvre alors le Capitaine Falcon, un personnage tout à fait équilibré que Nintendo semble mettre en avant, mais il y a aussi l'élégant Docteur Stewart, dont la principale qualité est l'accélération, ou bien encore Pico l'extraterrestre agressif. Mais la meilleure vitesse de pointe appartient à un quatrième personnage, Samouraï Goroh, un homme corpulent qui bat tous les records grâce à son monstre de bécane : le FireStingray. Bref, les développeurs ne vous confient pas de simples machines conduites par des pilotes quelconques. Imamura et Arimito ont tenu a créer de réels protagonistes, avec une histoire, des motivations personnelles et aussi, bien sûr, des véhicules dont les spécifités techniques influent beaucoup sur la conduite.

Futur oblige, ces véhicules stars sont en fait des aéroglisseurs super développés utilisant l'attraction magnétique pour flotter à 30 centimètres du sol. Ils possèdent également une réserve d'énergie indispensable à leur survie. Celle-ci est d'ailleurs représentée en haut de l'écran par une bande rouge. Il faudra sans cesse y jeter un œil car, hélas, elle s'amenuise dangereusement à chaque fois que l'on touche un adversaire ou les bords de la route. Heureusement, le pilote peut faire remonter la jauge en passant sur la zone de réparation, une portion hachurée présente au moins une fois par circuit. Cela pimente pas mal l'action mais pour rendre le concept encore plus dément, à chaque nouveau tour on se voit remettre un boost (symbolisé à l'écran par un 'S' pour 'Super Jet') utilisable quand bon nous semble. Et il vaut mieux l'éviter juste avant un virage, sinon c'est une séquence à "forts rebondissements" qui se prépare...

Les joyeusetés ne s'arrêtent pas là. Sur le terrain, on trouve de tout : des flèches turbos, des plaques de givre très glissantes, des plaques de terre qui ralentissent, des mines explosives... Plus utiles - et plus dangereux encore - sont les tremplins blancs : ils nous propulsent vers les sommets. Et si on appuie en bas de la croix pendant le vol, on gagne à la fois en vitesse et en altitude. Et oui, c'est fromage ET dessert, alors profitons-en. Sauf qu'attention, les hauteurs sont aussi grisantes que dangereuses : si on atterrit en dehors de la piste... "Braoutchoutch" ...c'est la mort assurée, un bruit énorme pour un décès magistral : Un grand sprite jaune se déforme et matérialise une explosion de toute beauté. La caméra se précipite alors au ras du sol, s'éloignant face aux restes du véhicule en fusion. Puis l'écran du jeu se bloque et nous laisse, au loin, observateur de la scène, totalement impuissant. Une seule solution : enchaîner tout de suite avec un Try Again libérateur.

Le Mode 7 est décidément une réussite totale. Premier jeu, "premier jet", et déjà F-Zero donne toute la mesure de cette technique. L'impression de vitesse est hallucinante. Visuellement incroyable, pour une des toutes premières fois sur console, on voit loin dans un jeu de course, c'est propre, super rapide, fluide. Les courses sur "consoles pré-32 bits" ne sont pas forcément les jeux qui vieillissent le mieux. F-Zero, lui, fait toujours autant d'effet. La technique, même dans ses plus grandes limites (un style graphique très épuré ; des textures souvent pauvres ; un clipping assez important...), est en adéquation totale avec l'ambiance générale que nous avons décrite : complètement électrique. Pour un peu, ces défauts, minimes et surtout excusables, rajouteraient presque un peu plus de frénésie à l'ensemble.

Mais la frénésie et l'ambiance électrique viennent surtout du challenge. Les ennemis sont nombreux : en plus des trois autres véhicules vedettes (ceux que l'on aurait pu sélectionner au départ), il en arrive constamment de nouveaux à l'écran : des figurants très ambitieux. Du coup, quand on est quatrième, la situation peut encore empirer si ces véhicules violets parviennent à nous dépasser. La pole position n'est pas plus confortable, avec une multitude de concurrents jaunes orangés qui apparaissent, sortis de nulle part, pour nous rendre la victoire un peu plus difficile encore. Sans parler des vaisseaux roses explosifs ...à éviter à tout prix ! Au moins on rencontre du monde et on ne s'ennuie jamais, quelle que soit sa position. Et quelque soit son niveau aussi, car, non seulement ce jeu fascine, mais en plus, il fascine longtemps. Il y a, au menu des réjouissances, trois Championnats de cinq courses, chacun avec trois niveaux de difficulté - sans parler d'un quatrième niveau surhumain, nommé Master, qui se débloque en cas de parfait carton plein. Le second mode, Time Attack, permet de grappiller quelques dixièmes de secondes aux précédents records sur les sept circuits disponibles. Cependant, si le nombre de défis proposés est une chose, l'envie de tous les relever en est une autre. Cette envie, F-Zero la doit essentiellement à ses sensations. Très singulières, elles offrent au jeu une endurance à 'toutes épreuves'.

Sensations (aériennes) :F-Zero, l'original, est beaucoup plus qu'un simple jeu de course. Il emprunte des sensations à d'autres disciplines que la course automobile. Ce qui est la moindre des choses quand on ne dirige pas des voitures. Mais, ce qui pourrait n'être qu'une simple variante de surface imprègne le jeu en profondeur et rend l'aspect interactif, lui aussi, très différent de la masse des autres jeux de course. Pour résumer, la présence d'aéroglisseurs se ressent vraiment et rend la conduite très particulière : Ce n'est pas un gadget. Dans 'Aéroglisseurs' il y a 'Aéro' et c'est sans doute, pour de multiples raisons, l'élément le plus important du jeu. Avec F-Zero, on fonce littéralement dans l'air, il semble nous couvrir, nous envelopper, le joueur est comme dans une bulle. Et si cette sensation est assez unique en son genre, le son y est pour beaucoup : le bruit du souffle est omniprésent et renforce les sensations aériennes. Quant au radical 'Glisseurs', il n'est pas usurpé non plus. Les changements de direction prennent un certains temps, et surtout une certaine distance. Le maniement se fait donc tout en douceur, tout en rondeur. On dessine des trajectoires, des courbes, la victoire est une question de finesse. Au point qu'il n'apparaît pas incongru de dire qu'avec F-Zero, la course est une sorte de sport de glisse, oui (!), un ski improbable sur terrain plat et fermé. On citera d'ailleurs les obstacles, qui forcent au slalom à chaque instant, et les différents types de terrains qui changent la maniabilité et la vitesse des véhicules comme, justement, en ski, le givre change de la poudreuse et inversement.

Mais le vent, la glisse et la finesse font aussi perdre aux 'vaisseaux' leurs cotés 'spatiaux' : quelques fois, ils deviennent des "vaisseaux tout court", des bateaux à part entière. La croix directionnelle se fait alors gouvernail et on réalise qu'on ne dirige, finalement, que les ailerons métalliques à l'arrière du vaisseau. C'est l'air, le grand air, qui fait tout le travail. Bon, en cas de panique, les aérofreins magnétiques (boutons L et R) aident le vent, et offrent une trajectoire plus serrée - c'est alors au pilote/capitaine de calculer, à toute vitesse, le bon angle de dérive. Et là, un seul secret, il faut être parfaitement zen. Surtout à la suite d'un tremplin, quand le vaisseau prend son envol, l'impression de glisse est encore plus prononcée, et le maniement doit être 'encore' plus délicat. Le moindre mouvement brusque aura dans le ciel un effet démultiplié et précipitera votre vaisseau quelque part à l'extérieur de la piste. C'est l'inconvénient d'être lâché dans - et libre comme - l'air. Et ce n'est quand même pas un hasard si F-Zero est le seul jeu de course qui propose par deux fois un circuit, Death Wind, avec une tornade trimbalant frénétiquement les véhicules de gauche à droite pendant toute la course. F-Zero décline le thème de l'air, il l'exploite sur toutes les coutures, pour le plus grand bonheur des planeurs du monde entier.

Car F-Zero est un des rares jeux, et à plus forte raison, un des rares 'jeux futuristes', qui apaise le joueur sans doute plus qu'il ne l'excite. Oui, il y a de l'électricité dans l'air, oui, le tournoi est une véritable tuerie, mais, et c'est difficilement explicable : malgré la violence de la situation, le soft est calme ! On s'en rend d'autant mieux compte aujourd'hui (jeudi), avec le recul et l'expérience de ses suites : Ce premier F-Zero est un jeu serein et tous les épisodes qui suivront, malgré d'immenses qualités et le renouvellement de toute l'essence de la saga, perdront tout de même au fil des épisodes une bonne partie de cette candeur : la douceur de vivre à mille à l'heure. Est-ce vraiment propre à ce 1er opus ? Peut-être que (si on s'autorise dès à présent une petite escapade dans le futur) les autres épisodes 2D s'en approcheront un peu. Cela incite alors à penser que la technique joue un rôle essentiel. Le Mode 7, qui n'est finalement qu'une illusion de relief, qu'un savant jeu de précalcul, doit renforcer, un peu involontairement, l'impression de ballet dangereusement tranquille des autres vaisseaux et des obstacles : en fausse 3D, tout est prévu, sur des rails, la course est comme aimantée. Et puis, avec un peu d'expérience on se faufile entre les pièges, entre les concurrents, il y a de longues sessions sans accrocs... jusqu'à ce que... boom !

Cette impression, un peu paradoxale, est renforcée par la musique qui traduit superbement en notes ce fameux souffle à la fois calme et tendu. Par exemple, les thèmes de Mute City ou de Big Blue sont, à l'image des images, de pures merveilles. Mais les compositeurs Naoto Ishida et Yumiko Kanki ont réalisé un véritable tour de force et ce sont absolument toutes les musiques qui réussissent à transcender le rythme si particulier du jeu : un rythme ambivalent soufflant le chaud et le froid. Car, ne vous y trompez pas, l'air c'est la tempérance comme la tempête, la démesure. D'ailleurs, dans la course Death Wind, on entends deux types de vents différents. Premièrement, le fameux bruitage enveloppant dont nous parlions plus haut, toutes les courses y ont droit pour peu que le véhicule avance. Mais aussi, deuxièmement, un terrible bruit de tornade qui revient à certain moment de la mélodie, ce 'son' est une véritable percussion imbriquée dans la piste musicale (un des huit canaux y est entièrement consacré, c'est vérifiable en se servant du programme Super Juke-box). C'est génial, un bruitage significatif de l'ambiance (une tempête) devient un élément constitutif de la partition comme pour rappeler, avec panache, que l'air c'est aussi la violence. Car, encore une fois, F-Zero n'est pas un jeu ennuyeux, ne nous laissons jamais duper par son côté aérien et serein. Un concurrent nous rentre dans le lard et hop, ça y est, rupture de rythme, fini le ski, le ballet et le bateau : Bienvenue dans le billard du troisième millénaire - hélas, les règles ont un peu évolué : en 2560, nous jouons le rôle de la boule. Mais, pour que cela ne soit pas notre dernier rôle, le calme est décidément la seule planche de salut. Entre des mains expertes, le billard peut même devenir un atout. Bien sûr, je ne parle pas des transats en solitaire que sont les Time Attack, où tout doit être réglé au millimètre près : là bas, contentons-nous de peaufiner nos courbes, et évitons les chocs, une bande serait forcément catastrophique. Non, c'est au coeur de la bataille d'un Championnat que ce n'est pas toujours aussi négatif. Poussé par un boost, la propriété 'rebond' peut même s'y avérer très utile. Enfin, si la forme que prend la piste le permet, si la position des adversaires est avantageuse, et, bien sûr, si nos réflexes sont bons. Cela fait beaucoup de "Si" mais il n'empêche qu'un (seul) impact bref enlève très peu d'énergie et évite de freiner : Alors vive l'effet tampon quand il nous propulse vers la victoire. Pour ces machines à dessiner des ronds, se prendre un mur de plein fouet est le seul (et délicat) moyen d'avoir une trajectoire carrée !

Décidément, F-Zero est vraiment un ensemble très cohérent. Pour simuler les aéroglisseurs, les sensations visuelles, auditives, et les interactions, convergent pour créer une sensation unique. Conduite, technique, acoustique... Tout est là pour anéantir le moindre doute : Dans F-Zero, on glisse dans l'air. Et c'est sans doute cette sensation qui donne au soft tout son souffle.

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